On se souviendra peut-être du mois de juin 2001 comme d’une étape révolutionnaire pour le commerce en ligne. Sur le Net, rien ne pourra plus se faire sans le consentement préalable du consommateur. En clair, toute exploitation des données personnelles ne pourra être effectuée sans l’autorisation de l’internaute.Le concept de permission marketing, prévu dans la modification de la directive européenne des télécoms de 1997 concernant le traitement des données personnelles, sera soumis en juin prochain au Parlement européen. Son adoption, lorsqu’elle sera transposée dans chacun des Etats membres, changera tout.Ce qui prévaut jusqu’à présent, c’est une pratique d’opposition, appelée opt out. L’inverse s’intitule l’opt in. Cela signifie, dans le premier cas, qu’il faut manifester expressément son opposition pour ne pas être sollicité et, dans le second, que le commerçant ou l’opérateur doit demander une autorisation.La problématique juridique en cours est complexe. La modification prévue pour juin concerne en premier lieu la directive sur le secteur des télécoms, mais elle devrait s’étendre à celle du commerce électronique adoptée en juillet 2000. Celle-ci prévoit un régime d’opposition de préférence à un système plus restrictif et, en théorie, plus protecteur de permission. Le commerce électronique étant par définition multicanal, on voit mal comment la prééminence du permission marketing ne serait appliquée qu’à l’une des voies de transit de la vente en ligne.
La vente à distance pour tous
Quel est l’enjeu ? Pour l’instant, il est encore faible. Selon la société d’études Forrester Research, le commerce en ligne auprès des particuliers ne représentait que 0,9 % des transactions totales en 1999. Mais il est attendu à 7 % en 2005… Il ne devrait plus être le seul fait de pure players comme Amazon, ou de vépécistes traditionnels comme La Redoute. N’importe quelle marque peut désormais pratiquer de la vente à distance, de Renault à Nestlé en passant par L’Oréal ou Carrefour.L’informatisation globale des instruments de commerce fait que des milliards de données personnelles vont transiter par le Web, le téléphone mobile et les ordinateurs des entreprises. Certaines seront utilisées anonymement à des fins statistiques, d’autres seront nominatives pour coller au plus près du profil des internautes. Cela s’appelle les bases de données, fondement du marketing one to one, autrement dit du commerce ultrapersonnalisé. C’est là que la notion de permission prendra tout son sens.La protection du consommateur n’a donc pas échappé aux autorités législatives européennes. Il ne sera plus possible de mettre en branle un automate d’appels ou de télécopies. A priori, Amazon.fr, qui pratique un régime d’opposition complexe devra se mettre au diapason. Sur le site hexagonal du numéro un mondial du commerce en ligne, il faut envoyer un e-mail à une adresse précise pour ne pas recevoir d’information ([email protected]). Pour que les données personnelles ne soient pas envoyées à des tiers, il faut là aussi prendre l’initiative en adressant un courrier électronique en blanc à une autre adresse spécifique ([email protected]).
La France est en retard
Cependant la directive de 1997 laisse la définition des sanctions à l’appréciation de Etats membres. Le droit pénal dépend toujours du droit national. En France, le code pénal intègre une disposition potentiellement applicable en cas de collecte déloyale de données nominatives quel que soit le moyen utilisé. L’amende peut dépasser les 300 000 euros (2 millions de francs). Mais, dans leur grande majorité, les Français ne connaissent pas cette législation. La ligne jaune est d’autant plus souvent franchie que peu de gens s’en émeuvent.Dans ce domaine, la France n’est pas particulièrement en avance. Selon Etienne Drouard, du cabinet Gide Loyrette Nouel et coauteur du rapport européen ” Communications commerciales non sollicitées et protection des données “, l’Hexagone “n’a toujours pas transposé la directive de 1997” sur les télécoms. Quant à celle sur le commerce électronique, le législateur s’est contenté de la répéter, “à la virgule près dans son projet de loi sur la société de l’information” qui fait, à l’heure actuelle, long feu.Cependant cette loi, résumée sous l’acronyme LSI, prévoit notamment qu’une publicité en ligne doit être identifiable comme telle et que les personnes physiques ou morales qui ne veulent pas être démarchées par téléphone ou courrier électronique peuvent s’inscrire sur un registre d’opposition dont les modalités seront déterminées par un décret du Conseil d’Etat. Seul accroc, la LSI permet aux opérateurs d’agir sur les traitements de certaines données “en vue de commercialiser leurs propres services de télécommunications, à condition que les usagers concernés y aient consenti”.Le gros enjeu qui attend les législateurs au début de l’été est donc la notion de consentement préalable. Dans certains cas, on assiste à une phase de revirement des professionnels jusqu’ici attachés au principe d’opposition. Les vépécistes traditionnels sont dans ce dernier camp, allant jusqu’à clamer que le permission marketing tuera le marketing direct.Leurs craintes pourraient être d’autant plus vives que le double
opt in commencerait à prévaloir. Cela signifie que l’internaute consent à recevoir un e-mail, puis qu’il confirme son accord. Le concept de double opt in ne se développerait pas par souci du respect de la vie privée, mais parce que ce modèle apparaîtrait comme étant le plus rentable : il a pour intérêt d’aboutir sur des fichiers très qualifiés et riches en renseignements. En effet, quoi de plus confortable, pour un commerçant, que de disposer des coordonnées d’un internaute qui paraît sensible à des propositions directement liées à ses centres d’intérêts ? L’adresse est ainsi vendue ou louée à un prix beaucoup plus élevé, la déperdition pour l’acquéreur ou le loueur étant logiquement plus faible.Il apparaît ainsi que le taux de clic sur un courrier préalablement consenti varie de 17 à 34 % contre 1 à 3 % pour un spam (un message envoyé en grand nombre). De la même façon, une étude réalisée par Harris Interactive pour IMT Strategies tendait à démontrer que 52 % des utilisateurs de messageries électroniques interrogés jugent le permission marketing positif, voire très positif. Dans les mois qui viennent, les législateurs devront finement trancher entre les intérêts des e-commerçants et ceux de consommateurs-électeurs trop souvent confondus avec des vaches bonnes à traire.
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