Riche d’expériences professionnelles variées, Dominique Jacquet, DSI atypique, innove et force la modernisation du système d’information de l’Apec. En posant sur des pratiques convenues un regard peu complaisant.01 DSI : dans quels projets importants vous investissez-vous ?
Dominique Jacquet : ils sont de trois types. Nous gérons des projets pour améliorer la qualité de service offerte aux différents métiers de l’entreprise, d’autres pour réduire les coûts et, enfin, des projets destinés à
piloter et à maîtriser le système d’information.
A mon arrivée à l’Apec (Agence pour l’emploi des cadres), j’ai positionné la DSI comme prestataire interne, au service des métiers. Pour être efficace, je me suis fixé l’objectif de mettre au point des contrats de services. Pour cela,
il fallait définir des indicateurs afin d’évaluer la qualité des services rendus. Certains indicateurs sont plus particulièrement destinés à la direction générale, d’autres aux directions métier. Pour moi, un indicateur qualité est une valeur
objective, à mesurer en permanence.
La démarche impose la mise en place d’outils de mesure. Cela prend du temps. Avant d’identifier les services, il faut identifier les clients. En interne, ce sont surtout les consultants [les agents de l’organisme,
NDLR], mais aussi les directions opérationnelles ; les clients externes sont les cadres, les jeunes diplômés, les entreprises et tous les internautes potentiels.Commençons par les projets touchant à la qualité…
Depuis trois ans, l’audience internet est passée de 40 000 à 120 000 visites par jour. Elles durent en moyenne dix minutes. L’équivalent en face à face exigerait plus de trois mille consultants, alors que l’Apec n’en
compte que six cents. La clientèle internet est exigeante, mais l’audience augmente. Cela va dans le sens de la stratégie de développement de l’Apec.
Pour le Web, j’ai fait appel à des prestataires qui mesurent la qualité des services : un tableau opérationnel m’indique si le Web fonctionne en termes de temps de réponse et de disponibilité. Je dispose de tableaux de bord
permettant des comparaisons de la qualité de service en fonction du fournisseur d’accès de l’internaute, d’outils de comparaison avec les sites concurrents, d’outils d’analyse de l’audience.
La structure de l’audience évolue. En trois ans, nous avons ouvert un site pour les recruteurs, un pour les jeunes diplômés et une nouvelle version du site cadres. Ces outils mis en place, nous avons fixé des objectifs de qualité et
vérifions tous les mois qu’ils sont atteints. Sinon, un plan d’action est élaboré.Et pour l’interne, vos chantiers actuels ?
Nous avons mis en place des contrats de services avec les utilisateurs. De ce fait, je sais générer un tableau de bord synthétique mensuel relatif au service fourni à chacune des directions utilisatrices, mes clients. Les grandes
familles d’indicateurs sont la qualité du poste de travail, la disponibilité des applications, leur fiabilité et leur performance (temps de réponse). Pour chaque indicateur, nous prenons des engagements de niveau de service ; tous les mois,
nous obtenons une note mesurant notre aptitude à tenir quotidiennement ces engagements.
Le tableau de bord relatif à chaque contrat de service est ainsi très simple, et très parlant pour l’utilisateur. Ces tableaux de bord font partie des moyens qui permettent d’améliorer les relations entre les utilisateurs et
l’informatique. Bien sûr, les mesures sont objectives. La méthode de mesure est très pénalisante pour le prestataire de services que je suis, car le moindre défaut se traduit par une baisse importante de la note qualité. Mais il ne faut pas hésiter
à publier une mauvaise note ; c’est l’occasion d’en discuter avec les utilisateurs, d’expliquer l’origine des dysfonctionnements et d’annoncer le plan d’action mis en place pour éviter qu’ils ne se reproduisent.
Dans le but d’améliorer l’efficacité de la DSI, il est nécessaire de veiller à la mise en place de solutions technologiques autorisant une réduction des coûts, sans nuire à la qualité. C’est pourquoi aux contrats de service
s’ajoutent des projets pour optimiser l’infrastructure technique.
