“Aujourd’hui, les prévisions de croissance des nouveaux entrants sur le créneau des logiciels business to business relèvent de la boule de cristal.” La remarque, venant d’un gestionnaire de portefeuilles, a de quoi faire frémir Commerce One et Ariba. Ces deux sociétés, nées en 1997, se sont spécialisées dans des solutions permettant aux entreprises de faire migrer en ligne leurs achats, notamment par le biais des places de marché. L’institut d’études IDC, qui a estimé ce créneau à 2,45 milliards d’euros en 2000, prévoit au moins 11 milliards d’euros de revenus à l’horizon 2004. Considérées un temps comme les étoiles montantes de l’édition de logiciels, Commerce One et Ariba ont perdu près de 90 % de leur capitalisation boursière en moins de six mois. Malgré son antériorité et son positionnement initial sur les logiciels de gestion des approvisionnements internes de l’entreprise, I2 Technologies a elle aussi essuyé la tempête.
Des niches envahies
Première cause de l’incertitude qui trouble l’activité de ces acteurs : la chute des investissements informatiques. Les entreprises dépensent moins et,surtout, mettent plus de temps à franchir le pas. Les cycles de décision pour la mise en place de projets e-business se sont allongés, de 4 mois en moyenne en 2000 à 7 mois aujourd’hui. Mais, surtout, ces projets ont totalement changé de nature.L’heure n’est plus à la place de marché ” publique “, rassemblant plusieurs acteurs d’une même industrie désireux de mutualiser leurs coûts. Embourbés dans des jeux de pouvoir ou de concurrence, les industriels préfèrent aujourd’hui des solutions ” privées “, qui connectent leur seule entreprise avec ses fournisseurs. “En 2000, les places de marché publiques représentaient la moitié de notre activité. Aujourd’hui nous sommes tombés à 5 %“, précise Gérard Dahan, le directeur marketing Europe du Sud d’Ariba.Ce revirement du marché tourne à la faveur d’acteurs implantés de longue date au c?”ur des entreprises comme SAP ou Peoplesoft. Leurs progiciels gèrent déjà les flux de commandes à l’intérieur des entreprises. Il leur est donc aisé de s’étendre vers l’e-business. Une vision confirmée par Jimmy Anidjar, président d’Oracle France : “Commerce One et Ariba se sont développées sur une niche, mais aujourd’hui ces niches sont devenues des fonctions standard offertes par les mastodontes de l’édition de logiciels.” Ariba avait bien tenté, début 2001, de se diversifier en annonçant le rachat d’Agile Software (centré sur l’automatisation et le suivi des échanges entre acheteurs et fournisseurs). Une opération qui est devenue trop coûteuse, et a finalement été abandonnée à cause du retournement des marchés.
Phagocytages
Même I2 cherche à atteindre une masse critique, en terme de fonctionnalités, par une politique d’acquisition mais également par le développement avec Accenture de solutions se rapprochant des progiciels de gestion intégrés. Incapable de suivre le même chemin toute seule, Commerce One a préféré se rapprocher de SAP, qui avait pris 4 % de son capital en juin 2000. Le 29 juin 2001, l’éditeur allemand a injecté 263 millions d’euros (1,725 milliard de francs) pour monter à hauteur de 20 % dans Commerce One qui ne disposait, au mieux, que de deux ou trois mois de trésorerie. Malgré une réduction de ses effectifs de 10 % début 2001, la société a brûlé 114 millions d’euros sur le seul premier trimestre. Certains analystes ont alors pronostiqué une acquisition à 100 %. Mais, selon le directeur marketing produits de SAP France, Jean-Michel Franco, ce mouvement n’annonce ” en aucun cas un rachat “. Plus pragmatique, Jimmy Anidjar explique : “Dans les 12 à 24 mois, SAP aura complètement phagocyté la technologie de Commerce One. Ils n’auront plus aucun intérêt à investir encore“. Début juillet, c’était au tour d’Ariba de faire l’objet de rumeurs de rachat, le titre gagnant jusqu’à 22 % le 2 juillet.Pourtant avec 351 millions d’euros en caisse et une dépense de cash de 4,68 millions d’euros par mois, Ariba peut tenir encore longtemps. Et son président a rappelé que sa société “n’était pas à vendre “. Un discours qui vient contredire Navi Radjou, analyste chez Forrester Research, pour qui “les jours de Commerce One et d’Ariba sont comptés. La seule porte de sortie envisageable étant un rachat par des acteurs traditionnels.“
Partage des risques
Mais, selon Richard Davis, de la banque d’affaires américaine Needham, ces sociétés sont encore “ trois fois trop valorisées” pour intéresser les géants du secteur. Faute de bouée de secours, Commerce One et Ariba revoient leur modèle économique de fond en comble. Priorité : montrer aux industriels que ces solutions peuvent réellement leur procurer un retour sur investissement.Pour cela, Ariba comme I2 sont prêts à réduire le ticket d’entrée en revoyant à la baisse les tarifs des licences de leurs solutions. “Pour convaincre nos clients, nous sommes désormais prêts à partager les risques avec eux. Une partie de nos revenus sera indexée sur le retour sur investissement“, annonce Gérard Dahan d’Ariba. Reste à savoir si ces éditeurs ont les reins suffisamment solides pour étayer cette stratégie de partage de risques tout en attendant l’arrivée de cette nouvelle manne. Une traversée du désert qui, selon Emmanuelle Olivié-Paul, directeur associé du cabinet de conseil Markess International, pourrait durer jusqu’à deux ou trois ans.
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