A contre-courant des autres opérateurs, Deustche Telekom (DT) et BT (anciennement British Telecom) diversifient leur activité vers les services informatiques. Leur incursion sur ce marché plus rentable que leur métier traditionnel n’est pas récente. Néanmoins, depuis l’effritement des marges des télécommunications, ils ont pris le taureau par les cornes. Leur pari ? Tirer parti des synergies potentielles entre métiers de l’informatique et des télécommunications pour venir, à terme, concurrencer les grandes sociétés de services sur leur terrain : l’accompagnement des grandes entreprises dans leurs prises de décision. Maîtrisant bien les services informatiques dans leur pays d’origine, les deux opérateurs cherchent désormais à damer le pion aux grandes SSII à l’échelon international.
Une stratégie difficile à concrétiser
C’est en février 2001 que DT a lancé T-Systems. Une filiale de services informatiques et télécoms constituée grâce au regroupement de Debis Systemhaus, le géant allemand des services informatiques, racheté à DaimlerChrysler en mars 2000, et de DeTe System, division de DT dédiée aux services informatiques et télécoms. D’autres filiales de moindre envergure, telles T-Systems Nova, T-Systems CSM et Detecon International complètent l’ensemble. Sur le papier, les services proposés par T-Systems sont vastes : conseil, intégration de systèmes, gestion de centres de calcul du poste de travail et des réseaux LAN associés, hébergement, ou encore mise en place et exploitation de réseaux LAN et WAN.Ambitieux, T-Systems veut se positionner comme une alternative aux grands intégrateurs EDS, IBMGS, CSC, etc. Et devenir le comptoir unique de grandes entreprises dans l’achat de prestations télécoms et informatiques. “Les grands clients prennent leurs décisions en amont avec les SSII, puis ils cherchent l’expertise réseaux auprès des opérateurs, note Olivier Campenon, directeur de T-Systems pour la France. Le point de départ de notre stratégie est de monter dans les couches applicatives afin d’accompagner les grands clients dans leurs décisions stratégiques.” Pour devenir le partenaire privilégié des grandes entreprises à la place des SSII, T-Systems estime avoir un atout : la convergence entre informatique et télécoms. Un concept que la société a repris à son compte et qu’elle martèle comme un slogan publicitaire. Cette notion de ” convergence ” se décline chez T-Systems en trois volets. Commercial, d’abord. L’entreprise souhaite favoriser les ventes croisées entre services informatiques et télécoms. Contractuel, ensuite. Il s’agit d’intégrer des éléments informatiques dans les contrats télécoms et réseaux existants. En termes de solutions, enfin, telles que l’e-learning, l’hébergement web, la sécurité, ou encore des grands contrats pour entreprises multisites, mêlant solutions logicielles et exploitation de réseaux WAN. Ce peut être l’exploitation du progiciel SAP et des réseaux sous-jacents ou, comme annoncé récemment par T-Systems, la connexion des constructeurs et équipementiers automobiles au réseau B to B ENX.De la stratégie à la concrétisation, il y a néanmoins un pas, parfois difficile à franchir. “La théorie est évidemment plus facile que la mise en ?”uvre des pratiques, a d’ailleurs souligné Christian Hufnagl, le président de T-Systems aujourd’hui démissionnaire, lors d’un point presse en mai dernier à Paris. Notre priorité, cette année, est de mettre dans la tête de tous nos salariés le principe de convergence entre télécoms et informatique.” L’opération a apparemment été réalisée au niveau de la filiale française, qui ne représente que 4 % des revenus de T-Systems. Une force de vente unique propose à la fois les offres d’informatique et de télécoms. Et T-Systems France revendique environ 10 % de ses revenus émanant des offres dites de ” convergence “. Mais, les dirigeants français, au regard des résultats financiers actuels, reconnaissent que la stratégie tarde à porter ses fruits. “Les clients de T-Systems dans les services informatiques sont rarement les mêmes que ceux que la société détient en tant qu’opérateur de télécommunications”, observe Frédéric Faivre, consultant à l’Idate.
