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Des fouilles techno pour faire revivre Alexandrie

En Égypte, le moindre coup de pioche fait resurgir le passé. Des archéologues pressés par le temps versent peu à peu, et parfois malgré eux, dans les nouvelles technologies.

Qui l’eût cru ? Les ânes sont parfois à l’origine de grandes découvertes archéologiques. Le 28 septembre 1900, au lieu-dit Kom el Chougafa (la colline des tessons), à Alexandrie, la terre s’effondre brutalement sous le poids d’un bourricot. Attirés par les gémissements, des voisins aperçoivent dans la crevasse béante les premiers vestiges de ce qui va devenir l’un des plus importants sites archéologiques d’Alexandrie : le principal hypogée d’un complexe funéraire du ier siècle après J.-C. Aujourd’hui, Alexandrie, deuxième métropole égyptienne (5 millions d’habitants), n’en finit plus de feuilleter le grand livre de son histoire.

D’un seul coup d’?”il, 2 300 ans d’histoire alexandrine

Au ive siècle après J.-C., une série de tremblements de terre a entraîné la cité dans la mer. Une partie de la ville antique a disparu. Sur ses ruines vont se succéder de multiples occupants : les Romains, les Byzantins, les Fatimides (xe et xie siècle), les Mameloukes (xiiie-xvie siècles), et les Ottomans à partir de 1517…À chaque changement de décor, les nouveaux venus remblayent et construisent sur les ruines. Une véritable aubaine pour les archéologues qui, en dix à douze mètres de stratigraphie, peuvent embrasser d’un seul coup d’?”il 2 300 ans d’histoire alexandrine ! La principale difficulté désormais, consiste à pouvoir accéder au sous-sol. La ville, en pleine anarchie immobilière, est devenue l’affaire des promoteurs. Lesquels se soucient comme d’une guigne des préoccupations archéologiques ! D’où l’existence de fouilles dites ” d’urgence “. Qu’un coup de pelleteuse révèle l’entrée d’une nécropole, une série de mosaïques et le Conseil suprême des antiquités bloque le chantier. Celui-ci fait alors appel au Centre d’études alexandrines (CEA), qui bénéficie d’un moratoire de deux à trois mois pour “descendre jusqu’au rocher“. “Une douzaine de fouilles de cette nature nous sont proposées chaque année. Seules, deux sont retenues, en relation avec nos possibilités financières “, explique Jean-Yves Empereur, directeur du CEA. Car répondre à ces appels signifie trouver les moyens financiers pour des interventions qui sont actuellement de l’ordre de 1 50 euros (environ 1000 francs) le mètre carré, cette surface représentant 10 mètres cube de remblais. Aux subsides institutionnels (CNRS, ministère de la Recherche, Affaires étrangères, Institut français d’archéologie orientale du Caire) s’ajoutent ceux des mécènes. Hier Elf Aquitaine, EDF, et aujourd’hui France Telecom ou France 2, qui prépare actuellement avec Gedeon Programmes le troisième volet des aventures de Jean-Yves Empereur et de ses équipes.France Telecom a dépêché une vingtaine de personnes sur les lieux : ingénieurs télécoms, informaticiens, ergonomes. Les uns travaillent à harmoniser l’informatique et les télécommunications au sein du CEA, pendant que les autres planchent sur l’élaboration d’équipements dédiés. Outre la mise en place d’un réseau intranet permettant la conservation et le partage sécurisé des données recueillies sur le terrain ainsi qu’un lien de 512 kilobits par seconde (kbit/s)entre le CEA et les laboratoires du CNRS de Nanterre, l’opérateur travaille sur le site de la rue Fouad, en plein centre d’Alexandrie. Là, le CEA espère mettre au jour certains des portiques qui bordaient l’antique voie Canopique, le grand axe est-ouest qui, sur plus de 3 km, reliait la Porte du Soleil à la Porte de la Lune. Mais il faut faire vite, car la chaîne d’hôtels Hilton peut, à tout moment, prendre possession du terrain. Alors, parmi les équipes de fouilleurs armés de seaux et de grattoirs, entre squelettes, momies et urnes funéraires, évolue parfois une étrange créature équipée d’écouteurs, de lunettes Glasstron, d’une webcam et d’un PC ultraportable. L’accoutrement tendance “ technoïde“, les couleurs “métalliques” contrastent étrangement avec l’ambiance du lieu, les ocres de la terre et des sables, la discrétion vestimentaire des ouvriers, la simplicité de leurs outils. Les Égyptiens, quant à eux, poursuivent leur travail de fourmis sous un soleil implaca-ble, l’un autour d’une sépulture, l’autre charriant des sacs de terre. Indifférents au clinquant des technologies. Il s’agit là du projet “Cybernis“, visioservice développé par France Telecom R & D. Grâce à une liaison à haut débit de 384 kbit/s, l’archéologue s’entretient, par le biais d’une caméra, avec un expert du CNRS de Lyon ou Nanterre. Ils étudient une coupe fraîchement mise au jour, à moins qu’ils ne la comparent avec celle venant d’être dégagée sur un site de fouilles voisin. À quelques dizaines de mètres de là, dans l’ombre rafraîchissante des baraquements entourant le chantier, l’opérateur travaille à un autre projet, “ Houria “. Il s’agit cette fois de mettre au point une tablette multimédia mobile répondant spécifiquement aux besoins des fouilleurs sur le terrain : travail en main libre, alimentation par panneaux solaires, utilisation en conditions difficiles (chaleur, poussière, etc.), rétro-éclairage puissant (pour compenser la forte luminosité ambiante), liaison UMTS. À terme, le terminal permettra la diffusion d’images scannées ou la visioconférence. En attendant, les archéologues peuvent échanger, grâce à une application 3D signée France Telecom, avec les scientifiques du monde entier. L’image en 3D d’une intaille, petite cornaline gravée de motifs mystérieux, a pu ainsi être récemment interprétée par une spécialiste de la Maison de l’Orient à Lyon, peu après sa découverte.

