Start up et SSII enterrent la hache de guerre. L’accalmie sur le front de la net économie permet enfin aux unes et aux autres de souffler. Après deux ans de conflits autour des réalisations de sites internet, les prestataires – SSII et agences web – et leurs petits clients, aussi prometteurs qu’exigeants, tirent aujourd’hui les enseignements d’une “folle époque”.Comme dans le domaine financier, le retour aux pratiques anciennes est de rigueur, enrichies toutefois par les améliorations indéniables qu’ont apportées les modes de fonctionnement de la nouvelle économie. D’un côté, les prestataires rassemblent leurs énergies et mettent à profit les qualités et les méthodes de travail qu’ils ont dû déployer au cours de ces projets éclairs. De l’autre, les dotcoms se donnent les moyens indispensables pour piloter des projets stratégiques.
Amertume du côté start up, mais aussi du côté du prestataire
“Le produit qu’on ne veut pas, trois mois trop tard !” Voilà comment Raphaël Richard, créateur de CVFM et 24pm, résume l’opinion de ses homologues sur les pres- tataires. Des retards et la mau- vaise qualité des sites et des applications livrés ont ainsi provoqué de nombreuses difficultés chez les start up, entraînant même l’échec total de services n’ayant jamais vu le jour. Car l’enjeu est de taille. “Internet est notre seul magasin !”se plaît à répéter Raphaël Richard.Alexis Renard, directeur général de la start up Achatpro, garde un souvenir amer de sa première expérience de la Toile. “Nous avons jeté la première version de notre site et tout recommencé de zéro.” Il n’en oublie pas, pour autant, les aspects positifs. “Cet échec est à la fois une chance et une malchance. Nous avons remis en question certains choix, comme celui de la réalisation en spécifique. Mais c’était un enfer à gérer !”
Les SSII ont accepté des affaires incertaines
Cette amertume est partagée par les prestataires eux-mêmes, chez qui l’aventure a aussi laissé des traces. “Nous avons succombé à la folie générale du marché, en privilégiant le volume, comme nos concurrents qui cassaient les prix pour annoncer des références, reconnaît Jacques Tordjman, président-directeur général de GFI. Nous nous sommes arrêtés juste à temps”. De son côté, Christian Palix, cofondateur de Clust. com, une start up revendue depuis, l’affirme : “Il s’est produit un effet de spirale, un ouragan, qui nous a tous traversés au même moment.” Des clients par centaines, aussi prometteurs les uns que les autres, se bousculaient alors aux portes des SSII. Portées par l’euphorie, ces dernières ont bien souvent accepté des affaires incertaines, au risque de ne pouvoir tenir leurs promesses, faute de ressources humaines ou de compétences. “Durant l’année 2000, les prestataires voulaient tous travailler avec le petit Mozart avant qu’il ne devienne grand et prospère”, précise Régis Saleur, directeur général de l’incubateur Seeft Ventures. “Nous étions des proies faciles”, reconnaît Alexis Renard, de Achatpro. “Les start up réussissaient parfois à négocier des délais de paiement et des prix réduits. Cela a donné lieu à des rattrapages. Comme les conditions financières dépendaient de la levée de fonds suivante, les relations se sont vite gâtées”, explique Jean-Luc Rivois, président-directeur général du capital-risqueur Tocamak.Aux aguets, les investisseurs n’attendent pas. “L’essentiel, pour un créateur, est de mettre très rapidement au point son service pour prouver que le concept tient la route”, indique Brahim Hamdouni, responsable technique de l’incubateur Republic Alley. Or, les start up subissent des retards de livraison “d’un à six mois”, selon Yannick Gonnet, directeur associé d’Updesk, un autre incubateur.
