La France a beau rattraper à grands pas son retard en matière d’internet, il est un domaine dans lequel elle est encore à la traîne par rapport aux États-Unis : l’e-éducation, l’enseignement en ligne. Pour les Américains, la formation à distance via le web est devenue une composante essentielle du système éducatif, et elle se développe très vite. Plusieurs universités proposent leurs MBA en ligne. L’un des plus connus est celui de Duke University, en Caroline du Nord. Les élèves sont sélectionnés parmi des étudiants du monde entier, 90 % des cours se font via le Net, les 10 % restant exigeant la présence de l’élève sur le campus deux semaines en début d’année. Ce MBA ne coûte pas plus cher qu’un MBA classique (80 000 dollars), mais permet à des Pakistanais ou à des Suédois de bénéficier du prestigieux enseignement sans se délocaliser aux États-Unis…Certaines sociétés d’éducation à distance émergent sur des segments naturellement réceptifs à la technologie du Net : formation d’ingénieurs en informatique à la programmation, aux nouveaux langages, ou à la maintenance ; formation d’assistantes à la bureautique ou de forces de vente des secteurs high-tech aux nouveaux produits… D’autres tentent de développer des standards sous forme de logiciels serveurs à installer dans le système de l’entreprise ou de l’université. Malgré les limites techniques actuelles, l’éducation à distance est perçue comme un nouvel eldorado outre-Atlantique, une ” killer application ” pour l’internet ou l’intranet d’entreprise. Et, pour les investisseurs, c’est une mine d’or. Merryl Lynch estime que le marché américain de l’éducation à distance ?” 3,5 milliards de dollars aujourd’hui, essentiellement dans les formations d’entreprise ?” pèsera 25 milliards en 2003.
Les grandes écoles ont peur de vendre leur âme sur le Net
Certes, la technologie a encore des progrès à faire et les Click2learn, DigitalThink, NetG et UNext. com peinent à rendre leurs produits aussi efficaces qu’un cours traditionnel, mais elles construisent malgré tout des organisations dont le chiffre d’affaires 1999 représente des centaines de millions de dollars. Rien de tout cela n’existe en France. Chez nous, les grandes écoles, l’équivalent des grandes universités américaines, qui pourraient servir de catalyseur, refusent de mettre en ligne leur précieux enseignement. Les HEC ou Essec ont bien sûr des projets d’intranet, destinés à faciliter le travail des élèves présents, mais pas question de s’ouvrir à l’extérieur en créant un module de cours sur le web. Elles craignent de galvauder leur contenu, dont, pensent-elles, la valeur tient à la rareté. Elles craignent une paupérisation de leur marque. Quant aux grandes écoles d’ingénieurs, l’ENA, ou Normale Sup, elles sont totalement absentes du paysage.Que faut-il pour faire une bonne université en ligne ? Des contenus, une marque et un savoir-faire technologique. Or, si la deuxième et la troisième condition sont remplies, le système français ne favorise pas l’émergence de contenus exploitables. Les universités américaines ont des traditions différentes : en caricaturant, disons qu’elles ne mettent pas seulement à disposition une marque et des chaises. Toutes ont leurs presses universitaires, alors qu’en France les professeurs publient chez des éditeurs externes. En langage économique, les universités américaines maîtrisent mieux la chaîne de la valeur, ce qui leur autorise une stratégie globale.
Les petits projets n’ont pas la cote auprès des investisseurs
En France, l’e-learning ne sera pas performant tant que les grands acteurs (les grandes écoles, les deux ou trois universités de référence et les grands de la formation) ne seront pas présents sur le marché. Aujourd’hui, il existe une multitude de petits acteurs désireux de promouvoir l’enseignement en ligne, mais il s’agit de cabinets de formation qui réalisent de 5 à 15 millions de francs de chiffre d’affaires. Ces entreprises, malgré la qualité de leurs initiatives, ne peuvent intéresser les investisseurs que nous sommes, car, en l’absence d’une marque d’envergure nationale, leurs projets ne peuvent laisser espérer un retour sur investissement suffisant pour que nous misions sur elles plusieurs millions de francs.Pourtant, l’e-learning est un enjeu de société important. Si l’on en croit Peter Drucker, le gourou du management, les campus universitaires seront, d’ici à trente ans, des vestiges du passé, car, dans l’économie nouvelle, le capital le plus précieux sera la connaissance.* Stéphane Boudon, capital-risqueur, General Partner chez CDC Innovation, s’occupe notamment des nouvelles technologies de l’information.
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