Passer au contenu

Directeur généralLes apprentis sorciers de la Net-économie

Le Net oblige le directeur général à communiquer. En interne, il utilise le réseau pour fournir à ses collaborateurs les données dont ils ont besoin afin d’accroître leur productivité. En externe, il y recourt pour rationaliser ses rapports avec ses fournisseurs et ses clients.

En cinq ans, le paysage de l’économie a subi de grands bouleversements. Pas facile dans ces conditions d’assumer les fonctions de directeur général. Un nouveau modèle se met en place, des investissements jusque-là inimaginables se généralisent et les rapports au sein même de l’entreprise se transforment. Des années que ces dirigeants ne sont pas près d’oublier. En 1996, la Net-économie fait timidement son apparition. Peu en parlent, peu investissent. En 1999 et jusqu’à mi-2000, ringard celui qui n’est pas internet et “netéco“. Fin 2001, fou celui qui a pu y croire. Ne jetons la pierre à personne. Observons ce qui s’est passé durant toutes ces années et voyons ce que la Net-économie a changé dans la façon de gérer les entreprises.

Le directeur général surfe et veut sa photo sur le web

En 1996, lancer une entreprise internet ?” on ne parlait pas encore de start-up?” n’était pas de bon ton. Cinq ans plus tard, c’est de nouveau vrai. La situation est identique avec, toutefois, une nuance : internet on connaît, on y est allé. Que s’est-il passé entre temps ?En 1996, deux compères, Gilles Ghesquières et Jean Postaire, se présentent aux investisseurs avec une idée : créer une société autour d’un annuaire et d’un moteur de recherche français sur internet. L’idée n’est pas révolutionnaire (des moteurs anglophones existent déjà), mais cela n’intéresse aucun investisseur. À l’instar de nombreux autres pionniers de l’internet, ils se lancent dans l’aventure sur fonds propres…Ces défricheurs du Net sont néanmoins suivis de près par quelques grands noms de l’industrie et de la distribution qui sentent l’importance du mouvement qui s’amorce. Elf-Aquitaine, Peugeot-Citroën, les Galeries Lafayette sont de ceux-là. L’heure est aux sites institutionnels (présentation de la société, informations annexes et produits sommairement présentés), avec parfois de timides tentatives de vente en ligne aux 3 Suisses ou chez Nouvelles Frontières par exemple.1996 est également l’année de naissance de Netfund, un site mettant en ligne des informations boursières. Une véritable révolution pour les directeurs financiers et généraux qui peuvent enfin obtenir ces précieuses informations en ligne avec seulement quelques minutes de décalage et sans abonnement.Courant 1997 les choses s’accélèrent. La SNCF, l’ANPE, la Société générale, le groupe Lagardère, le Crédit agricole, le Crédit commercial de France… s’affichent sur le Net. Au 30 juin 1997, 7 250 noms de domaine en .fr sont déjà déposés. Six mois plus tard, Orianne Garcia ?” devenue depuis l’une des figures emblématiques du Net ?” lance Caramail, le premier service gratuit de boîtes aux lettres électroniques personnalisées.

1996-1997, LE DIRECTEUR GÉNÉRAL S’INTERROGE

Outre-Atlantique, le business a déjà commencé. Le 9 août 1995, Netscape faisait ses premiers pas au Nasdaq. Alors que le prix de l’action avait été fixé à 12 $, il fut porté à 28 $ dès l’ouverture, les demandes étant déjà importantes. En fin de journée, l’action s’élevait à 58 $ et dans les premières semaines de la cotation, la capitalisation atteignait 2 Md$. Stupeur lorsque l’on sait que le chiffre d’affaires de Netscape n’excédait pas les 25 M$ et que la société était dans le rouge. De plus, Netscape proposait des logiciels gratuitement sur le Net. Un modèle économique peu porteur d’une très grande richesse. Alors pourquoi avoir tant misé ? Comment des dirigeants de sociétés internationales, a priori raisonnables et peu enclins au mécénat, ont-ils osé se jeter dans de telles entreprises ?Un professionnel du secteur se souvient et propose une analyse de cet emballement. “Au milieu des années 90, l’économie américaine menaçait de s’essouffler. Par ailleurs, internet rencontrait déjà un franc succès outre-Atlantique. On peut donc imaginer que quelques grands acteurs économiques se soient intéressés à cette technologie, dont le potentiel était déjà perçu comme révolutionnaire, pour redynamiser l’économie américaine. Or, tenter d’imposer un système nécessite d’investir massivement dans celui-ci. Ce qui a été fait. De toutes jeunes entreprises, énergiques, pleines de promesses technologiques, mais sans avenir économique immédiat, ont été accueillies très favorablement par les investisseurs. Sans exigence de clients, sans modèle économique fiable, elles levaient des fonds spectaculaires. Pourquoi, si ce n’est pour imposer un nouveau concept ? Et la machine a remarquablement bien fonctionné puisque tout le monde a suivi “, sourit-il.

