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De la sidération à la négociation : comment le duo Trump-Musk a fait vaciller l’Europe en 13 jours

Retour sur les treize premiers jours de Donald Trump (saison 2) et d’Elon Musk à la Maison blanche : alors que les deux hommes ont multiplié les « provocations », l’Europe a cherché une ligne de défense… qu’elle n’a toujours pas trouvé.

La menace d’annexion du Groenland, l’imminence d’une guerre commerciale, l’ingérence d’Elon Musk dans les élections législatives allemandes… Voilà treize jours que Donald Trump a fait son grand retour à la Maison-Blanche, et voilà treize jours que le nouveau président américain et son proche conseiller Elon Musk « provoquent » frontalement l’Europe sur le plan commercial, juridique et même géographique.

Face à ces menaces et vociférations, la réponse de l’Europe était très attendue. Après un temps de « sidération » voire d’incrédulité, c’est une réponse « pragmatique » voire transactionnelle qui semble émerger… et qui ne satisfait personne. Retour sur ces treize derniers jours pendant lesquels l’Union européenne (UE) a cherché sa stratégie de défense, une approche qui fera l’objet d’âpres discussions le 3 février prochain. Un sommet informel en Belgique est justement consacré à la défense et aux relations transatlantiques.

Épisode 1 : L’absence de réaction

Trump-Musk : 10. Ursula von der Leyen : 0. Dans l’affrontement actuel qui oppose Donald Trump et son conseiller Musk à l’Union européenne, difficile de trouver un point de départ. Les « menaces » et « provocations » d’un chef d’Etat, soutenu par les géants de la tech et de l’intelligence artificielle, commencent en fait bien avant le jour d’investiture du président. En décembre, le candidat nouvellement réélu estime que le Groenland, un territoire semi-autonome du Danemark – un membre de l’UE et de l’OTAN – doit appartenir aux États-Unis pour des raisons de « sécurité nationale ». Les vélléités d’annexions de décembre, déjà émises pendant son premier mandat, sont répétées lors d’une conférence de presse début janvier.

De son côté, Elon Musk, futur puissant conseiller spécial à la Maison Blanche et homme le plus riche du monde, s’immisce sans ménagement dans les élections législatives allemandes sur son réseau social X (ex-Twitter). Il déclare que « seule l’AfD peut sauver l’Allemagne » avant d’interviewer lui même Alice Weidel, la leader du parti d’extrême droite, toujours sur son réseau X.

Quelques jours plus tard, Mark Zuckerberg, à la tête de WhatsApp, Facebook et Instagram, entre en piste. Il se range dans le camp pro-Trump, et annonce mettre fin à son programme de fact checking sur ses réseaux sociaux. Pour ce dernier, la réglementation européenne du numérique est un droit de douane déguisé contre les entreprises américaines de la tech. Il faut dire que son groupe, Meta, a été condamné à plusieurs reprises par des cours européennes à des amendes salées.

L’argument fait mouche. Il est repris par Donald Trump en personne, lors du forum économique de Davos, cette fois après son investiture. « Nous avons des griefs très importants à formuler à l’égard de l’UE», déclare le milliardaire le 23 janvier dernier. Pour le locataire de la Maison Blanche, les condamnations de Google, Apple, et Meta sont de la taxation déguisée de l’Europe. Les cours européennes « ont gagné des milliards grâce à Apple, (…) à Google. Or, ces entreprises sont américaines, que cela leur plaise ou non », tacle-t-il.

Face à ces déclarations, Bruxelles semble presque KO. Contrairement au mois de décembre où Ursula von der Leyen avait vivement réagi contre le réseau social chinois TikTok, soupçonné d’avoir manipulé les élections roumaines, aucun son ne sort des couloirs de la Commission. La présidente, atteinte d’une pneumonie sévère, ne fait aucune déclaration. Sa vice-présidente Henna Virkkunen, la commissaire finlandaise en charge de la souveraineté technologique, fait de même, à l’exception d’un tweet du 11 janvier qui ne cite pas directement Zuckerberg, Musk ou Trump, mais qui détaille le rôle des réseaux sociaux. « En Europe nous voulons créer un environnement numérique sûr et équitable », écrit-elle.

Ce début de défense est aussitôt battu en brèche par un article du Monde, corroboré par le Financial Times. Les deux papiers douchent tout espoir d’une réaction un temps soit peu courroucée de l’Union européenne. Selon les deux médias, Bruxelles, en lieu et place de réagir, a décidé de mettre le hola sur toutes ses enquêtes contre les géants du numérique américains comme Apple, Meta, Google et X.

Un revirement à 360 degrés quand on pense que cinq mois plus tôt (août 2024), Thierry Breton, alors commissaire européen au Marché intérieur, dégainait directement et dans un mode « cow-boy décomplexé », une lettre à Elon Musk, patron de X, lui demandant de se conformer illico presto au DSA, le Digital Services Act ou règlement européen sur les services numériques.

Pour le quotidien britannique, Bruxelles réexaminerait toutes ses enquêtes à l’aune de ce nouveau contexte. Si la nouvelle est aussitôt démentie par la Commission, elle fait réagir de nombreux politiques européens. Jean-Noël Barrot, ancien ministre du Numérique et actuel ministre de l’Europe, demande à la Commission « que sa main ne tremble pas » dans son application des règlementations sur le numérique, au micro de RTL.  L’Eurodéputée Nathalie Loiseau (Horizons) juge le « silence de la Commission »« choquant » : « On n’est pas des vassaux. On n’est pas des clients des Etats-Unis », insiste la politique française sur Sud Radio.

