À Houston, au Texas, les fins stratèges du groupe Enron, un géant du gaz et de l’électricité sur le marché nord-américain, ont leur regard fixé sur l’Europe. Ou plus exactement sur ses efforts pour libéraliser le secteur de l’énergie. Si Loyola de Palacio, le commissaire européen, réussit à convaincre ses interlocuteurs français et allemands, l’ouverture des marchés du gaz et de l’électricité pour l’industrie et le commerce devrait être complète en 2004, et pour le marché résidentiel en 2005.Les cowboys d’Enron sont prêts à bondir pour offrir les services de leur place de marché électronique Enrononline.com, d’ores et déjà le plus grand bazar de son espèce sur le plan mondial. Sur ce marché, tout juste créé à la fin 1999, les courtiers internationaux achètent et vendent en ligne aux représentants d’Enron gaz, électricité, pâte à papier, acier, droits à polluer…En tout, 14 matières premières, vendues dans 13 devises à un rythme effréné. Depuis ses débuts, Enron-online.com a vu défiler sur sa toile 525 milliards de dollars (597 milliards d’euros) de transactions !
Ex-Belle au bois dormant
Pas si mal pour l’ex-Belle au bois dormant du Texas, qui dans les années 1980 se contentait de vendre au plus offrant le gaz naturel de son pipeline. Mais, en 1986, les prix de l’énergie ont chuté. Le baril de pétrole est brusquement passé de 30 à 10 dollars (de 34 à 11,4 euros). Dans un réflexe de survie, le PDG d’Enron, Kenneth Lay, s’est dit qu’il devait changer de direction au plus vite.Une nouvelle tête est apparue aux côtés du PDG, Jeffrey Skilling, transfuge du cabinet Mc Kinsey. Celui-ci a apporté avec lui les modèles de gestion des consultants, explique Phil Judici, vice-président du groupe de consultants Mercer. Il a insufflé dans la vénérable demeure le goût du changement et du risque… quitte à se tromper.
De jeunes recrues, à peine arrivées des grandes écoles de commerce, font leurs classes plusieurs mois dans les différents services.Résultat : le gazier a ajouté une corde à son arc, il s’est fait négociant de gaz et d’électricité aux États-Unis et dans le reste du monde. Et lorsque l’outil internet a fait son apparition sur la scène internationale, les jeunes courtiers du groupe ont immédiatement compris son potentiel.L’idée d’Enrononline est née… à Oslo, dans la filiale Scandinave, a raconté récemment Jeffrey Skilling aux élèves de l’Université de Virginie qui étudient le cas d’école Enron. Les clients scandinaves, en pointe sur la libéralisation de l’électricité, demandaient de plus en plus souvent à Enron des prix en ligne. Les dirigeants de la filiale ont alors décidé d’ajouter à leurs téléphones et à leurs fax une présence sur la toile.Les Allemands ont suivi, les Britanniques se sont précipités, et les Américains aussi. Au départ, Enron a investi dans l’aventure quelque 30 millions de dollars en matériel. Quatre mois plus tard, son site de commerce électronique était le plus grand au monde. Bien sûr, depuis, des centaines de millions de dollars ont contribué au perfectionnement du site initial.Et la formidable montée en puissance d’Enrononline a été nourrie par la maison mère elle-même. Enron, grand négociant de gaz et d’électricité, a fait migrer sur le réseau 55 % de ses transactions. “ Le site voit passer 4 000 à 5 000 transactions par jour “, assure Carol Coale, analyste de la société de Bourse Prudential Securities.”Enrononline n’est pas parti de rien, la place a bénéficié des volumes de ventes d’Enron, précise Phil Judici. Sans ce soutien, rien n’aurait été possible car le marché de l’électricité est très compliqué et peu liquide. “
Expansion tous azimuts
Il n’empêche. Une fois l’effort accompli, la direction d’Enron n’a cessé de se féliciter du changement. Car les ventes en ligne attirent un public de connaisseurs plus important ; le marché avec affichage clair des prix se révèle plus transparent et les coûts de vente diminuent. Selon Jim Walker, analyste de la société de consultants Forrester Research, le coût marginal de chaque transaction a été réduit de 75 %.Ravis, les fins stratèges d’Enron essaient de pousser plus loin leur avantage : ils étendent la gamme des matières premières offertes au papier, au métal… Ils vendent des produits dérivés liés au temps, ils proposent depuis peu l’hébergement de données informatiques et s’aventurent dans la vente d’espace publicitaire. Leur panier ne cesse de s’agrandir, leur rayon d’action aussi.Les troupes d’Enron, débarquées à Londres en 1989, se sont depuis installées en Allemagne, en Suède, en Scandinavie, en Espagne. ” Ils arrivent tout juste au Japon et en Australie, raconte John Olson, de la société de Bourse texane Sanders Morris, et ouvrent des antennes au Brésil et en Argentine. ” La montée en puissance du grand méchant Enron n’a bien sûr pas échappé à ses concurrents.De nouvelles places de marchés électroniques ont pointé leur nez sur la toile… attirées par l’Eldorado : selon les statistiques de Forrester Research, les ventes d’énergie en ligne de 400 milliards de dollars en l’an 2000 ont progressé de 750 % par rapport à 1999.C’est ainsi qu’on a vu s’installer Trade Spark, fruit de l’association de eSpeed et des sociétés Williams Energy, Coral Energy et Dominion. De même est arrivé ICE, l’Inter Continental Exchange créé entre autres par Duke Energy, BP Amoco et la banque Goldman Sachs. Mais le pionnier Enron a pris de l’avance.
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