J’ai notamment les projets suivants. Tout d’abord, la consolidation de mes serveurs. Sous Unix, nous avions tendance à avoir une application par serveur. Avec des montées en puissance, il est évident qu’aujourd’hui l’utilisation de
nouvelles architectures où les applications sont installées dans des partitions est plus économique. C’est un de mes axes d’étude actuels. Deuxième projet, l’optimisation de l’espace de stockage dans l’environnement Unix : on vient d’installer
un SAN [Storage Area Network, ou stockage en réseau, NDLR].
Enfin, nous avons mis en place des technologies de clusters pour garantir une meilleure continuité de service. Ceci doit contribuer à mieux garantir mes contrats de services en termes d’accès et de temps de réponse.Et pour maîtriser les coûts, comment vous y prenez-vous ?
A l’époque du mainframe, les coûts étaient principalement portés sur les unités centrales. Aujourd’hui, ils le sont majoritairement sur les postes de travail. Nous avons un projet important pour baisser le coût par poste de travail.
Notre parc est déjà assez homogène, mais nous allons déployer une approche client léger au premier trimestre 2005.
Les économies découleront de la conservation des postes pendant cinq à six ans, au lieu de trois aujourd’hui. Sont concernés 1200 postes sur nos 45 sites en France. Sur ce projet s’en est greffé un autre, celui de la
banalisation des postes de travail, ainsi que la mise en place d’une procédure d’identification unique.Faire rimer qualité et productivité, c’est possible ?
Au départ, il faut bien identifier les clients et les services, et mettre en place des indicateurs quantitatifs… Mais ce qui compte aussi pour un DSI, c’est le volume de services rendus, car la direction des systèmes d’information
est prestataire de services pour l’entreprise. Si nous étions une société externe, plus le volume de services augmenterait, plus le chiffre d’affaires irait dans le même sens. Pour un prestataire externe, c’est bien le chiffre d’affaires qui compte.
Pour moi, DSI, l’important, c’est mon budget. Mais les deux approches sont comparables. Un prestataire de services, bien entendu, doit augmenter sa productivité et essayer également d’augmenter son chiffre d’affaires.
Un DSI à qui l’on demande de plus en plus de services va tenter d’y parvenir pour un coût de moins en moins élevé, Ce qui ne veut pas dire qu’il baissera son budget, mais qu’il améliorera sa productivité et le volume de services
rendus. D’où l’idée de quantifier ces services rendus, de les exprimer en termes d’unités métier. J’ai appelé cela ‘ unité de service métier ‘. A mon directeur général, je ne vais pas dire que le temps
CPU ou que l’espace disque coûtent de moins en moins cher, ni que la page imprimée revient à tant, etc. Non. Je vais lui dire que l’opération cadre [le traitement de son dossier, NDLR], la visite d’un cadre à l’agence ou la
visite d’une entreprise par un consultant vont coûter de moins en moins cher. Ça change tout, parce que je parle le langage de l’entreprise.
Je dispose aujourd’hui de quatre ans d’historique. Je peux ainsi montrer à mon directeur général que, bien que mon budget augmente, le coût de l’unité de service métier diminue. Le volume d’unité service métier m’est donné, chaque
année, par les directions utilisatrices elles-mêmes, en fonction de leur stratégie. Cet alignement stratégique et cette mise en perspective mettent en évidence que l’informatique sait améliorer sa productivité et qu’elle génère des économies
mesurables. Elle est donc créatrice de valeur. D’ailleurs, certains tableaux montrent combien l’informatique fait gagner à l’entreprise.Justement, quels sont vos rapports avec la direction générale ?
Mon objectif pour l’année prochaine n’est pas de diminuer mon budget, mais de parvenir à une baisse du coût de l’unité de service métier. Cette approche présente un avantage : si je n’atteins pas l’objectif fixé, c’est, en règle
générale, parce que l’entité concernée n’a pas atteint ses objectifs de volume à cause de la conjoncture ou bien d’une erreur de stratégie… Cela permet un dialogue objectif entre la DSI, les directions métier et la direction générale.Les DSI vivent souvent des relations difficiles avec leurs fournisseurs. Et vous ?
