Le magazine américain Fortune vient de consacrer une longue enquête au thème de la prise de décision. Comme c’est un média influent, qui donne le ton sur les pratiques de management outre-Atlantique,
j’ai voulu la décortiquer pour vous.Premier enseignement : un appel à l’Histoire est toujours le bienvenu. Le journal cite donc Hérodote (né 484 avant J.C.), qui explique comment les Perses validaient une décision : ils se mettaient d’accord en
buvant beaucoup ; si, le lendemain, sobres et dégrisés, ils maintenaient le point de vue de la veille, c’est que la décision était bonne, et elle était adoptée. Vous pouvez raconter cette histoire à votre conseil d’administration,
on ne sait jamais, vous gagnerez peut-être un bon repas…Ensuite, c’est moins drôle, Fortune vous assène les lieux communs : un vrai patron est celui qui prend les décisions qu’on ne peut déléguer… La qualité d’une décision est ce qui vous
donne de la valeur, etc. Alors, vite, on revient au latin : decidere veut dire trancher. Evidemment, cela plaira aux cost killers qui sévissent un peu partout. Mais tout le monde n’est pas
Alexandre, qui osa trancher le noeud gordien : un violent coup d’épée sur un paquet de n?”uds inextricable tressé par Gordias, que personne n’avait réussi à démêler à la main. Ça ne marche hélas pas toujours aussi vite ni aussi
facilement !Que faire alors ? S’inspirer des autres, telle est la méthode de Fortune.
‘ Décider, dit le magazine, c’est recevoir l’incertain chez vous, lui
offrir un verre et l’inviter à rester dîner. ‘ On lit avec plaisir ces belles histoires : comment Edwin Land eut l’idée du Polaroïd, quand sa fille exigea de voir tout de suite la photo qu’il venait
de prendre d’elle ; comment en 1929, une femme nommée Lila Luce choisit sur une liste de noms présentée par son mari Henry le mot Fortune, alors que Henry préférait Power ou Tycoon. Elle a bien fait : c’est toujours le nom du
magazine, 1000 numéros plus tard.Bref, il n’existe pas de règle pour prendre une bonne ou une mauvaise décision, il n’y a que des aventures. Et Fortune sait les raconter. Exemple : vos ingénieurs ont un super nouveau produit dans
les cartons, très cher à fabriquer et vous avez déjà hypothéqué tous vos biens ; en face votre concurrent est une grosse entreprise dont le produit est fin prêt. Vous avez rendez-vous avec votre plus gros prospect. Que faire ? Si votre
instinct vous pousse à laisser tomber, vous venez de tuer le 707, l’avion qui permettra en 1955 à Bill Allen, patron de Boeing, de doubler Douglas Aircraft…Et pour finir, les inévitables conseils, gracieusement dispensés par le gourou Jim Collins. Florilège : décider, ce n’est pas répondre à la question ‘ quoi ? ‘, mais à la question
‘ qui ? ‘ ; votre pire ennemi, c’est vous, car vous êtes capable de rallier n’importe qui à votre point de vue au lieu d’écouter ; la décision n’est pas un consensus, mais un
conflit, un débat ; c’est admettre de dire au départ : ‘ Je ne sais pas ‘… Et l’on revient ainsi avec bonheur aux Anciens : soyez socratique, posez les bonnes questions, et vous prendrez
alors la bonne décision !* Directeur de la rédaction de 01 DSI
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