Issue du service de reproduction photographique des musées français créé après la seconde guerre mondiale, l’agence photo de la Réunion des musées nationaux, dite RMN, répond à une mission de service public. Son rôle, photographier, à fin d’inventaire, les œuvres des musées nationaux dont elle a la charge et de ceux qui font appel à ses services. Mais elle assure également la diffusion commerciale de ses images auprès du public et des professionnels (éditeurs, presse, multimédia…). Dès l’an 2000, l’agence a pris la décision d’abandonner la photo argentique. C’est à cette époque qu’a été créé le laboratoire chargé de préparer le passage au tout-numérique (qui intervient en 2003), et l’abandon définitif de la pellicule.
Le stockage : un méga problème
Le laboratoire se consacre aujourd’hui principalement à la numérisation d’images argentiques provenant du fond de la RMN ou de ses partenaires : soit sur demande d’un client, soit pour des besoins internes, soit pour les conservations. Les premiers dos numériques greffés sur des appareils photo moyen format Mamiya offraient une définition de 22 mégapixels. Aujourd’hui, Jean-Paul Bessières-Orsoni, le responsable de l’agence, prévoit d’échanger début 2011 les dos de 56 Mpix, achetés il y a à peine plus d’un an, par des modèles de 80 Mpix qui permettront de réaliser des photos dans la résolution impressionnante de 10 320 x 7 752 points. Le but, offrir en permanence la meilleure qualité d’image à ses clients et au public. Le passage au numérique a permis de doubler la production d’images, et de réduire considérablement les coûts de production en supprimant les dépenses en consommables (produits chimiques, papier photo, pochettes plastique…) qui variaient entre 150 000 et 200 000 euros par an. Mais le numérique pose d’autres problèmes, et notamment celui du stockage. Les serveurs de la RMN hébergent aujourd’hui 370 000 photos en haute définition, soit un volume de 14 To dans deux serveurs de sauvegarde sécurisés en Raid-6. En outre, deux tiers de la production bénéficient d’une sauvegarde complémentaire sur des CD-Rom Gold stockés sur un autre site. Le problème, c’est que la durée de vie garantie de ces médias n’excède pas quatre ans. L’agence évalue-donc de nouvelles options de sauvegarde, moins coûteuses et plus sûres.
Studio photo éphémère
Pour des raisons de sécurité, les œuvres sont toujours photographiées sur site. Les conditions de travail sont parfois délicates, voire pénibles, en raison du peu d’espace dont dispose le photographe pour installer son studio éphémère. Trois heures seront nécessaires à Franck Raux pour réaliser deux clichés de ce fauteuil Empire, récemment acquis par le château de Malmaison. Le fauteuil est, pour l’occasion, installé dans la chambre de l’Empereur devant un fond gris neutre. Pour obtenir une précision optimale des couleurs, le photographe, après avoir calé ses lumières, réalise sa balance grâce à une charte posée sur l’objet. Ce fauteuil est photographié à but d’inventaire, le directeur du musée souhaitant en conserver une trace avant sa restauration.
Prise de vue… assistée par ordinateur
Les six photographes du service photo de la RMN disposent tous du même matériel, un boîtier moyen format Phase One 645 DF couplé à un dos numérique Leaf Aptus II 10 de 56 mégapixels. La définition des photos atteint 9288 x 6000 points. Les boîtiers sont équipés d’optiques Schneider Kreuznach spécialement développées pour l’imagerie numérique. L’appareil est piloté par le logiciel Leaf Capture installé sur un Macbook Pro. Une fois la photo prise, le résultat, et notamment la netteté, est contrôlé à l’écran. La précision est telle qu’elle permet de déceler des détails invisibles à l’œil nu. En cas de besoin, le conservateur peut venir valider le cliché. Seuls les exemplaires retenus seront conservés, ici deux photos seulement, le fauteuil dans son ensemble, et un détail ornemental.
