Elles n’échapperont pas, en théorie, à l’avalanche des alertes sur les profits, chiffres d’affaires et croissance. Elles pourraient, elles aussi, passer sous les fourches Caudines de la communauté financière internationale et de leur arme fatale : les profit warning. Leurs noms : Philips, Thomson multimedia et IBM.Si le couperet tombe, ce devrait être dans les prochaines semaines. Ces trois grands fleurons internationaux du secteur des TMT sont, comme les autres, exposés à la menace d’une récession outre-Atlantique et d’une baisse de leurs marges bénéficiaires sur leur métier de base. Philips et Thomson multimedia, dans le secteur de l’électronique grand public, sont en ligne de mire.Le premier est soumis aux fluctuations des semi-conducteurs et de la téléphonie mobile. Le second, qui réalise 45 % de son chiffre d’affaires aux États-Unis, est très exposé à l’endettement des ménages américains. IBM, qui n’a pas pour habitude de publier des alertes sur bénéfice, sera-t-il épargné ?
” Avec 46 % de son chiffre d’affaires dans les services, le groupe reste à l’abri d’un cataclysme “, pronostiquent les optimistes. C’est oublier que cette valeur phare de Wall Street a connu bien des déconvenues ces dernières années.
Couper court aux illlusions
Le profit warning est une expression anglo-saxonne qui signifie “ mise en garde sur les profits “. En Europe, le concept s’est imposé dans les années 1990, avec l’essor des fonds de pensions anglo-saxons. Ces derniers représentent aujourd’hui 40 % de la capitalisation boursière du CAC 40 et 80 % des transactions dans les séances boursières les plus animées.C’est pourquoi ils n’ont pas tardé à imposer des normes comptables et financières bien plus drastiques que les critères franco-français. Quand les dirigeants d’une société cotée s’aperçoivent que les analystes tirent des plans sur la comète en prévoyant des provisions de bénéfices trop optimistes, ils se doivent ?” selon une règle non écrite mais très respectée ?” de faire une mise au point.En théorie, le but est de couper court à toute illusion. ” Une alerte annoncée à temps peut être accueillie avec sérénité par le marché. La baisse des cours est alors modérée. En revanche, masquer les difficultés ?” même passagères ?” de l’entreprise peut entraîner un fiasco boursier“, commente sous le couvert de l’anonymat un directeur financier d’une société française cotée aux Nasdaq.Serge Tchuruk, le patron d’Alcatel, en a fait l’amère expérience en septembre 1998. Alors qu’un ” consensus de marché ” anticipait une progression de 70 % de la marge opérationnelle de l’entreprise, il annonce tout de go une progression de seulement 30 %. Verdict du marché : un plongeon de 38 % en une séance…N’en déplaise aux actionnaires qui ont subi de plein fouet la bourrasque Alcatel ?” et ont dû attendre deux ans pour récupérer leur mise ?” cette leçon fut salutaire pour le marché de l’Hexagone. Les dirigeants français, dans le cadre du ” gouvernement d’entreprise ” (c’est-à-dire davantage de transparence vis-à-vis des actionnaires), ont pris l’habitude d’émettre de plus en plus souvent des profit warning.À tel point que l’on est passé d’un extrême à l’autre. Tétanisés par les jugements des analystes financiers, les dirigeants d’entreprises revoient régulièrement à la baisse leurs perspectives de bénéfices et de chiffre d’affaires. Les géants Intel, AMD, NEC, Toshiba, Motorola ou encore Texas Instrument en sont les exemples les plus récents.Après avoir publié, le 1er mars, un profit warning surprise sur ses résultats du troisième trimestre, Oracle, le numéro 2 mondial du logiciel, a néanmoins annoncé qu’il tablait sur une croissance du chiffre d’affaires quasi nulle au quatrième trimestre de son exercice fiscal, contre 6 % au troisième trimestre, en raison notamment de la chute des ventes de licences. La sanction du marché a été immédiate avec une chute de 21 % le jour même de la publication des résultats à la baisse.”Avant, ce qui intéressait les grands cabinets d’analystes, ce n’était pas la vitesse mais l’accélération. Désormais en période de baisse générale des marchés, c’est la décélération qui fait peur, même si la vitesse reste appréciable “, explique Nathalie Pelras, gérant de portefeuilles chez Richelieu Finance. D’où un comportement moutonnier… Chaque profit warning est amplifié par les marchés et entraîne les cours en Bourse dans une infernale spirale à la baisse.
