Les échecs des uns sont les victoires des autres. Et dans le fiasco du non-rachat d’ARM par Nvidia, il est un acteur qui a non seulement fait entendre sa voix, mais qui en plus était légitime pour en parler : le docteur Hermann Hauser, qui n’est rien de moins que le cofondateur d’ARM. Ce serial investisseur de la tech britannique nous a accordé un entretien exclusif en zoom-à-zoom.
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Lorsque le deal entre Nvidia et ARM a été officialisé mi-2020, parmi les quelques voix qui s’étaient élevées pour dénoncer l’opération à 40 milliards de dollars, c’est bien sa voix qui a le plus porté. S’il s’exprimait depuis son siège de co-fondateur d’Amadeus Capital Partners – un fonds qui investit dans les technologies européennes – c’est aussi et surtout en tant que fondateur d’ARM que la parole de M. Hauser a eu un écho si particulier.
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Né en 1948, ce citoyen autrichien, qui a passé un doctorat dans la prestigieuse université anglaise de Cambridge, a fondé au Royaume-Uni une entreprise qui a accouché de l’architecture processeur la plus populaire du monde. Et il confie à 01net.com que « la création d’ARM fut même une exception dans le domaine des technologies : alors que nombre d’idées et de concepts bourgeonnaient en Europe avant d’être industrialisés aux USA, nous avons fait l’inverse. L’architecture RISC a été inventée aux États-Unis et c’est l’Europe qui a finalement accouché de l’entreprise qui l’a portée ! », s’amuse encore le fringant septuagénaire.
Un homme de technologies et de semi-conducteurs, qui définit le succès d’ARM ainsi : « Les raisons du succès d’ARM tiennent à deux avantages majeurs : quand nous avons démarré, nous n’avions pas beaucoup d’argent et peu d’employés. La première puce est sans doute la seule à avoir entièrement été conçue par seulement deux personnes. Il nous fallait donc maintenir le design et les instructions les plus simples possibles ».
Et de fil en aiguille, cette architecture « très efficace énergétiquement » a fini par se retrouver au cœur des plus petits microcontrôleurs, dans les smartphones et jusque dans les serveurs d’Amazon (AWS) ou encore Fugaku, le plus puissant supercalculateur de la planète. Une domination qui ne s’est pas faite en un jour. « Il a fallu plus de 20 ans de créations d’écosystème matériel et logiciel pour qu’ARM s’impose et finisse par menacer Intel dans les PC. Et désormais, dans les serveurs ».
ARM, un « monopole vertueux »
Avec plus de 95% de parts de marché dans les smartphones, et sans même parler des contrôleurs, microcontrôleurs, etc. ARM est l’architecture dominante. « Normalement, une situation de monopole est mauvaise pour le business et l’innovation ». Ne possédant plus de parts, ni de pouvoir décisionnel dans son ancien « bébé », M. Hauser parle ici en tant qu’investisseur – même si, reconnaît-il « le cœur parle lui aussi un peu ! ».
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« La situation d’ARM n’a rien à voir avec un monopole classique. Quand j’ai participé à la séparation des activités informatiques d’Acorn Computer et l’architecture processeur (au départ « Acorn RISC Machine » devenue « Advanced RISC Machines » qui a donné le nom ARM, ndr) dans les années 90, c’était parce que je pensais que personne ne souhaitait acheter le processeur d’un compétiteur. En faisant d’ARM un simple fournisseur de technologies que tout le monde pourrait acheter, je m’assurais de son succès ».
Et c’est justement cet équilibre que le deal Nvidia/ARM mettait en péril.
« Nvidia n’avait aucune raison technique d’acquérir ARM »
Quand on interroge M. Hauser sur les raisons initiales du rachat d’ARM par Nvidia, il écarte tout de suite les raisons techniques. « Le business model d’ARM permet à n’importe qui de développer ses propres puces. En faisant appel à une licence de très haut niveau de type ARM Architecture Licence, ils auraient pu continuer de développer des puces de pointe. Nvidia n’avait aucune raison technique d’acquérir ARM », insiste M. Hauser.
Et il suffit de regarder l’exemple d’Apple pour se rendre compte que ses propos font mouche : sans posséder la propriété sur le jeu d’instruction ARM, Apple peut, avec sa licence haut de gamme, développer des puces uniques, qui lui sont propres.
« Je ne vois que deux raisons à la démarche de Nvidia : en possédant ARM, l’entreprise aurait non seulement été le seul utilisateur à ne pas payer de licence ARM – tout en faisant payer les autres. Et la maîtrise du développement de l’architecture lui aurait permis de faire en sorte que ses évolutions auraient été, par exemple, plus favorables à ses propres GPU, au détriment de la compétition comme AMD ou Intel ».
Car que ce soit avec ses puces Tegra ou Mellanox – des puces réseau de pointe que l’on trouve dans les centres de données – Nvidia développe déjà des puces de qualité avec des cœurs ARM. Et avec succès, puisque c’est une Tegra X1 qui propulse la Nintendo Switch par exemple.
Un retour en bourse avec mécanisme de blocage gouvernemental, « seule solution pour ARM »
Après l’échec de l’offre de rachat à 40 milliards d’ARM par Nvidia, M. Hauser ne voit qu’une solution qui est déjà celle envisagée par SoftBank : la réintroduction en bourse. Mais sur cette opération, M. Hauser est précis : « Si SoftBank a respecté la neutralité d’ARM, l’affaire Nvidia montre les limites qu’un futur rachat impliquerait. Il faut donc qu’ARM soit à nouveau cotée non seulement au Royaume-Uni, mais aussi aux USA. Mais en plus, je suggère que le gouvernement britannique investisse à hauteur, disons d’un milliard de livres, et obtienne en échange une ‘’part en or‘’ de l’entreprise qui lui donne le pouvoir de bloquer une future acquisition extérieure », explique-t-il.
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Et cela non pas par amour pour l’ancienne entreprise qu’il a fondée, mais par amour de son continent. L’homme, qui prépare un livre sur la souveraineté technologique, a comme conviction qu’il « faut que nous assurions notre indépendance technologique ! Dans le futur, il y aura trois blocs technologiques : les USA, la Chine et l’Europe. Et il faut absolument non seulement développer nos capacités de production de semi-conducteurs, mais aussi assurer notre souveraineté sur les la propriété intellectuelle que l’on mettra dedans (comme l’architecture ARM, ndr). C’est pourquoi je me réjouis du plan européen EU Chips Act », conclut-il.
Assurant que « si RISC-V est une très bonne architecture, il lui manque encore ce qui fait la force d’ARM aujourd’hui : un écosystème logiciel mature et riche. Et construire cela prend des décennies ».
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