De nombreuses sociétés sont victimes de véritables campagnes de dénigrement, parfois de dénonciation calomnieuse, diffusées en ligne ou relayées par courrier électronique. Dans certains cas, ces campagnes sont menées par de simples
internautes, mais plus souvent elles sont le fruit de salariés mécontents des entreprises victimes ou encore sont orchestrées par la concurrence.Coauteur de l’ouvrage intitulé Le droit du multimédia, du CD-ROM à l’Internet (collection Que sais-je ?), Eric Barbry est avocat à la cour d’appel de Paris et directeur du département
Internet du cabinet
Alain Bensoussan-Avocats.Bonsoir à toutes et tous, nous sommes heureux de recevoir Eric Barbry !Bonjour et merci pour cette nouvelle invitation.Piques : Dans quelles mesures peut-on surveiller les courriers électroniques calomnieux, sans porter atteinte à la liberté d’expression ? Une entreprise peut-elle censurer des mails ? Beaucoup de questions en une seule ! Pour simplifier, il est possible de répondre d’une manière générale, car, en réalité, le contenu même est dans cette circonstance moins important que la problématique du droit de l’employeur
à contrôler les mails de ses salariés.Salamanec : De quels moyens disposent les entreprises pour se défendre contre la diffamation sur Internet ? Elles disposent, principalement, des dispositions protectrices de la loi sur la presse, mais il est vrai que tout dépendra de la ‘ qualité ‘ de l’émetteur du message et la chose se complexifie grandement
quand il s’agit d’un salarié ou d’un syndicat.xmen2_il_est_bien : Quelles sont les restrictions quand on parle d’une société sur Internet (forum, newsgroups, page perso, etc.) ? Là encore la réponse peut être différente suivant que vous êtes un salarié, un représentant syndical, un consommateur mécontent, un simple citoyen qui désire s’exprimer ou dans certains cas un concurrent dont l’objectif est
simplement de déstabiliser. En règle générald, on peut résumer la situation en fonction de l’objectif poursuivi : intention de nuire ou pas.Chrisss : Y a-t-il des personnes qui s’occupent spécifiquement de faire de la veille sur l’image de marque des sociétés ? Certainement, mais il y a surtout des sociétés spécialisées dans le contrôle de l’utilisation des marques d’une entreprise. Comme dans la plupart des cas, le contenu comporte évidemment le nom de l’entreprise ou sa marque, alors le
lien est vite fait. De plus, beaucoup d’entreprises disposent de leur propre service soit de communication soit de surveillance de marque.Marlene : Peut-on attaquer une entreprise qui nous attaquerait parce qu’on ‘ parlerait ‘ de la marque ? Si vous voulez dire l’arroseur arrosé, je crois savoir qu’il existe dans une affaire célèbre et très actuelle une procédure engagée par ceux qui ont diffusé les contenus, pour entrave à la liberté d’expression.DM : En quoi la qualité de la personne qui émet un avis prime-t-elle sur la nature de l’information émise ? Il me semble que c’est ce dernier point qui est le plus important ? Il existe en droit du travail des dispositions précises qui encadrent, mais permettent une plus grande liberté d’expression, notamment au bénéfice des salariés et des représentants syndicaux. Une fois cette question examinée, alors
on en revient effectivement, et vous avez raison, au contenu même du message.Aline : Je détourne des logos de marque sur mon site, est-ce que je risque quelque chose ? D’abord il faut rappeler que par principe, même si je prends ici un raccourci, la reproduction d’une marque sans autorisation constitue une contrefaçon. Il faut aussi rappeler que les récentes décisions rendues en ce domaine tendent
à considérer que lorsqu’on exerce sa liberté d’expression alors on peut faire un usage de la marque. Cela dépend donc de ce que vous faites des marques diffusées sur votre site.xmen2_il_est_bien : Pour en revenir à l’affaire Danone : qu’est-ce qui a finalement donné raison à l’association JeBoycotteDanone ? Si vous vous reportez a l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 30 avril dernier, alors vous verrez que la Cour a précisé que la liberté d’expression était un principe à valeur constitutionnelle et qu’il était possible dans ce
cadre de s’exprimer sous une forme que les auteurs estimaient eux-mêmes ‘ appropriée ‘ aux conséquences sociales d’un plan de restructuration. La Cour a précisé ‘ Si cette liberté n’est pas absolue,
elle ne peut néanmoins subir que les restrictions rendues nécessaires par le respect des droits d’autrui. ‘Bloody-Kevin : Ai-je le droit de dénoncer, sur un forum ou autre, un site qui se permet de me spammer ? Si non, qu’est-ce que je risque ? Je ne sais pas si l’on doit parler de ‘ dénonciation ‘, car le droit n’aime pas vraiment cette notion, et, à mon avis, moins encore sur un forum ou un chat. Mais il vous est possible de vous plaindre auprès
