« Voisins en colère. Stop Airbnb. » La banderole, accrochée au 61 place de la Réunion, dans le 20e arrondissement de Paris, traduit l’exaspération de la dizaine de locataires qui habitent cet immeuble. Depuis la fin du confinement, deux appartements, loués par Airbnb, se sont transformés en boîtes de nuit éphémères. Pour des jeunes en manque de fête, d’espace, de contacts. Trois soirées en une semaine -même en dehors du week-end. À bout, les habitants se sont constitués en comité avec l’association Droit au logement (DAL). Leur pétition a récolté jusqu’à présent 239 signatures sur papier et en ligne.
Un défilé nocturne de Uber
« Là, partout, le lendemain, il y a avait des capsules de protoxyde d’azote, des mégots, même des bouteilles », nous expliquent les résidents alors que nous les suivons dans la cour intérieure. Pour entrer, il a fallu tirer fort sur le portail « qui dysfonctionne depuis deux ans », personne ne cache son agacement. « Les soirs de fête, en plus du bruit, c’est un vrai moulin ici, on ne sent pas en sécurité. » Tout au long de la soirée du samedi du 30 mai, les habitants ont vu « défiler les Uber » pour faire venir une « cinquantaine d’invités » âgés d’une « vingtaine d’années ».
À plusieurs reprises, les riverains ont tenté de dialoguer avec les fêtards. « La tension était palpable », raconte l’un d’entre eux, qui a frappé plusieurs fois à la porte. Sans succès, ils ont finalement appelé la police qui ne s’est pas déplacée. Il leur reste alors leurs smartphones pour enregistrer les sons, photographier les débris qui jonchent le sol, « amasser des preuves ». Les soirs suivants, ils tentent de prévenir en amont les nouveaux arrivants. « Le proprio fait ce qu’il veut, il a le droit de louer en Airbnb et nous d’en profiter ! », leur rétorque-t-on. Au moins, les nuits suivantes, les fenêtres seront fermées.
« C’est vraiment nouveau ! »
Bien loin de « l’esprit Airbnb », les lockdown parties (littéralement les fêtes portes closes) semblent s’être multipliées pendant le confinement. Mi mai, deux journalistes belges ont filmé « des traces évidentes de fête » dans deux appartements Airbnb qu’ils avaient loué durant leur séjour à Paris. À leur arrivée, ils découvrent des tas d’ordures, des poubelles pleines, des mégots de joints et de cigarettes, du verre brisé, des lits défaits, des odeurs de fumée… « Avant le confinement, il n’y avait pas ce phénomène de fêtes ponctuelles. Louer ces appartements pour y faire des soirées, c’est vraiment nouveau ! », confirment les membres du comité du 61 place de la Réunion.
Avec le confinement et la fermeture des frontières, l’activité d’Airbnb a chuté de plus de 85 % au cours des deux derniers mois. Cette baisse a affecté les prix. Au 61 place de la Réunion, alors que la nuitée coûtait environ 150 euros d’après les riverains qui ont repéré l’annonce sur le site, elle coûte désormais entre 90 et 108 euros. Auxquels il faut ajouter les 80 euros de ménage et la taxe de séjour (15%). L’addition est salée… mais en divisant par le nombre de participants, le prix devient très abordable. Une parade bon marché à la fermeture des boîtes de nuit ? « Nous n’avons pas fermé les clubs pour que les gens privatisent des Airbnb et y fassent leurs soirées ! », s’agace Frédéric Hocquard, adjoint à la mairie de Parie chargé notamment de la vie nocturne, venu au soutien des habitants de l’immeuble.
L’immeuble de la discorde ?
Le tapage, l’insécurité, les tensions… L’immeuble de la place de la Réunion (ou plutôt de la discorde?) cristallise tous les « problèmes » engendrés par l’explosion des meublés touristiques de courte-durée à Paris. Aujourd’hui, on dénombre 51 983 annonces de logements entiers sur la plate-forme, d’après Insidebnb. Solidaires, les habitants du 20e demandent « l’arrêt des nuisances liées aux occupations touristiques » telles que « les passages incessants » ou encore « la dégradation des parties communes », mais aussi « le respect du cadre de vie des locataires » et enfin « l’arrêt de la transformation systématique des logements vacants en résidences touristiques ».
