« Les livreurs Deliveroo vont désormais pouvoir bénéficier d’indemnités en cas d’arrêt maladie. » C’est le titre du communiqué publié, mardi 15 octobre, par la plate-forme de livraison, dans lequel elle vante la mise en place d’une « assurance maladie » en complément des indemnités journalières délivrée par la Sécurité sociale.
7 jours de carence, 240 euros d’indemnités
Avec ce nouveau système de « protection », les livreurs pourront recevoir jusqu’à 30 euros par jour jusqu’à 15 jours d’absence, indique la plate-forme. Sauf que cette indemnité ne sera débloquée qu’à partir de sept jours de carence. En clair, le livreur arrêté ne sera indemnisé qu’à partir du 8ème jour. Donc, au total, le montant de l’indemnité délivrée par Deliveroo s’élèvera seulement à 240 euros maximum.
Le délai de carence semble plutôt long puisque celui de l’Assurance maladie, qui sert de référence, est de trois jours. Résultat : ne sont concernés que les livreurs en arrêt depuis plus de sept jours, ce qui est peu fréquent. Cette «indemnité arrêt de travail» n’a donc pas vocation à couvrir les maladies de courte durée – type rhumes, bronchites, grippes, etc. – qui sont, elles, monnaie courante.
Delivero-oups ?
« C’est un énorme coup de com’ », dénonce Arthur Hay, secrétaire général du syndicat CGT des coursiers à vélo de Gironde. « Aucun contrat n’est publié, alors on ne peut pas encore débattre du fond. »
L’annonce médiatique n’est pour l’instant accompagnée d’aucun document explicatif. « Nous vous communiquerons les détails complets de cette nouvelle couverture d’assurance et nous pourrons dès lors répondre à vos éventuelles questions », peut-on lire dans le message à destination des coursiers publié le mercredi 16 octobre. Dans ce post, qui diffère des informations communiquées à la presse, figure la date d’« activation » de cette « assurance maladie » : le 11 novembre 2019.
La plate-forme d’origine britannique distille les informations avec parcimonie. Deliveroo a indiqué, pour sous-traiter ce service, faire appel à Qover, une start-up bruxelloise « spécialiste des travailleurs indépendants ». Cette collaboration inter-start-up inquiète les livreurs syndiqués. Arthur Hay pointe les potentiels « imbroglios juridiques » auxquels seront confrontés les livreurs pour faire valoir leurs droits de coursier. Une éventuelle « source de découragement ».
Une « miette » c’est toujours mieux que rien
« Le pire c’est que beaucoup de coursiers disent : “c’est quand même bon à prendre”. Mais ce n’est pas avec des bouts de scotch qu’on va régler le problème ! », s’insurge Arthur Hay. « Cette assurance leur coûtera moins cher que de mettre de la publicité sur des arrêts de bus ! »
Une colère d’autant plus compréhensible que Deliveroo a baissé, le mois dernier, ses tarifs. Une courte course à Paris est passée de 4,60 à 3 euros -selon les déclarations des livreurs. Ce qui a donné lieu à plusieurs manifestations, dans la capitale, où se sont rassemblés plus d’une centaine de coursiers. Une pétition lancée par « Biker Deliveroo » à ce sujet a récolté pour l’heure plus de 350 signatures en huit mois.
https://twitter.com/SimonAzelie/status/1157751657893126164
Une incompréhension hiérarchique
Alors que les livreurs demandent explicitement à Deliveroo de revoir sa grille tarifaire, la société annonce une assurance… couvrant les arrêts maladie. Incompréhension chez les coursiers.
« On a été mis au courant sur le tas », explique Jerôme Pimot, membre du Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap75). « Ce n’est pas ce qu’on demandait. C’est bien la preuve qu’ils ne nous écoutent pas. »
De son côté, la société assure pourtant avoir pris en compte la parole des livreurs, qu’ils rencontrent « très régulièrement » sur le « terrain ». « Nous étudions les ‘remontées terrain’ et la couverture maladie est l’un des sujets les plus abordés », justifie un porte-parole Deliveroo.
Pas de syndicats, mais des « livreurs médiatisés »
Mais, l’entreprise ne reconnaît pas les organisations syndicales ni les collectifs. Deliveroo parle d’ailleurs de « livreurs médiatisés » et refuse toute « négociation » qui s’apparenterait à une réunion syndicale. Comme d’autres, Arthur Hay s’est fait licencier dès qu’il s’est syndiqué.
