Passer au contenu

Double sanction pour les courtiers en ligne

Déprime boursière et baisse des transactions moyennes… Les brokers online sont victimes d’un effet de ciseaux. En attendant une embellie, ils tentent de se diversifier, notamment dans l’e-banking.

Accrocher un nouveau client revient trois fois plus cher qu’il y a un an pour une rentabilité trois fois moindre. ” Yves Naccache, président du directoire de Consors France (qui a publié ses résultats le 27 mars), ne mâche pas ses mots face à la déroute boursière et commerciale des acteurs de la Bourse en ligne. Ce constat sans appel est largement partagé par l’ensemble des courtiers en ligne et la communauté financière. L’e-courtage est confronté à un véritable casse-tête. Pour séduire de nouveaux prospects, qui se font de plus en plus rares dans un contexte boursier baissier, ils doivent dépenser trois fois plus d’argent qu’il y a un an en publicité. En revanche, contrairement aux années passées, les nouveaux clients, moins familiers des mécanismes, réalisent fatalement moins de transactions.

Discrédits boursiers

” Désormais, les courtiers doivent séduire une catégorie de clientèle forcément frileuse face à la chute des marchés “, résume un analyste financier. Avant d’ajouter que les études du secteur sont à relativiser. L’association Brokers-on-line estime que le nombre de comptes a progressé de 4,5 % au mois de février, pour atteindre le record de 444 113. Mais bien malin celui qui distinguera, à travers cette étude, la création d’un compte titre ex nihilo d’un simple transfert de compte d’une banque traditionnelle vers sa filiale d’e-courtage. On ne peut donc pas en conclure que les brokers séduisent uniquement des néophytes, c’est-à-dire une nouvelle clientèle dont le potentiel d’activité reste à naître. En effet, selon une majorité d’analystes financiers, le nombre moyen de transactions ne serait plus que de trois à quatre par mois !Après avoir été au plus haut avant l’e-krach du mois de mars dernier, les valorisations en Bourse chutent de jour en jour. En un an, ces sociétés ont perdu près de 80 % de leur valeur, pour rejoindre le club de moins en moins prisé des ” penny stock ” (voir LNH du 9 mars). Fimatex a vu son cours en Bourse tomber de 35 à 5 euros (230 à 33 francs) en douze mois. Pourtant, tout va bien pour la filiale de la Société Générale, qui annonce 9 637 comptes ouverts et revendique ” les clients les plus actifs des courtiers en ligne, avec 63 millions de transactions annuelles, soit deux fois plus que la moyenne du secteur “, commente son président, Vincent Taupin.Le même discrédit boursier frappe Self Trade. Mais ce broker online vient d’annoncer une perte avant impôt de 71,4 millions d’euros ?” près de quinze fois la perte de 1999 ! Désormais propriété de l’Allemand Direkt Anglade Bank (DAB), Self Trade a vu sa capitalisation boursière fondre de 70 % depuis le début de l’année. ” Nous devons séduire de nouveaux clients en offrant également des produits d’épargne, comme de l’assurance vie ou des Sicav “, explique son président, Charles Beigbeder. Pour cela, l’établissement n’a pas hésité à dépenser 45 millions d’euros en marketing et communication. Pourtant, avec l’ouverture de 1 900 comptes en un an, l’opération tarde à porter ses fruits.Élargir la gamme des produits est la riposte de tous les courtiers. ” Il n’y a pas d’autre issue face à la baisse des transactions “, constate, amer, Philip Gellman, président du conseil d’administration de Bourse Direct.

L’exemple des États-Unis

Les courtiers français suivent en cela l’exemple américain, où le contexte n’est pas moins difficile. Le broker E-trade doit ainsi son salut à sa diversification dans la banque en ligne, qui limite l’impact de la baisse des marchés financiers sur son activité. Il vient d’annoncer un bénéfice de 5,8 millions de dollars (6,55 millions d’euros) au premier trimestre, contre une perte de 38,1 millions pour l’exercice précédent. Parallèlement, le chiffre d’affaires a bondi de 22 %. Des ratios qui ont de quoi faire pâlir son concurrent Schwab, le numéro 1 américain, qui vient de réduire ses effectifs de 13 % en supprimant quelque 3 400 emplois. La diversification d’E-trade était la seule échappatoire face à la chute vertigineuse des transactions, en baisse de 31 % en douze mois. Reste à savoir si ce modèle est importable dans l’Hexagone où, contrairement aux États-Unis, il est possible d’acheter des produits d’épargne à tous les coins de rue, y compris à La Poste. À l’origine, les courtiers en ligne proposaient aux internautes d’intervenir au fil de l’eau sur les marchés boursiers. L’argument commercial, à peine déguisé, était de jouer jeu égal avec les professionnels. Face à la crise, ils proposent désormais des investissements dont l’horizon de placement est très éloigné du trading au jour le jour. En effet, pour un internaute, quel est l’intérêt de souscrire en temps réel à une Sicav dont la valeur liquidative n’est valorisée qu’en fin de journée, ou encore à un contrat d’assurance vie où il faut rester investi au moins huit ans pour bénéficier d’une carotte fiscale ? ” Il y a là une contradiction : les courtiers en ligne ont basé leurs “business plan” sur une clientèle interactive, et ils en sont à lui proposer des placements de rentiers “, commente, dubitatif, un gestionnaire de patrimoine.

L’avenir des e-courtiers

À la lumière de ces chiffres, on peut s’interroger sur l’avenir des courtiers en ligne. Une étude de JP Morgan prévoit une multiplication des comptes par six d’ici à 2003, avec un objectif de 2,5 millions de comptes. Mais ces belles prévisions permettront-elles à la trentaine de brokers français, dont les quatre actuellement en Bourse, de sortir de l’impasse et de rester indépendant, du moins pour ceux qui le sont encore ? Face à l’envolée des dépenses nécessaires pour générer des comptes titres, seuls les établissements qui disposent d’une importante trésorerie pourront survivre. Il n’y a pas d’inquiétude à avoir pour Fimatex, filiale de la Société Générale, Consors, filiale de l’Allemand Consors AG, ou encore Self Trade, propriété de l’Allemand DAB. Mais quel avenir pour Bourse Direct, qui ne détient que 2 % du marché français ? Sa trésorerie est bien faible : 4,5 millions d’euros, contre 17 pour Consors, 110 pour Self Trade, et 150 pour Fimatex. De fait, on évoque régulièrement des rumeurs de rachat. Mais à son cours actuel, la capitalisation boursière de la société ?” évaluée à 25 millions d’euros pour quelque 7 800 comptes ?” demeure élevée, alors que la rentabilité n’est pas attendue avant 2002. Apparu dans un contexte d’euphorie boursière, le secteur des courtiers en ligne demeure trop atomisé. Des regroupements sont toujours à l’ordre du jour.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Jean-Pierre Savalle