de votre FAI, de l’émetteur du message ou encore, comme cela a été fait récemment, auprès de la Cnil.DM : Comment est-il possible de remonter à l’émetteur d’un message, avec tous les Web Cafés qui existent ?Iznougoud : Comment retrouver l’auteur d’une diffamation ? Il me semble que l’on n’a pas le droit de router une IP ! En ce qui concerne la première question, vous avez raison. Il faudrait, en fait, identifier un Cyber Café comme une plaque tournante de ce type d’envois et donc effectuer, comme cela a déjà été fait, des surveillances
‘ physiques ‘ pour prendre les individus sur le fait. Pour la seconde question, il existe plusieurs dispositions juridiques (loi du 1er août 2000 et loi sur la sécurité quotidienne) qui, heureusement,
permettent de remonter à l’auteur.xmen2_il_est_bien : Avez-vous déjà rencontré le cas de sociétés en attaquant une autre par diffamation, dégradation de l’image, etc. ? Oui.Mr Perfect : Dans le procès qui opposait Danone à Olivier Malnuit, il y a quelque chose que je n’ai pas compris : la plainte de Danone en ce qui concernait Gandi, pour l’enregistrement du nom de domaine jeboycottedanone.net, n’a
pas été retenue par le juge, mais celui-ci a donné suite à celle qui concernait le réseau Voltaire, qui éditait et hébergeait le site jeboycottedanone.net. Pourquoi ? Les deux n’étaient-ils pas condamnables ? Si je ne m’abuse, il s’agit de deux types de prestations totalement différents : hébergement et enregistrement de nom de domaine. Sur l’enregistrement de noms de domaine, on considère généralement que le registrar n’est pas
responsable des demandes d’enregistrement. Le débat n’est cependant pas clos, et est relancé en ce moment, à l’occasion de l’adoption de la loi pour la confiance dans l’économie numérique.Paco-Zalto : Economiquement, un site comme jeboycottedanone.com, ça coûte vraiment à Danone ? Je ne suis sincèrement pas en mesure de vous répondre. En tout cas, la société en question avait demandé des dommages et intérêts et donc a vraisemblablement dû présenter au tribunal de quoi étayer ses demandes.DM : Donc concernant Danone, d’une part la qualité des responsables du site, et d’autre part l’utilisation d’un canal de diffusion Internet permettent de faire ce que la loi réprouve par ailleurs (appel au boycott à la télé) ? Je
rappelle que les plaintes auprès de la Cnil ne sont plus prises en compte. Il s’agissait d’une opération ponctuelle. Il n’en demeure pas moins, s’agissant de la Cnil, que l’on peut engager une action sur ce fondement, et que ce qui a été fait une fois pourrait sans doute être réitéré. Pour la première question, il s’agit de votre appréciation d’un
arrêt d’appel qui me paraît relativement clair. Depuis bien longtemps d’ailleurs, un vrai fossé s’est creusé entre ce qui est toléré ici et non là. Prenez l’exemple des contenus pornographiques.fredi : Quelles sont les entreprises les plus sensibles à leur image sur le Net ? Aujourd’hui, essentiellement, celles qui ont des problèmes d’ordre social. Mais on a vu aussi beaucoup d’affaires portant sur la qualité des services et sur les sociétés qui font la promotion de l’efficacité de tel ou tel système de
sécurité ‘ infaillible ‘.Anna : Les nouvelles lois pour la confiance dans l’économie numérique vont-elles renforcer les droits des entreprises en matière de diffamation et de contrefaçons ? Non, pas spécialement sur la diffamation. Il y a sur les contenus un débat qui n’est pas clos sur le droit de réponse, mais cela n’est pas lié à la ‘ diffamation ‘ au sens strict. Sur la contrefaçon, sans
doute, car l’article 5 du projet précise que le ou les organismes en charge de la gestion des noms de domaines devront veiller au respect, par les demandeurs, des dispositions de la propriété intellectuelle. Affaire à
suivre ! ! !cmoi : Arrive-t-on à chiffrer l’impact de ces campagnes pour les sociétés ciblées ? Je pense à Total Fina et à l’affaire des faux mails…
La plupart du temps, dans ce type de contentieux, on fait appel à des experts dont le métier est précisément de justifier un préjudice. Certains cabinets d’avocats disposent de personnes de ce profil en interne.djak : Lorsque l’on critique une entreprise sur un forum, par exemple, ou dans un mail, où finit la liberté d’expression et où commence le dénigrement ? La liberté d’expression s’arrête précisément lorsqu’elle est confrontée au dénigrement, à l’injure ou à la diffamation. La diffamation et l’injure sont définies (même si cela mérite d’être corroboré avec la jurisprudence dans la loi
de 1881). Pour le dénigrement, il existe aussi une jurisprudence, mais il est vrai que sa mise en oeuvre est sans doute la moins aisée. Il vaut mieux d’abord partir de l’intention ‘ de nuire ‘ ou non.Iznogoud : Peut-on dire que, pénalement, l’affaire jeboycottedanone.com, est le prolongement des affaires de droit à l’image, voir de propriété intellectuelle (pour la reproduction de logo) ? Si oui, vu que les