« Depuis trois ans, les seules réponses qu’ils nous donnent c’est “Merci pour ces remontées terrain. Nous étudierons votre demande”. Et dans le même temps, les conditions de travail se dégradent », s’impatiente l’ex-coursier Deliveroo, qui a depuis monté sa propre plate-forme de livraison « Coursier bordelais », suivant un modèle coopératif.
Les (liv)raisons de la colère
Si Deliveroo a décidé de bouger maintenant, c’est parce qu’une nouvelle réglementation nationale est en gestation. Le projet de loi mobilités – étudié actuellement par le Sénat après le vote des députés – propose dans son article 20 que les plates-formes de livraison puissent mettre en place des chartes facultatives proposant des droits sociaux. Un dispositif qui promet de permettre aux « plates-formes numériques d’offrir un panel d’avantages de ce type aux livreurs qui sont autoentrepreneurs ».
Or, ce principe de chartes optionnelles est combattu par les associations de travailleurs des plates-formes et par le Conseil national du numérique (CNNum), qui y voient une parade face aux demandes de requalification des contrats des travailleurs indépendants en salariat.
« La rémunération, les conditions de travail ou la protection sociale ne doivent pas être un élément de communication du service de la responsabilité sociale des plates-formes, mais doivent être le fruit d’une négociation collective », écrit le CNNum dans une lettre ouverte qui appelle à la « suppression » de cet article polémique.
Cette délégation du droit du travail aux seules entreprises pourraient conduire à de très fortes disparités entre les plates-formes de transport (Uber, Deliveroo, Foodora, etc.) au détriment des « auto-entrepreneurs », déjà précarisés et corvéables à merci.
« Des assurances bidons »
Derrière l’annonce de la « couverture maladie » made in Deliveroo, la manœuvre est, en fait, la même qu’en 2017. C’était la première fois que les livreurs se rassemblaient pour protester contre un changement impromptu (encore) de la grille tarifaire établie par la plate-forme.
« Dès qu’on fait un peu de bruit, Deliveroo annonce une nouvelle assurance », assure Jerôme Pimot, membre du Clap75. « Cet été on a manifesté, maintenant ils sortent une nouvelle couverture maladie. Ils veulent se racheter une image en nous octroyant des assurances bidons, griffonnées à la va-vite sur un coin de table ».
En cas d’accident du travail, l’assurance « risque au travail » n’a d’ailleurs pas fait ses preuves – au contraire. En novembre 2017, lorsque le livreur Deliveroo, Aziz Bajdi, tombe à vélo et se perfore l’estomac, l’assurance ne le couvre pas alors qu’il était en train de livrer pour le compte de la plate-forme. Aziz Bajdi ne recevra aucunes indemnités au motif que la blessure est localisée sur le torse… partie non-prise en charge par la couverture accident du travail annoncée deux mois plus tôt. Cette affaire met en lumière les combines de Deliveroo pour ne jamais être responsable de quoi que soit.
Deliveroo ne veut ni salariés ni livreurs payés à l'heure, ni d'indemnité en cas d'accident.@_CLAP75, @Deliveroo_FR @lemondefr @Mon_AXA pic.twitter.com/m3OaXKp1L7
— Bajdi (@Bajdi92) December 9, 2017
L’« ubérisation » à la barre
La stratégie de Deliveroo fait d’ailleurs actuellement l’objet d’une enquête aux parquets de Paris et de Nantes, depuis mars 2018. Comme l’a révélé Mediapart, l’inspection du travail et l’Urssaf ont mis en lumière un « lien de subordination » entre la plate-forme et ses livreurs, qui ne sont pas traités comme de « vrais indépendants ». Ce qui remet en cause le modèle en soi de cette société emblème de l’«ubérisation» du monde du travail.
Le mécontentement ne gronde pas qu’en France, où la plate-forme a recours à 11 000 livreurs. Aux Pays-Bas, Deliveroo a été condamnée à requalifier les contrats de 2 000 livreurs, et en Espagne pour ne pas avoir déclaré 500 livreurs à Madrid, présentés comme indépendants, évitant ainsi de payer 1,2 million d’euros de cotisations sociales. Reste à savoir ce que décidera la justice française.
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