Mes relations avec mes fournisseurs sont excellentes ! Au cours de ma carrière, j’ai plutôt rencontré des gens honnêtes et de toute confiance. De toute façon, la confiance et la fidélité, de part et d’autre, sont essentielles dans
ce domaine. S’il y a un problème, on en parle. C’est pour cette raison que je suis opposé au référencement des sociétés de service. Quand je cherche un développeur ou un consultant, ce qui m’importe, c’est la personnalité de mon interlocuteur, et
pas la société qui l’emploie.
Trop souvent, les directions achat ne référencent que les grosses SSII. Je crois qu’en termes de prestations informatiques, cela va à l’encontre de l’intérêt des entreprises. Car il m’arrive de penser que plus la société de service est
importante, plus le chef de projet qu’on vous propose est cher, sans qu’il soit plus compétent. Du reste, à l’Apec, il n’y a pas de direction achats.Quelle est votre stratégie en matière d’externalisation ?
A l’Apec, la DSI compte une cinquantaine de personnes. J’ai connu des entreprises aux services informatiques pléthoriques, avec parfois des centaines de personnes en trop… Et qui externalisaient. Pour moi, cela constituait un aveu
d’impuissance. A l’Apec, j’ai trouvé, au contraire, un service informatique en sous-effectif. Dans cette situation, l’externalisation ne vexe personne. C’est déjà plus agréable… Notre entreprise ne peut pas, compte tenu de ses ressources,
effectuer un certain nombre de tâches. Un exemple simple : nous avons externalisé le pilotage et la surveillance du Web la nuit, le week-end et les jours fériés.
Ce choix ne fait d’ombre à personne, puisque que la production interne n’assure ces tâches que durant les horaires de bureau. Cela a contribué à améliorer la qualité du service. Autre cas, nous avons externalisé la gestion de nos
1200 micros répartis en France pour obtenir un service de qualité. Et nos applications sont hébergées chez un prestataire extérieur.
De façon plus générale, j’estime que, pour certains grands comptes, l’externalisation est une aberration parce qu’ils disposent d’énormes possibilités d’économie d’échelle. En revanche, lorsque l’on est petit, que l’on dispose de peu
de ressources humaines, cette opération se justifie. Non pour faire des économies, mais pour améliorer le service.
Je considère que notre DSI doit conserver les tâches les plus motivantes et les plus proches du métier de l’Apec, notamment la conception des applications, la rédaction des dossiers de spécifications fonctionnelles, la veille
technologique, certaines études concernant l’évolution de l’infrastructure, l’administration des données, le suivi de la qualité.Quelle est la place de l’informatique au sein de l’entreprise ?
En tant que prestataire, je suis au service des directions métier. La veille technologique peut suggérer des solutions nouvelles, et c’est donc mon rôle de les leur proposer. Notre avantage par rapport à un prestataire externe, c’est
justement de pouvoir suggérer d’autres solutions à ‘ nos clients ‘. Mais ce n’est pas à l’informatique de définir la stratégie de l’entreprise ; elle s’aligne.Comment vivez-vous votre métier ?
C’est passionnant. je suis ingénieur agronome. Je ne voulais pas faire de la recherche pour la recherche. Pour moi, l’informatique, c’est de la recherche appliquée ; on est toujours en train de chercher de nouvelles solutions,
notamment parce qu’on est poussé par la technologie.
Je prêche peut-être pour ma paroisse, mais je pense qu’un DSI devrait avoir une expérience de la production, pour savoir de quoi il parle. Bien souvent, la production est la bête noire et reste le seul objet de la réduction des coûts.
D’ailleurs, c’est mon prochain challenge. Je suis persuadé qu’il y a des gains importants à réaliser dans ce domaine. Il y a un véritable enjeu à mesurer la productivité des développeurs.
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.