1998, le directeur général casse sa tirelire

Si, en 1998, les investissements sont encore timides en France, dès 1999 les levées se font à tour de bras. Les dirigeants y croient et se lancent (iMédiation NetToll, aufeminin.com, meilleurtaux.com, clust.com, NetsCapital, Wimba) avec des sommes investies largement supérieures à celles pratiquées l’année précédente (de l’ordre de 1,5 M? en moyenne, contre 0,3 à 0,45 M? auparavant). Des grands groupes (la Fnac, Amazon, la Camif, Pinault Printemps Redoute, Vivendi…), des grands de l’alimentation, mais aussi les constructeurs automobiles, banques, voyagistes, quotidiens nationaux, chaînes de télévision et radio… arrivent en force sur le web. Et des rapprochements commencent à s’opérer.En février 2000, c’est l’apothéose avec le rachat aux États-Unis d’un des plus grands groupes de communication, Time Warner, par la plus importante compagnie internet, AOL. Grande première dans l’histoire économique : une société absorbe une entreprise au chiffre d’affaires six fois supérieur. En France, les levées de fonds atteignent 1,2 Md? en 2000, contre 0,35 Md? en 1999. Le FAI gratuit Freesbee va jusqu’à lever 30,5 M?. Du délire ! Puis fin mars 2000, c’est l’e-krach aux États-Unis. Les investisseurs et actionnaires avertis revendent leurs actions. Les prix s’effondrent et les petits porteurs n’ont plus qu’à regarder leur capital fondre comme neige au soleil.

L’entreprise profondément influençée par la net-économie

Que reste-t-il de ces folles années ? Des rêves déchus. Tous les entrepreneurs ont rêvé de faire partie des heureux gagnants, des médiatisés. Tous ont voulu prouver que réussite sociale et financière était à la portée de chacun. Des pertes financières : de grosses sommes ont été englouties dans ces start-up, certains entrepreneurs s’endettant pour de nombreuses années. Des technologies innovantes, souvent sous-exploitées, parfois rangées au fond des cartons ou acquises aujourd’hui par les grands groupes industriels pour des bouchées de pain. Mais attention ! Internet a aussi révolutionné notre façon de travailler. Jamais la coopération interentreprises n’a été aussi grande. Jamais les services de proximité n’ont été aussi développés. Jamais la rationalisation des moyens de production, de logistique et d’achats n’a été aussi poussée. Le tout accompagné d’une modification profonde des rapports managers/salariés.L’organisation des start-up déteint progressivement sur les entreprises traditionnelles. Elle bouscule les hiérarchies et oblige les entreprises traditionnelles à inscrire leur fonctionnement dans une dynamique de projets plutôt que dans une organisation par fonction. Par ailleurs en se retrouvant à la tête d’entreprises déficitaires de millions voire de milliards d’euros pour certaines, le directeur général a perdu de son aura et doit rendre de plus en plus de compte à ses collaborateurs. Le modèle financier des entreprises familiales ou fermées a également été bouleversé. Elles sont presque dans l’obligation d’ouvrir leur capital ?”stock options, investisseurs en tout genre… [voir encadré]. Alors, que faut-il penser de tout cela ? Du bien comme du mal. En tout cas, ces années marquent une évolution profonde des marchés financiers et du monde du travail.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Juliette Fauchet