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DJI, Acer : malgré les sanctions, les produits (et composants) électroniques arrivent quand même en Russie

Entre Acer et DJI pour les produits grand public, et STMicroelectronics et Texas Instruments pour les composants, la Russie arrive tout de même à mettre la main sur des pièces qui lui permettent de mener sa guerre. Mais si les routes parallèles existent, la Russie paye ses équipements au prix fort et ne peut se procurer de grandes quantités.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a conduit le bloc occidental mené par les Américains à livrer des armes à l’Ukraine d’un côté, et à bloquer le développement militaire et économique de la Russie de l’autre. L’un des principaux leviers des occidentaux est le blocage des exportations des entreprises. Un mécanisme de pression qui empêche les sociétés, même étrangères, de commercer avec la Russie sous peine de se voir interdite d’accès à l’énorme marché américain.

Ici, un drone DJI de cartographie industrielle “Matrice 300” aux mains des forces russes.

Pourtant, deux entreprises ont été pointées du doigt la semaine dernière : le chinois DJI, numéro 1 mondial du drone civil, et le Taïwanais Acer, marque du top 5 mondial des vendeurs de PC. Dans les deux cas, il ne s’agit pas de composants de pointe (on pense aux puces Nvidia H100, interdites de vente à la Chine), ni de composants militaires, comme les systèmes optiques que la France livrait à la Russie pour ces tanks avant l’invasion du Donbass en 2014.

A lire aussi : Le PC russe « anti-sanctions » est là… et il ne servira à rien (juin 2023)

Pourtant, quoique « civils », les appareils dans le collimateur ont potentiellement des usages militaires. Il suffit de regarder l’évolution de la guerre moderne pour se rendre compte que les équipements électroniques de masse peuvent être détournés de leurs usages civils, et avoir un impact décisif sur le champ de bataille : guidage des systèmes d’artillerie ou frappe direct en mode suicide pour les drones (deux fonctions élevées au rang d’art par les Ukrainiens), communications et pilotage avec des PC portables (via Starlink notamment).

DJI au cœur de la « Kazakh connection »

Deux entreprises ont donc vu leur nom remonter la semaine dernière, la plus « tactique » des deux étant le chinois DJI. Devenue, en à peine une décennie, le numéro 1 mondial du drone civil, l’entreprise chinoise est un cador dans de nombreuses technologies : algorithmes de pilotage automatique, algos de détection des obstacles, systèmes d’imagerie (l’entreprise a même racheté la marque photo suédoise Hasselblad et développe ses propres optiques à monture maison pour capteur APS-C), etc. DJI n’est pas numéro 1 pour rien.

A lire aussi : La Russie n’a plus d’options pour faire produire ses processeurs (décembre 2022)

Et sa maîtrise des cieux et de l’image font de ses produits des outils militaires parfaits : les hauts volumes de production permettent aux deux armées de s’équiper en masse de produits « jetables ». Et leur précision couplée à leur qualité d’imagerie en font des « yeux » volants parfaits… qui peuvent aussi se transformer en « loitering ammunition » ou drone suicide.

systèmes autonomes aériens en Ukraine
© Fondation pour la recherche Stratégique

Un rapport du « Organized Crime and Corruption Reporting Project » (OCCRP) a mis en lumière les mécanismes d’arrivée des drones en Russie. Avec, non pas la complicité de DJI (qui semble cependant un peu laxiste), mais une « connexion kazakhe ». Un système bien huilé d’entreprises partant de la Chine vers les Pays-Bas, le Kazakhstan (qui a une union économique avec la Russie) puis différentes entreprises russes. Pour permettre à des drones de finir soit dans les marketplaces locales, mais aussi d’être directement achetées par des associations de vétérans ou des organisations pro-guerre. En clair : pas d’achat direct de la part du gouvernement russe. Mais la même finalité : ces précieux drones finissent tout de même dans les mains des combattants russes.

