Passer au contenu

” Droit à la déconnexion : la vie privée au XXIe siècle “

“Je peux enfin travailler chez moi ou pendant mes congés !” Depuis Aristote ou Voltaire, le travailleur du savoir fait marcher ses neurones n’importe où, n’importe…

“Je peux enfin travailler chez moi ou pendant mes congés !” Depuis Aristote ou Voltaire, le travailleur du savoir fait marcher ses neurones n’importe où, n’importe quand. Mais avec les disquettes emportées le vendredi soir et maintenant internet, c’est désormais tout le bureau qui peut le suivre ?” sinon le précéder ?” en toutes circonstances.Délocalisation géographique et temporelle généralisée du travail… au moment même où la France étend les trente-cinq heures ! Ces trente-cinq heures qui exigent de compter ?” et donc de décompter ?” un travail de moins en moins mesurable. Cette ubiquité n’interpelle pas seulement les juristes : elle percute frontalement toute la vie extraprofessionnelle, pouvant mettre en difficulté la vie familiale et sociale sans que le salarié ne s’en aperçoive vraiment avant l’explosion.Ainsi, le don d’ordinateurs à l’ensemble du personnel avec abonnement gratuit à internet ?” Vivendi, Prisma, EDF actuellement pour 1 milliard de francs ?” réduira certainement le nombre des illettrés technologiques tout en contribuant au maintien de leur employabilité. Mais ce matériel personnel remis par l’entreprise est également une solide invitation à la délocalisation d’un travail dont la charge s’alourdit sans fin avec l’obligation de résultat.“Le salarié n’est ni tenu d’accepter de travailler à son domicile, ni obligé d’y transporter ses dossiers et ses instruments de travail” : la Cour de cassation a fermement pris position dans son arrêt Zürich Assurances du 2 octobre 2001 rendu sur le fondement du respect de la vie privée. Elle a, en l’espèce, accepté qu’un cadre se considère comme licencié par son employeur qui avait supprimé son bureau, voulant, dès lors, l’obliger à travailler en permanence à son domicile.Il paraît légitime de rappeler que : 1- Si l’on peut travailler n’importe où, le domicile n’est justement pas un lieu comme un autre, mais le sanctuaire de l’intimité de la vie privée. Et pourquoi pas, demain, une webcam posée sur l’ordinateur pour s’assurer que c’est bien le salarié qui travaille devant le poste ? 2- Une modification aussi essentielle de la vie privée doit recevoir l’accord de la personne concernée… et de son entourage si l’on ne veut pas que le travail à domicile devienne un instrument efficace de contrôle des naissances. 3- Mais le travail à domicile peut s’avérer une excellente solution s’il résulte d’un souhait du salarié de bénéficier de davantage de flexibilité à un moment de sa vie. Cet arrêt du 2 octobre était prévisible : la Cour de cassation cherche légitimement à endiguer cette opération grignotage commencée il y a quinze ans par la démocratisation des astreintes, rendues beaucoup moins contraignantes avec les Alphapage, puis les mobiles.Négociée, cette nécessaire déconnexion technologique se révélera d’ailleurs favorable à l’entreprise. Nombre de ces dernières s’étant rendu compte que le conflit permanent vécu par les cadres ?” les femmes en particulier ?” n’était, à terme, propice ni à la productivité ni à la fidélité des meilleur(e)s. Les sondages montrent ainsi que, dans toute l’Europe, ce conflit est de plus en plus mal vécu par les intéressé(e)s, tiraillé(e)s entre travail et famille. (*) Auteur du Droit du travail à l’épreuve des NTIC ; éditions Liaisons ; collection Droit vivant ; 2001.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Jean Emmanuel Ray