Des sites entiers modélisés en trois dimensions

Non loin de la rue Fouad, Qaitbay, face à la Grande Bleue. Ce fort, construit sur les ruines du phare d’Alexandrie, abrite plus de 5 000 pièces architecturales (sphinx, statues gigantesques, chapiteaux, fragments d’obélisque) enfouies entre 6 et 8 mètres de profondeur. À partir de l’invention d’un ingénieur de chez Dassault, l’aquamètre, France Telecom a mis au point un crayon pointeur donnant la position d’un objet avec une précision d’un centimètre dans un diamètre de 300 mètres autour de la bouée émettrice. D’ici quelque temps, l’intégralité des blocs datant de l’époque gréco-romaine ou pharaonique, éparpillés sur une superficie de plus d’un hectare, seront modélisés en 3D. Par ailleurs, les ingénieurs de France Telecom R & D ont élaboré un système rendant possible les liaisons téléphoniques entre terminaux mobiles GSM et les plongeurs. À quelques mètres de profondeur, un flash stroboscopique fixé sur une cabine avertit les plongeurs d’un appel entrant. Cette cabine est équipée d’un dispositif permettant, à partir de l’embout de l’appareil respiratoire, la transmission des ondes sonores par les os du maxillaire inférieur. Le plongeur peut s’entretenir avec les équipes se déplaçant en zodiac à la surface ou avec ses collaborateurs du CEA. L’opérateur travaille aussi à la prochaine génération : les liaisons GSM qui rendront ces plongeurs totalement autonomes ?” ils n’apprécient guère l’idée de devoir travailler avec un fil à la patte ?” et libres de communiquer avec la surface pour réclamer du matériel, transmettre des images ou contrôler le levage d’une pièce.Devant cette débauche soudaine de technologies, les équipes tentent de garder la tête froide. “ Nous disposons d’outils très performants, mais cela prendra du temps pour qu’ils nous soient utiles. Les choses terre à terre répondent souvent plus à nos besoins que des équipements performants“, glisse Fabienne Boisseau, coordinatrice du Système d’informations géographiques du CEA. “Il faut se méfier d’une certaine dérive. L’informatique représente un outil, non une finalité et le contact avec le terrain ne doit jamais être perdu“, insiste Francis Choël, archéologue dirigeant le chantier de la rue Fouad. C’est entendu. Claviers et lunettes virtuelles ne remplaceront pas de sitôt raclettes et balayettes…

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Gilles Musi à Alexandrie (Égypte)