Ce jour-là, la banderole fait face au marché qui bat son plein. Les commerçants ont repris du service, la campagne électorale pour les municipales aussi. Airbnb est une thématique transversale présente dans les principaux programmes des candidats parisiens. Jacques Baudrier, actuel adjoint à la mairie en charge du logement et engagé dans la campagne d’Anne Hidalgo, soutient l’action citoyenne des voisins. « À Paris, on dénombre 235 000 logements vacants et de résidences secondaires, dont approximativement entre 30 000 et 40 000 meublés touristiques, dont les Airbnb. Ces chiffres sont en hausse, alors qu’en parallèle, il y a des milliers de gens qui n’arrivent pas à se loger dans la capitale », indique l’élu du 20e, qui travaille à sa réélection. Son collègue, Ian Brossat, figure de proue de la lutte anti-Airbnb à la mairie de Paris, a tweeté son soutien. Danielle Simonet, candidate LFI, engagée contre les plates-formes a, elle-aussi, soutenu la mobilisation citoyenne avec une vidéo.
Le collectif des Voisins en Colère-Stop Airbnb dénonce leur propriétaire qui transforme les logements vacants de l'immeuble en location saisonnière à l'année ou au week-end.
Un exemple de la façon dont on retire du parc locatif pour en faire des meublés touristiques à Paris ! pic.twitter.com/CisNoVAENS— Danielle Simonnet (@SimonnetDeputee) June 4, 2020
L’immeuble appartient à un unique propriétaire. Il est composé de dix appartements, dont deux ont déjà été transformés en appartements Airbnb depuis deux ans. D’après les annonces, ces surfaces sont optimisées pour accueillir entre 5 et 7 voyageurs, entre le salon et les deux chambres.
Mais ce n’est pas tout : il y a un an, l’agence Tour Immo, qui gère l’immeuble, n’aurait pas renouvelé le bail de location de deux autres appartements, situés au 3e étage. Ils sont restés vides. Et depuis janvier, ils sont en travaux. « Nous nous sommes aperçus qu’il transformait les deux biens en un seul lot… Il pourrait en faire un mega Airbnb ! », craignent les habitants. Le nouveau lot donne sur une terrasse de toit, surplombant deux espaces communs qui, en raison de l’enchevêtrement des appartements, font office de caisse de résonance au moindre bruit.
Des « manques à gagner »
« On nous fait clairement sentir qu’on est des manques à gagner. Qui sera le prochain ? », s’interrogent les voisins, qui paient des loyers plutôt modestes grâce à la structure mixte de l’immeuble. Quand le comité questionne l’agence immobilière, cette dernière « fait tampon » pour « protéger le propriétaire ». L’intéressé ne s’est pas manifesté. La gestion des deux Airbnb a été déléguée entièrement à Checkmyguest, une conciergerie 2.0 qui promet de gérer votre appartement sur Airbnb. Des photos au paiement, en passant par la messagerie, le ménage et la remise des clés, tout est pris en charge contre 20 % du prix de la nuitée. Actuellement, la start-up gérerait 450 appartements à Paris.
« Personne ne nous entend », déplorent les habitants. Seul le DAL a répondu à l’appel. Il faut dire que l’histoire de l’association est liée à celle du bâtiment. En 1986, c’est précisément dans cet immeuble que se déclare un incendie criminel, qui tue, puis force à expulser ses locataires… pour le retaper. Le drame aboutit, quatre ans plus tard, à plusieurs mois de mobilisation sur la place de la Réunion, et en parallèle à la création du l’association. Trente ans plus tard, du DAL à Checkmyguest, les riverains tirent la sonnette d’alarme. « Nous aussi on a fait la fête… On comprend, mais on demande juste un peu de considération… et de calme. »
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