Le minutieux travail des retoucheurs
L’une des missions du retoucheur et de ses deux apprentis consiste à détourer les objets photographiés puis à recréer les ombres à partir de la photo d’origine, pour éviter que l’objet ne semble flotter dans l’air. Opération minutieuse qui peut durer une demi-journée. Autre domaine d’intervention, le montage. Il arrive que le photographe ne dispose pas d’un recul suffisant pour cadrer une œuvre dans son ensemble. Plutôt que d’utiliser un objectif grand angle qui pourrait causer des déformations délicates à corriger, il quadrille la scène à l’aide de niveaux laser. Il photographie les différents plans successivement puis assemble les clichés dans Photoshop. Autre cas de figure, afin d’obtenir une netteté parfaite du premier plan jusqu’à l’arrière-plan d’un petit objet, telle cette Salomé en cire de Gustave Moreau, le photographe prend plusieurs clichés successifs en ne modifiant que le plan de netteté. Leur fusion à l’aide du logiciel Helicon Focus donne une photo au piqué stupéfiant.
Précision et confort
Les opérateurs du laboratoire travaillent sur des écrans LaCie ou Eizo. Chaque matin, ils vérifient leur calibration à l’œil nu, en affichant une mire de dégradés de gris. Néanmoins, pour plus de sécurité, les écrans sont systématiquement calibrés une fois par semaine à l’aide d’une sonde Eye-One GretagMcBeth. L’emploi de la palette graphique s’avère plus confortable et précis que la souris pour les travaux de retouche les plus délicats, comme ici, le décourage d’une sculpture à partir d’un ekta scanné.
Numériser les clichés en relief du XXIe siècle !
Les premiers procédés de photographie en relief datent du milieu du XIXe siècle. La RMN a récupéré un grand nombre de ces clichés sur plaques de verre. Ils ont été numérisés puis traités de manière à pouvoir être admirés à l’aide de simples lunettes munies de filtres rouge et bleu. Ce procédé est appelé “ anaglyphe ”. À l’aide de Photoshop, le photographe commence par choisir celle des deux vues qui présente le plus de détails et de contraste. Il la convertit en mode RVB pour récupérer les trois couches rouge, verte et bleue. Il glisse ensuite la couche rouge sur la seconde photo pour faire apparaître la couche bleue par transparence. Muni des lunettes 3D, il déplace doucement la couche rouge au-dessus de la bleue jusqu’à obtenir l’effet 3D recherché. Fatigue oculaire garantie !
La restauration de photos
Avec le temps ou à cause de mauvaises conditions de conservation, les ektas se dégradent. La couche cyan peut alors disparaître. Ces diapositives représentent souvent des œuvres que la RMN ne peut plus photographier, parce qu’elles ont disparu, ont été détruites, ou plus simplement appartiennent à des musées avec lesquels l’organisme ne possède pas de partenariat. Mais grâce à Photoshop, les techniciens du service photo parviennent à reconstituer la couche manquante, en se basant sur les informations résiduelles situées sur les couches verte et rouge. Les informations de couleur et de densité peuvent ainsi être retrouvées. Par contre, les détails spécifiques à la couche manquante, par exemple des informations de grain, sont en général perdus. Le service photo collabore en permanence avec les personnes susceptibles de pouvoir comparer le résultat de la retouche avec l’œuvre originale, qu’il s’agisse du conservateur du musée qui l’héberge ou d’un historien d’art.
La photographie des plaques de verre
Un dispositif de numérisation spécifique a été imaginé pour photographier les plaques de verre N&B dont la taille peut atteindre 24 x 30 cm. Il se compose d’une chambre moyen format 6 x 9 couplée à un dos Phase One P65+ de 60,5 Mpix (8984 x 6732 points) et à des optiques Schneider Kreuznach. Les plaques sont posées sur une table lumineuse froide. Le nitrate de cellulose, dont certaines sont composées, est en effet extrêmement inflammable, même à température ambiante si elles ont été stockées dans de mauvaises conditions. Impossible donc de les scanner, la lampe de balayage, qui atteint ponctuellement 30 °C, risquant d’endommager le document. L’ensemble est piloté par un obturateur électronique Rolley déporté, pour éviter toute vibration.
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