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Espionnage chinois : l’industrie des cartes mères revient doucement à Taïwan

Dans un contexte de tensions sino-américaines et après des allégations de puces espionnes intégrées à des cartes mères fabriquées en Chine, l’industrie se relocalise à Taïwan ou bouge au Vietnam.

C’est un stand de cartes mères pas comme les autres sur le salon du Computex à Taipei : Supermicro. Loin des Asus, MSI ou Gigabyte, la société Supermicro ne fait pas dans la carte dédiée aux gamers ou à l’overclocking, mais est spécialisée dans le secteur des serveurs et stations de travail. Connue jusqu’ici uniquement des professionnels, l’entreprise fut au cœur d’un scandale d’espionnage rapporté par Bloomberg.

Selon les deux journalistes responsables d’une longue enquête, les services de renseignement chinois auraient profité de l’implantation sur le sol chinois des usines de Super Micro Inc. (l’entreprise qui commercialise sous le nom de Supermicro) pour dissimuler des composants-espions dans des cartes mères de serveurs de données à destination de grandes compagnies américaines telles que Apple, Amazon, Google ou Microsoft. Depuis, des audits ont eu lieu dans la chaîne d’approvisionnement de Super Micro Inc, des cartes ont été démontées, les entreprises US citées ont tout nié en bloc. Mais Bloomberg a tenu bon et a maintenu son histoire. Qui croire ?  

Computex 2019, stand de Supermicro : des cartes mères collées au mur, un comptoir de verre avec des composants électriques apparents, nous demandons à parler à un responsable. Un employé local nous indique un employé de la succursale américaine qui parle anglais. Nous posons la question « Où en êtes-vous du scandale Bloomberg ? ». Le visage assez ouvert se ferme un peu, mais point de rejet. « Ce n’est pas à moi que vous devez parler ». L’homme se tourne et cherche un visage, voit sa cible partir et demande à un employé plus jeune de le rattraper.

Adrian BRANCO / 01net.com

Vient à nous un homme asiatique, plus âgé que l’ensemble des personnes présentes sur le stand. Son anglais est excellent « j’ai longtemps vécu aux États-Unis », explique-t-il doucement. Quelle est ma question ? Je la repose. Il ferme la bouche, me fait signe de le suivre et nous marchons dans une allée adjacente.

« Nous avons réalisé des tonnes d’audits, démonté et analysé de nombreuses cartes mères, nos partenaires ont fait de même et personne n’a rien trouvé », explique-t-il. Mais si c’était le cas, est-ce qu’un seul des acteurs en parlerait ouvertement ? « Peut-être pas, mais ça finirait par sortir. Personne n’a rien trouvé, mais nous avons quand même dû prendre des mesures importantes : nous déplaçons nos sites de production », ajoute l’homme sur un ton égal. Pas de stress apparent, pas de lamentation. « Nous comprenons les doutes. Et nous ne sommes pas les seuls : toute l’industrie des nouvelles technologies et plus particulièrement celle des cartes mères fait de même ». Les pays cibles ? « Taïwan et le Vietnam pour le moment. Ce sont les deux pays les plus américanophiles de la région, et ils possèdent les meilleures infrastructures », précise-t-il.

A.B. / 01net.com

Quand on demande qui bouge ses usines, il répond « tout le monde, plus ou moins discrètement, plus ou moins rapidement. Nous (Supermicro) avons déjà commencé, les autres que je ne veux pas citer explicitement font de même. Même Foxconn (dont le patron, le taïwanais Terry Gou, est ouvertement pro-Chine) a acheté des terrains à Kaohsiung pour construire des usines et relancer la production sur l’île ».

Dans un contexte difficile pour Taïwan, que la Chine de Xi Jingping essaye plus que jamais d’isoler politiquement et de pressuriser économiquement, les craintes d’espionnage industriel – espionnage jusqu’ici non prouvé que cela soit dans les cartes de Supermicro ou dans les téléphones de Huawei – de la part de l’Empire du Milieu ont un effet positif sur son industrie. En 2013 nous avions visité la dernière usine de cartes mères informatiques de l’île qui appartient à Gigabyte. En 2020, l’île pourrait avoir rouvert « au moins 4 ou 5 usines », selon une autre source dans une autre entreprise exposant sur le salon.

Si le gros de la production mondiale est toujours situé en Chine, des signaux faibles montrent que le géant chinois perd de son attractivité. Et pas seulement à cause de la hausse des salaires de ses ouvriers…

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