Services et réseaux relèvent de cultures différentes
Jusqu’alors hésitant, BT affiche à son tour à peu près les mêmes ambitions. “Sur les grands comptes internationaux, BT prévoit un recentrage vers le marché des technologies de l’information et de la communication, avance Olivier Bamberger, responsable de BT Ignite Solutions en France. Il s’agit de concurrencer les grandes SSII. Après avoir acquis une place importante sur le marché informatique au Royaume-Uni, nous voulons asseoir notre crédibilité sur le continent européen.” Et notamment en France, où, en raison de sa participation dans Cegetel, abandonnée récemment, BT n’a pas développé d’activité d’opérateur. Son bras armé en la matière est BT Ignite Solutions (ex-Syncordia Solutions).Mais plutôt qu’une diversification à la T-Systems, BT considère plutôt sa stratégie comme un prolongement naturel de ses activités d’opérateur. “BT, simplement, se positionne désormais davantage en opérateur de services plutôt qu’en opérateur télécoms”, résume Jean-Pierre Dierick, directeur général de BT France. Concrètement, le principe d’Ignite Solutions est de proposer des solutions intégrant des services télécoms et, surtout, IP. Par exemple, l’externalisation de la fonction télécoms ou du centre d’appel d’une entreprise, l’hébergement web ou le secours informatique, l’exploitation de réseaux IP longue distance, mais aussi locaux avec offre de stockage en réseau associée, ou la mise en place d’une gestion de la relation client classique ou électronique ?” conseil, intégration, exploitation.Néanmoins, l’opérateur britannique semble plus prudent, voire plus indécis que son concurrent. Il n’a pas effectué de grosse acquisition dans les services informatiques. Surtout, s’il tente de monter des offres technologiques mixant informatique et télécoms, il ne semble pas convaincu de la “convergence commerciale”. “Informatique et télécoms restent perçus par nos clients comme deux métiers différents”, soutient Jean-Pierre Dierick. Contrairement à T-Systems, ses activités réseaux et infrastructures informatiques, d’un côté, et développement informatique et intégration de systèmes, de l’autre, restent séparées. BT Ignite Solutions et Syntegra, sa filiale de services informatiques, ne travaillent que ponctuellement ensemble. “La volonté de mutualiser les compétences entre Ignite Solutions et Syntegra existe en France. Mais ce n’est pas le cas dans les autres pays”, confirme Jean-Pierre Dierick. En réalité, l’opérateur tergiverse depuis des années à propos du rôle à donner à Syntegra. Au cours de l’année 1999, BT avait annoncé sa volonté de tenter le pari de la ” convergence ” en fusionnant les activités de Syntegra et de Syncordia. Il n’a finalement pas sauté le pas. L’année dernière, l’opérateur britannique était résolu à vendre Syntegra. Ce n’est plus d’actualité. Désormais, il appuie la diversification de sa filiale vers le conseil, comme en témoigne le récent rachat de KPMG Consulting France.Quelle que soit l’organisation envisagée, les défis à relever pour BT et DT sont nombreux. A commencer par la nécessité d’une meilleure implantation géographique. BT Ignite Solutions doit exporter un savoir-faire reconnu au Royaume-Uni. Mais sa position est relativement faible sur le continent, comparée aux grandes SSII. C’est aussi le souci de T-Systems : la filiale de DT tire la grande majorité de ses revenus de l’Allemagne. Malgré sa position de numéro trois des services informatiques en Europe, la SSII peine à décrocher des grands contrats internationaux ?” d’infogérance, notamment ?” et joue, pour l’instant, en deuxième division.Reste un dernier obstacle de poids. “La culture de services informatiques et celle liée à l’activité réseaux sont différentes, observe Frédéric Faivre, consultant à l’Idate. L’entreprise ne demande pas spontanément l’ensemble des prestations LAN-WAN.” Or, T-Systems a parié sur la fusion, à terme, des achats de services informatiques et de télécommunications. L’avenir dira s’il s’agit d’une bonne stratégie. Pour l’instant, ces deux domaines restent majoritairement séparés dans l’entreprise. Les télécommunications et l’informatique sont encore deux métiers bien distincts, avec leur propre logique et leur propre circuit de décision.
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