Acer « complice » par sa filiale suisse

Soulevé par nos confrères de Reuters, le cas d’Acer est bien plus épineux. Car le Taïwanais a directement exporté pour pas moins de 70 millions d’euros de biens électroniques vers la Russie entre le 8 avril 2022 et le 31 mars 2023. Ce alors que l’entreprise avait, comme la quasi-totalité des entreprises du secteur, annoncé la cessation de toutes ses relations économiques avec l’envahisseur russe. Ce volume d’échange, Acer le reconnaît bien volontiers, mais explique qu’il ne s’agit « que de moniteurs » et que le commerce, effectué via sa filiale suisse, s’est déroulé « en nous assurant du respect des sanctions internationales ». Acer ajoutant même (avec un joli culot), qu’il « adhère strictement aux régulations internationales et lois sur les échanges commerciaux relatifs aux exports vers la Russie ». Seulement voilà, en plus des moniteurs, il s’avère qu’Acer a aussi vendu des PC portables. Et tout comme les drones, les laptops sont désormais des outils militaires potentiels, autant dans les domaines du maintien de la chaîne de commandement que dans les communications, le contrôle potentiel de véhicules, etc.

Si nous avons mis le mot complice entre guillemets dans l’intertitre, c’est que sur le plan purement légal, il semble qu’Acer soit dans les clous, comme le soulignent nos confrères de Reuters. Le hic pour l’entreprise taïwanaise est que ce genre de deals, passablement lucratifs, peuvent susciter l’ire de l’Oncle Sam (et Taïwan a besoin du soutien américain). Et avoir un impact négatif sur son image de marque, en se plaçant dans la position parfois inconfortable des marques « immorales ».

Les composants électroniques occidentaux aussi arrivent en Russie

Outre l’arrivée sur le sol russe de produits grand public, le rapport de OCCRP montre que la Russie arrive aussi à s’approvisionner en composants électroniques. Et point d’entreprises asiatiques mises en cause ici, mais des groupes américains (Analog Devices, Texas Instruments), allemand (Infineon) ou franco-italien (STMicroelectronics). L’impact de ce trafic est potentiellement encore plus grave, car ces composants nus sont potentiellement employés pour produire de vrais appareils militaires. Comme l’Orlan, un drone russe de 15 kg. Initialement développé pour l’observation, ce drone de moyenne portée qui peut être utilisé en groupe (observation, relais, guerre électronique, etc.) a depuis été en partie détourné par l’armée russe pour en faire, quand le besoin s’en fait sentir, un drone explosif.

Initialement déployé en Syrie en 2015, le drone Orlan-10 est un vrai exemple de « bricolage » de la part de la Russie. Au cœur de son fonctionnement, on retrouve un processeur issu de chez STMicroeletronics (composants pros), mais aussi du matériel grand public. Le système d’imagerie est en effet basé sur des reflex numériques de chez Canon (EOS 750D ou EOS 800D) couplé avec des Canon EF 50 mm f/1.8 ou EF 85 mm f/1.8 USM. Un appareil photo reflex grand public (d’ancienne génération) et des optiques à prix très modérés, qui sont détournés pour observer et éventuellement frapper les Ukrainiens.

Des produits grand public aux composants, on voit ici, dans tous ces contextes différents, que les Russes peuvent quand même se procurer des composants. Est-ce à dire que les sanctions ne servent à rien ? Pas du tout. Si ces voies parallèles existent, les mécanismes de blocages ont deux effets majeurs : ils empêchent les achats en grands volumes, privent (ou limitent) les mécanismes de garantie. Et surtout, ils frappent durement au porte-monnaie, le supplément d’intermédiaires et de « bidouillages » impliquant des prix d’achat parfois trois fois plus élevés. Il faut juste serrer la vis en permanence pour fermer les différentes routes d’approvisionnement qui, appât du gain oblige, existeront toujours.

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Source : Organized Crime and Corruption Reporting Project


Votre opinion
  1. “limite la garantie”
    On peut se faire rembourser son Canon si on l’attache a une drone-suicide ?

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