Roubaix est une ville typique du Nord. Des enfilades de maisons en briques rouges bordent les trottoirs. Quelques cheminées longilignes, vestiges des anciennes usines, défient encore, ça et là, le ciel. Une industrie en a remplacé une autre. Rue Kellermann, derrière un mur d’enceinte vert prairie sur lequel court un barbelé, un nouveau bâtiment étire ses 22 mètres de hauteur. Une usine d’un nouveau genre dans laquelle le ronron des machines a laissé la place à celui des ventilateurs. C’est Roubaix 4, le dernier centre de données de l’hébergeur de sites Web OVH. Un “ data centre ” unique en son genre, en service depuis avril. Il peut accueillir 35 000 serveurs informatiques, de puissants ordinateurs qui stockent les sites Web que l’internaute consulte grâce à son navigateur. Et surtout, il abrite un astucieux système de refroidissement, à la fois par air et par eau, qui remplace la climatisation habituelle. Le bilan énergétique est éloquent : Roubaix 4 consomme deux fois moins d’électricité que ses homologues, selon OVH. Une manière d’appliquer le principe de développement durable ? “ Notre démarche est avant tout pragmatique ”, reconnaît sans ambages Henryk Klaba, président d’OVH.
Une innovation adaptée à l’emplacement géographique
La réfrigération par liquide a été mise au point en interne et installée dès 2003 dans les centres de données de l’hébergeur, à une époque où on ne parlait pas encore de développement durable. En 2009, une tentative d’énergie solaire photovoltaïque échoue. L’emplacement géographique de Roubaix n’est pas favorable. En revanche, il est propice à une autre solution : utiliser l’air extérieur pour refroidir les serveurs. Le centre de données prend la forme d’une tour carrée, évidée en son centre. L’air entre par les côtés extérieurs et ressort par la cheminée ainsi dessinée, emportant avec lui les calories en trop.Roubaix 4 est un tel succès qu’OVH prévoit de construire, sur le même principe, un autre centre, à Strasbourg. Cette fois, les serveurs seront directement installés dans des containers, les mêmes que l’on trouve sur les bateaux. Lesquels seront ensuite empilés comme des briques, les uns sur les autres, pour former le data centre. En parallèle, OVH vient d’acheter huit éoliennes près de Nancy. Sur l’année, elles devraient produire plus d’énergie que n’en consommera le futur centre.
De l’eau à tous les étages
Un serveur informatique n’est rien moins qu’un puissant ordinateur qui travaille en permanence. Il se compose d’un processeur, d’un disque dur et de mémoire vive. Le tout chauffe, et même beaucoup, surtout le processeur, dont la température grimpe jusqu’à 80°C. C’est pourquoi il faut installer de bruyantes climatisations dans les centres de données, afin de maintenir les serveurs à une température de fonctionnement correcte. Le principal défaut des climatiseurs est de consommer énormément d’électricité : il faut autant d’énergie pour refroidir un serveur que pour l’alimenter. Avec le souci d’améliorer l’efficacité énergétique des centres de données, les équipes d’OVH mettent au point, en 2003, un audacieux système de refroidissement par liquide. De l’eau déminéralisée et traitée contre les bactéries circule au plus près du processeur de chaque serveur. Par l’intermédiaire d’un échangeur thermique, le liquide absorbe sa chaleur et l’évacue. Roubaix 4 emploie cette technique. Une multitude de tuyaux rouges et bleus s’échappent des armoires de serveurs, comme s’ils étaient sous perfusion. Les hélices que l’on aperçoit tournent plus ou moins vite selon le débit de l’eau. 17 litres d’eau par heure sont nécessaires pour maintenir à bonne température un processeur. Chaque étage possède une réserve d’eau de 1 500 litres environ. Le brevet du système de refroidissement par liquide étant en cours de dépôt, il ne nous a pas été permis de photographier plus en détail les installations.
Une cheminée carrée
En plus du refroidissement par liquide, Roubaix 4 réfrigère les serveurs grâce à l’air extérieur. Le bâtiment est une tour de six étages, creuse en son milieu. Une sorte de vaste cheminée carrée de 22 mètres de haut et de 30 mètres de côté. L’air extérieur entre par les faces externes de la tour, traverse les serveurs, absorbe une partie de leur chaleur, puis est recraché dans la cheminée par les ventilateurs électriques qui tapissent l’intérieur du conduit. Entre l’entrée et la sortie, l’air prend quatre degrés. “ Comme l’air est plus chaud qu’à l’entrée, il s’élève, créant un phénomène naturel d’aspiration ”, complète Germain Masse, responsable des data centres d’OVH.
Des allées informatiques
Conséquence de la forme du bâtiment, chaque étage est un long couloir de trois mètres de large qui court sur les quatre faces latérales du cube, comme on peut l’observer dans celui-ci, vide pour le moment. Sur les côtés, l’air entre par des fentes. “ Contrairement à ce que l’on peut croire, notre plus grand souci, ce n’est pas qu’il fasse trop chaud dehors, mais trop froid ”, commente Germain Masse. La température au sein d’un serveur en fonctionnement est d’une trentaine de degrés. Même en pleine canicule, l’air extérieur sera toujours moins chaud. En revanche, en plein hiver, un air très froid, à cause de l’écart thermique, pourrait endommager le matériel, les disques durs par exemple. Lorsque les allées se remplissent, les ouvertures sont couvertes d’un filtre à poussière et équipées de volets vénitiens afin de moduler le flux d’air entrant.
Une salle de contrôle
Au rez-de-chaussée de Roubaix 4, une salle de contrôle concentre une trentaine d’écrans. Y défilent notamment les images des caméras de surveillance, les indicateurs du réseau électrique et du système de refroidissement, l’état des serveurs. Lors de la visite, il semble qu’aucune panne ne soit à déplorer sur le millier de serveurs déjà présents dans Roubaix 4. Pour des raisons de sécurité et de confidentialité, aucune photo n’est autorisée.
Un coffre-fort numérique
A l’entrée du site, qu’une enceinte protège de la vue et des intrusions, il faut montrer patte blanche. L’index, plus exactement : un double sas avec lecteur d’empreinte digitale à chaque porte marque l’entrée. Des caméras et des gardiens surveillent les lieux. La plus grande menace reste toutefois informatique. “ Nous dénombrons plusieurs centaines d’attaques par jour ”, précise Germain Masse. Si les virus relèvent de la responsabilité des propriétaires des sites, l’hébergeur doit, lui, garantir que le site est accessible, quoi qu’il arrive. L’attaque la plus courante est le déni de service : elle consiste à bombarder le site de demandes de connexion jusqu’à le saturer. Il faut s’assurer aussi que les serveurs restent alimentés en électricité dans n’importe quelle circonstance. Dans la cour, un imposant groupe électrogène est prêt, en cas de coupure, à prendre la relève pendant 48 heures.
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