En politique comme en business, quelle est l’arme fatale ? Le dynamisme ? Certes, mais c’est à la portée du premier cadre venu ou de tout VRP frétillant. Le charisme ? Assurément, mais, quel que soit leur audimat, imaginez-vous PPDA, Véronique Genest ou Julien Courbet président ? La malhonnêteté ? Il en faut, mais voteriez-vous pour Jean Durite (garagiste dépanneur) ou Paul Dujoint (plombier) ? Non, leur malhonnêteté basique ne vous séduit pas. Ce qui rallie vos suffrages fascinés, c’est une malhonnêteté à valeur ajoutée : celle qui nécessite un véritable génie et donne au truand l’aura de l’artiste. Celle qui requiert ce don suprême : croire en ses propres mensonges. Les businessmen ou politiciens qui ont acquis la difficile maîtrise de cet art vous transformeront toujours en victimes consentantes. Voyez Kenneth Lay, PDG d’Enron, et certains candidats à l’Élysée qui malgré (ou grâce à) leurs truanderies avérées paradent impunément dans les sondages… Ceux-là sont comme Roland, président de notre groupe, qui croit toujours à ce qu’il dit, même et surtout quand il ment. Réussissant l’exploit de se manipuler lui-même, comment n’arriverait-il pas à embobiner les autres ? Nous avons beau râler contre ses bassesses permanentes, nous sommes comme les électeurs : gueulards furibards mais, au pied du mur, toujours prêts à lui donner notre confiance. Des loups dans le commentaire, des moutons dans l’action. Ainsi, lors du dernier comité de direction, nous savions tous que nos bilans étaient aussi truqués que ceux d’Enron, que chez nous aussi les audits étaient pourris et qu’à terme la boîte risquait plus en mentant qu’en jouant la transparence. Comment Roland, qui avait lui-même orchestré cette pantalonnade, a-t-il réussi à se convaincre de sa propre innocence ? En grand maître de l’autosuggestion, tel le fakir qui avant de s’asseoir sur les clous les extrait mentalement de la planche, le boss a retiré cette épine du pied de sa conscience et de la nôtre… Après avoir pris une inspiration profonde, Roland se “dérolandisa”, passant d’un air soucieux à une mine radieuse. Nous assistâmes à sa transfiguration : par un effet de schizophrénie à double injection directe, l’escroc inquiet s’était fait saint, rayonnant d’un optimisme divin, et transformant mensonges boiteux en certitudes béates : “En vérité je vous le dis, nos chiffres sont bons, car il est écrit qu’ils ne pouvaient pas ne pas l’être…” Puis, ne touchant plus le sol : “L’action va grimper jusqu’au ciel, à sa juste place !” Nous ne pouvions plus douter. Car, croyez-moi, face à Dieu, on ne mégote pas. J’ai donc ravalé mes sarcasmes en avalant l’hostie… Quant à Charlotte, notre numéro 2, elle était en état de lévitation. À tel point quelle se mit à applaudir Romont, son ennemi juré, quand ce fayot félicita Roland, qui entreprit aussitôt un grand tour de table pour nous serrer la main. Sur sa lancée, notre président se propulsa comme un robot fou dans une tournée des bureaux pour serrer aussi celle des petits cadres et autres secrétaires… Oui, Roland se prenait pour Qui-vous-savez : il était même prêt à nous promettre la lune en tapotant le cul des vaches, ce qui nous fit pousser des cornes…
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