Un phénomène contagieux
Pour sa première cotation à Wall Street, le 12 mars dernier, Siemens a essuyé les plâtres ! Dans le sillage du profit warning de son concurrent Ericsson, le titre du groupe allemand devait, à son tour, annoncer une révision à la baisse de son bénéfice, le lendemain même de son introduction à la première place financière mondiale.Inévitablement, le titre a chuté de quelque 15 % les jours suivants. Au grand dam de Heinz-Joachim Neuburger, le directeur financier du groupe, qui constate, amer, que cette opération a pris deux ans de travail et coûté plus de 100 millions d’euros.
Des sanctions imprévisibles
“ Les profit warnin g sont des jouets aux mains d’enfants gâtés, des jeunes analystes financiers obnubilés par les valeurs de la nouvelle économie qui affichent des taux de croissance à deux chiffres “, explique un gestionnaire fort de plus de trente ans d’expérience des marchés. Et d’ajouter : ” Quand une entreprise de la nouvelle économie abaisse son taux de croissance de 30 à 20 %, il y a toujours de quoi faire rêver les entreprises de l’ancienne économie “.Les annonces des grands des TMT se traduisent par des mouvements de Yo-Yo. Ainsi, les bons résultats publiés le 16 mars dernier par Cap Gemini n’ont pas suffi à soutenir durablement le cours de Bourse du géant français des services informatiques. Après un gain de plus de 3 %, l’action Cap Gemini a dévissé de 8,96 % à 159,5 euros le lendemain. Avec 35 % de son chiffre d’affaires réalisé outre-Atlantique, les investisseurs voient mal comment Cap Gemini pouvait rester à l’abri du ralentissement de la première économie mondiale.Reste que, depuis quelques mois, le critère de profit warning perd de son omnipotence. En témoigne le récent parcours boursier de Nokia. Le 15 mars, le Finlandais est parvenu à gagner près de 13,20 % en Bourse, alors qu’il venait à son tour d’annoncer une alerte sur la baisse de la croissance de son chiffre d’affaires sur le premier trimestre. La contre-performance, relative, devrait se traduire par une hausse de 20 % au lieu des 25 % à 30 % attendus.Anticipée, cette baisse a été occultée par l’annonce d’un maintien de l’objectif du bénéfice par action. Autre surprise, la promesse du groupe de réaliser un niveau de marge meilleur que prévu. En janvier, Nokia avait indiqué que ses marges baisseraient en 2001 pour atteindre 20 % à la fin de l’exercice. L’équipementier bénéficie d’une prime au leader, et récupère les fruits de ses efforts de réduction des coûts de production.Trop fréquents, les profits warning font de moins en moins peur au marché. Logique quand le marché est très bas, à tel point qu’on estime avoir atteint un plancher.Principales mises en garde sur les profits, ou profit warning (PW), depuis le 1er janvier 2001
Sociétés | Date du PW | Dirigeant | Variation de la veille du PW au 19 mars 2001 | |||
Constructeurs informatiques | ||||||
Sun Microsystems | 36945 | Scott Mc Nealy | -0,05 | |||
Dell Computer | 36945 | Michael Dell | 0,0952 | |||
Compaq | 36965 | Michael Capellas | 0,0136 | |||
Hewlett-Packard | 36938 | Carly Fiorina | -0,1609 | |||
Semi-conducteurs | ||||||
Siemens | 36963 | Heinrich von Pierer | -0,055 | |||
Intel | 36959 | Craig Barrett | -0,188 | |||
ST Microelectronics | 36964 | Pasquale Pistorio | 0,0665 | |||
Services informatiques | ||||||
Computer | 36969 | Van B. Honeycutt | -0,39 | |||
Sciences Corp. | ||||||
Éditeurs de logiciels | ||||||
Oracle | 36952 | Larry Ellison | -0,2857 | |||
Opérateurs Télécom | ||||||
Cable & Wireless | 36963 | Graham M. Wallace | -0,2943 | |||
Équipementiers Télécom | ||||||
Ericsson | 36963 | Kurt Hellström | -0,1136 | |||
Cisco Systems | 36932 | John Chambers | -0,285 | |||
Nokia | 36922 | Jorma Ollila | -0,2504 | |||
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