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“Des valorisations absurdes”

L’un des pères d’internet, Steve Walker, occupe une place à part dans le monde du capital-risque. Au Pentagone, au milieu des années 1970, il a présidé…

L’un des pères d’internet, Steve Walker, occupe une place à part dans le monde du capital-risque. Au Pentagone, au milieu des années 1970, il a présidé aux destinées d’Arpanet, l’ancêtre du World Wide Web. L’utilisation du signe @, qui figure sur les milliards de courriers électroniques qui s’échangent chaque jour, est largement de son invention.
Parce qu’il a tout quitté pour lancer une start-up, Steve Walker sait très exactement de quoi il retourne. Il a même investi l’intégralité de sa retraite dans son entreprise, Trusted Information Systems, 30 000 dollars (35 470 euros) qui se sont transformés… en une fortune de 350 millions.
À la tête de sa société de capital-risque, Steve Walker, 57 ans, invite maintenant les jeunes entrepreneurs à marcher sur ses traces. Il intervient très en amont, avant les sociétés de capital-risque plus traditionnelles. Il a placé un peu plus de 25 millions de dollars dans une quarantaine de jeunes pousses qui n’auraient pas vu le jour sans lui. Il s’explique avec franchise sur les lendemains qui déchantent.Avec le recul, quel jugement portez-vous sur l’euphorie dans laquelle baignait l’industrie des technologies de l’information et de la communication, il y a encore seulement un an et demi ? C’était complètement dingue. De la folie. Quelqu’un me rappelait l’exemple d’une start-up valorisée plus de 7 millions de dollars par consultant. Il n’y avait absolument aucune chance que l’un d’entre eux puisse rapporter autant d’argent. Cette valorisation était tout simplement absurde. Le résultat, c’est que l’on trouve, aujourd’hui, des sociétés qui n’obtiennent pas la valeur qu’elles mériteraient. Désormais, certaines entreprises cotées en Bourse valent moins que les liquidités dont elles disposent à la banque. Cela n’a pas de sens non plus. Mais, pour le moment, les entreprises de capital-risque ont gelé l’ensemble de leurs investissements. Quand elles les reprendront, on en sera sans aucun doute revenu à des valorisations plus saines dans la net économie. Mais, vous savez, internet ne va pas disparaître. Le réseau des réseaux fait de plus en plus partie intégrante de tout ce que nous faisons.Avez-vous, comme les autres, un peu perdu le sens des réalités et fait des investissements que vous regrettez rétrospectivement ? Nous avons investi dans un certain nombre d’entreprises qui n’ont pas réussi aussi bien que nous l’espérions. L’une d’entre elles proposait de condenser le contenu de quantités de newsletters et de le rendre disponible sur internet. Beaucoup de gens nous ont encouragés à investir dedans. Les responsables du projet savaient très bien se vendre, mais ils n’ont jamais été capables de construire un véritable business autour de ce projet, qui a disparu à petit feu. Mais nous nous sommes toujours méfiés des modèles reposant trop largement sur l’explosion du marché publicitaire. On savait que cela ne durerait pas. Nous avons fait beaucoup d’efforts pour ne pas céder à l’euphorie, et maintenir les valorisations à des niveaux raisonnables. Cela ne nous a pas empêchés de perdre de l’argent dans certains cas. Est-ce que cela veut dire que nous n’aurions pas dû investir dans ces entreprises ? Oui, dans la mesure où elles n’ont pas été capables d’obtenir des financements ultérieurs. Mais ce retour de bâton n’a pas plus épargné les bonnes affaires que les mauvaises. Si ce mouvement n’avait pas été aussi vaste et généralisé, je pense que toutes nos entreprises auraient survécu. Certaines continuent de s’en tirer très bien. Mais une partie de plus en plus importante de notre travail consiste à faire en sorte que les autres puissent rester en vie également.Comment se répartit votre portefeuille aujourd’hui, entre les investissements dont vous êtes satisfait, et ceux qui vous inspirent plus d’inquiétudes ? Environ 25 % des entreprises dans lesquelles nous avons investi s’en sortent très bien. Environ 50 % vont avoir besoin de lever de nouveaux capitaux ou de trouver un repreneur. Et dans 15 à 20 % des cas, il est probable qu’elles ne s’en sortiront pas. Elles vivent au jour le jour.Quelles leçons tirez-vous du retournement du marché ? En quoi avez-vous changé votre façon d’évaluer un “business plan” ? Nous intervenons très en amont, au tout début de la vie d’un projet. Il est difficile de dire, comme d’autres capital-risqueurs, qu’il faut plus de chiffre d’affaires ou mettre plus l’accent sur les bénéfices, que l’équipe de management doit être plus solide… D’une façon, c’est une situation plus saine. Nous ne nous bagarrons plus sur les valorisations…Et on imagine que les jeunes entrepreneurs ne se bousculent plus devant votre porte…Nous avions l’habitude de recevoir une centaine de clients par semaine, et d’écarter instantanément une cinquantaine de projets. Aujourd’hui, nous recevons cinquante visites par semaines, mais nous n’éliminons que dix dossiers dans la foulée. Nous nous rendons de plus en plus dans les universités et les laboratoires fédéraux de la région. On leur demande de nous parler des technologies qu’ils utilisent, même des technologies qu’ils ont inventées et dont ils ne savent pas quoi faire, car nous sommes peut-être en mesure de trouver des gens qui ont beaucoup d’expérience et qui n’attendent qu’une bonne idée. Au laboratoire de physique appliquée de l’université Johns Hopkins, par exemple, il y a une énorme réserve de talents.

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La rédaction