‘ nuisances ‘ ne sont pas prouvées, ne pensez-vous pas que les entreprises abusent du pénal ? L’arrêt d’appel rendu par la Cour d’appel de Paris dans cette affaire le 30 avril 2003, sauf si je me trompe dans ma lecture, démontre le contraire.Chrissss : Interdire la ‘ moquerie ‘ sur des marques, n’est-ce pas limiter la liberté d’expression ? Ce phénomène est-il une contrefaçon ? Il s’agit là du droit à la parodie, au pastiche et à la caricature, qui sont essentiellement reconnus en droit d’auteur, mais souvent mis en avant pour justifier l’usage d’une marque. Je pense qu’il y a ici matière à reconnaître ce
droit.Marlène : Existe-t-il une jurisprudence liées aux affaires comme JeboycotteDanone.com ? On en est au début, en tout cas sur ce terrain-là. Si l’on se réfère à d’autres jurisprudences, rendues bien avant cela, au sujet de sites Web ouverts par des salariés, alors on peut effectivement considérer qu’il existe un début de
jurisprudence en ce domaine.Palmipède : Si je dis du mal de ma boîte dans des courriers perso, voire à des collègues de travail, est-ce que je risque quelque chose ? Dans votre question, vous avez en partie de la réponse, car vous parlez de ‘ dire du mal ‘, là où vous devriez simplement dire que vous souhaitez exercer votre ‘ liberté
d’expression ‘, telle qu’elle vous est d’ailleurs accordée par l’article L 461-1, si je ne me trompe pas, du code du travail. Mais là encore, la Cour de cassation rappelle que la limite du droit d’expression des salariés est constituée
par le dénigrement, le mensonge, l’injure, la diffamation, la déstabilisation et, plus généralement, l’intention de nuire.LNA : Pénalement, si je critique une entreprise sur un forum, qui sera puni ? Le site hébergeur du forum ou moi ? D’abord vous… et ensuite (si l’on ne peut pas vous identifier) se pose la problématique de la responsabilité de l’éditeur du forum. Sur ce point, la plus récente décision a été rendue, à ma connaissance, par le TGI de Paris,
qui a considéré que l’éditeur d’un forum devait bénéficier des mêmes dispositions que celles accordées aux hébergeurs, qui ne sont pas par principe responsables des contenus hébergés, sauf lorsqu’ils sont tenus de prendre des mesures ordonnées par
la justice et qu’ils ne le font pas.Birdy : Une entreprise critiquée sur un forum par des internautes peut-elle porter plainte ? Que peut-elle obtenir ? Critiquée, pas forcément, diffamée, dénigrée, déstabilisée… Oui. Il lui faudra tout d’abord obtenir la suppression des messages, l’identité des émetteurs pour engager finalement une action contre eux. Alors elle pourra obtenir
réparation ou sanction (pénale), mais bien souvent le préjudice subi ne peut pas être couvert par la solvabilité précaire de l’émetteur du message. C’est là le gros problème des entreprises.zarma : Je reçois beaucoup de mails contre telle ou telle entreprise, pour leurs pratiques (travail des enfants, pollution, etc.), est-ce qu’il y a déjà eu des suites judiciaires pour ce genre de mails ? Pas a ma connaissance, mais j’ai la modestie de penser que je ne sais pas tout. 🙂Grincheux : Savez-vous si des marques françaises ont été malmenées sur des sites Internet aux Etats-Unis avec la guerre en Irak ? Merci ! Faouzi : Existe-t-il aussi des contrefaçons de marques françaises à l’étranger ? Je ne le sais pas, mais on peut imaginer que cela ne fait aucun doute puisque même les French Fries ont été transformées en Freedom Fries. Tout est donc possible ! 😉 Pour la seconde
question, la réponse est malheureusement oui.roland : Est-ce que le nombre de plaintes liées à ces affaires est en progression ou en régression ? En progression ! !paolo : Avez-vous des exemples d’entreprises françaises qui ont entamé une action en justice parce que leur image a été maltraitée sur Internet ? Mes obligations professionnelles ne me permettent pas de répondre à cette question.Chrissss : Quelle est le dernière campagne de dénigrement d’une entreprise dont vous ayez eu connaissance ? Les dernières sont toujours celles qui sont en cours. La plus importante pour l’heure, me semble-t-il, est celle de l’arrêt d’appel du 30 avril 2003. Je pense que l’actualité devrait nous amener à en connaître de plus en plus
dans les prochains mois.Anna : Des entreprises ont-elles déjà été totalement déboutées dans un dossier d’atteinte à l’image sur Internet ? Oui, je vous renvoie à cet arrêt d’appel, que je mentionne dans la réponse précédente.Birdy : Si je critique un produit d’une marque parce que je me sens floué, est-ce que je risque d’être attaqué ? Oui, si vous portez atteinte à l’entreprise en question, et surtout si ça n’est finalement pas fondé.Merci Eric Barbry, le mot de la fin ? Merci pour toutes ces questions très pertinentes, je suis exténué. 😉
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