Principal accusé, le cahier des charges
Au c?”ur de tous les conflits, le cahier des charges cristallise les aigreurs et les ranc?”urs des deux parties. Les besoins de la start up ne cessent d’évoluer de jour en jour, en même temps que son modèle économique. Les créateurs s’insurgent alors contre la rigidité de leurs interlocuteurs SSII. “Notre prestataire nous opposait un formalisme exagéré. Nous attendions plus de flexibilité et de réactivité de sa part. On ne peut pas tout mettre dans un cahier des charges !” s’exclame Christian Palix (Clust. com). “Souvent, il n’y en avait même pas, rétorque Jacques Tordjman (GFI), ou bien, on signait un bout de papier sur un coin de table.” Pour les prestataires, cela reste le fondement d’un projet – et d’un contrat commercial. Mais “il était très difficile d’obtenir des éléments écrits”, confirme Stéphane Amis, directeur général adjoint de Fi System, en charge, à l’époque, de la division dotcoms. Ou alors, le document “ressemblait davantage à un plan marketing”, selon Alain Lefebvre, vice-président de SQLi, société de création de sites ” intelligents “. Entre la rigidité des uns et l’inconstance des autres, tous reconnaissent les torts partagés. D’un côté comme de l’autre, on revient aujourd’hui vers des pratiques plus professionnelles. Moins nombreuses et moins pressées par la concurrence – le combat cessant faute de combattants -, les start up ont compris l’importance de la maîtrise des compétences techniques et fonctionnelles. Elles sont de plus en plus nombreuses à se doter d’un directeur informatique, chargé, au minimum, de piloter les prestataires. Au mieux, elles constituent un service informatique qui prend le relais.
Une maîtrise d’ouvrage interne forte
C’est le cas, par exemple, de ce site financier qui, échau- dé par un cuisant échec, embauche cinq ingénieurs d’un coup et rapatrie l’ensemble des développements chez lui. Reste que l’expression des besoins requiert une maîtrise d’ouvrage interne forte, plus souvent épaulée par des consultants extérieurs.Dans les SSII et les agences web, la chute des revenus et de l’image a vite produit ses effets. Ainsi, GFI a tourné définitivement la page : “Nous ne travaillons plus avec les dotcoms.” De même, Fi System se consacre désormais aux projets sur la Toile des grands comptes. Plus disponibles, et souvent renforcées par leurs échecs, les SSII sont aujourd’hui mieux armées pour servir les filiales internet des grands groupes. “Ces mésaventures profitent à nos gros clients. Nous sommes encore plus raisonnables qu’auparavant !” explique Jacques Tordjman (GFI). “Les dotcoms nous ont appris à être très réactifs et transversaux. C’est une population géniale, qui nous a fait progresser”, déclare Stéphane Amis (Fi System).Cette douloureuse période a propulsé de nouvelles méthodes de travail : des types de développement moins académiques, ainsi que la mise en place d’équipes pluridisciplinaires. “Ce mouvement de fond existait déjà, mais internet l’a accéléré.” Désormais, ingénieurs et consultants sont davantage impliqués dans les projets. Pour ce qui est de la réalisation, les SSII remettent en cause l’utilisation des méthodologies suivant les cycles dits en V. “En phase de réalisation, nous utilisons le développement rapide”, indique Stéphane Amis. “Au départ, nous formalisons un minimum d’éléments et nous fixons des points de sychronisation, explique Alain Lefebvre (SQLi). Nous progressons ainsi de façon itérative. L’avantage du développement rapide, c’est d’aboutir dans un délai et un budget fixés.” C’est alors le temps qui fait loi : on vérifie en permanence que la durée écoulée a permis de réaliser le ratio initialement prévu. Et s’il s’agit de créer un site internet, la maquette servira de guide.Enfin, certains, visant à faire équipe commune, explorent de nouvelles pistes. Christian Palix (Clust. com) planche ainsi sur une sorte de “régie inversée” qui consiste à inclure des ingénieurs maison dans l’équipe projet. Sous la responsabilité du chef de pro- jet prestataire, ils vont donc par- ticiper à la réalisation du début à la fin. “Les SSII semblent enthousiastes. Elles auraient ainsi un interlocuteur de qualité, capable de voler de ses propres ailes et, bien sûr, fidèle !” Applicable à tout type de projet, cette solution limiterait les ardeurs de prestataires voraces !
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