« J’attends d’une manière générale que l’Europe se réveille, que madame von der Leyen se réveille, qu’enfin nous arrêtions d’être les grands naïfs du monde », souligne encore l’eurodéputé socialiste Pierre Jouvet, interrogé sur Public Sénat et LCP le 17 janvier dernier. « L’Europe a l’obligation d’enquêter sur les pratiques de Musk. L’Europe, si elle s’en donne les moyens, est assez puissante pour peser », soutient encore Thierry Breton, l’ancien commissaire européen, dans les colonnes des Echos.

En coulisse, on explique attendre l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier. Autant ménager celui qui a menacé le Vieux continent de droits de douane et qui pourrait lâcher les Européens en Ukraine.

Episode 2 : une réaction timide de l’Europe tombe

Mais finalement le 17 janvier, la réaction tant attendue de Bruxelles tombe, trois jours avant l’investiture de Donald Trump. Ce n’est ni Ursula von der Leyen qui tape du poing sur la table, ni les 27 qui envoient un message plus que diplomatique à Donald Trump. Comme Emmanuel Macron l’avait fait quelques jours plus tôt en visant Elon Musk sans invectiver le président américain, la Commission européenne publie un communiqué, dans lequel elle explique prendre « des mesures d’enquête supplémentaires dans le cadre de la procédure du DSA en cours contre X », la plateforme d’Elon Musk.

Il s’agit cette fois de « faire la lumière sur la conformité des systèmes de recommandation de X avec les obligations du DSA », explique Henna Virkkunen, la vice-présidente de la Commission chargée de la Souveraineté technologique.

À lire aussi : Désinformation : Bruxelles approfondit finalement son enquête contre X, la plateforme d’Elon Musk

Le message est clair : aucune enquête n’est officiellement mise de côté. Et pour X et Elon Musk, le dossier s’est épaissi depuis l’épisode de début janvier.

L’éventualité de procédures gelées et d’enquêtes suspendues est aussi battue en brèche par le directeur général de la direction de la Concurrence de la Commission européenne, Olivier Guersent, qui s’exprimait devant le Conseil d’Etat lors d’une conférence le 21 janvier sur la régulation des réseaux sociaux. Selon le haut fonctionnaire européen, il est impossible pour la Commission d’arrêter les enquêtes en cours, à moins de le justifier.

Episode 3 : l’approche pragmatique avec des lignes rouges

Et lorsqu’Ursula von der Leyen s’exprime enfin, à Davos, sur le sujet, c’est pour dire que les Européens sont « prêts à négocier [avec Washington] en étant pragmatiques », sans pour autant « renoncer à (leurs) principes ». En novembre dernier, elle avait déclaré après un appel téléphonique avec Donald Trump que l’Europe devrait être ouverte à l’achat de davantage de GNL américain.

Même son de cloche chez Christine Lagarde, actuelle présidente de la Banque centrale européenne, qui estimait après l’élection de Donald Trump, dans les pages du Financial Times, que l’Europe devrait acheter davantage d’armes et de GNL américains pour éviter la guerre commerciale avec Trump.

Il faudra attendre le lundi 27 janvier pour en savoir un peu plus. Lors d’une conférence de presse, Kaja Kallas, la Haute représentante de l’Union pour les Affaires étrangères, suit la ligne d’Ursula von der Leyen. Elle prône « la médiation avec Trump ». Et même « s’il n’est pas toujours nécessaire de prendre au pied de la lettre tout ce que Donald Trump dit », « cette nouvelle administration a un language très transactionnel. Elle souhaite négocier sur un certain nombre de dossiers. Il faut donc faire de même », explique-t-elle. Tout en ajoutant qu’il n’y aura aucune négociation sur le Groenland.

Depuis, rien de nouveau à l’horizon. Si ce n’est que la pression, côté européen, monte d’un cran. Car depuis le 20 janvier, les politiques, les industriels et les associations ont envoyé de très nombreux messages à la Commission européenne, lui demandant d’appliquer le DSA (Digital Services Act), le DMA (Digital Markets Act), ou tout simplement de réagir, rapporte Contexte.

A commencer par des Eurodéputés qui réclament le 23 janvier l’application rapide du DMA, à l’image de la Française Stéphanie Yon Courtin (Renew Europe). Suivie quelques jours plus tard d’une autre missive, envoyée cette fois par 12 ministres des Affaires européennes de l’UE, dont Benjamin Haddad, qui demandent à l’exécutif de « mener la charge en exploitant pleinement les pouvoirs conférés par le règlement sur les services numériques (DSA) pour remédier à tous les risques et en accélérant les enquêtes en cours ».

40 lobbys de la société civile exigent que l’exécutif ne cède pas aux menaces américaines, en appliquant le DSA et en investissant dans des réseaux sociaux décentralisés. Même topo pour des associations et des industries du numérique, dans une autre lettre du 27 janvier.

De son côté, Donald Trump fait aussi monter la pression. Celui qui est décrit comme « un petit tyran » par Joseph Stiglitz, prix nobel d’économie et ancien économiste en chef de la Banque mondiale dans les colonnes du 1, donne un coup dans le cadre transatlantique de transfert des données personnelles. Il met fin aux garde-fous qui entouraient aux Etats-Unis le développement de l’IA, et menace d’imposer des droits de douane à l’Union européenne si celle-ci n’achète pas plus de gaz de schiste américains. Tout en maintenant ses vélléités d’annexion du Groenland. De quoi pousser la première ministre danoise à faire le tour des capitales européennes pour s’assurer de leurs soutiens, pas plus tard que cette semaine.

Maroš Šefčovič, le commissaire européen au Commerce, mise, lui, sur « la menace concurrentielle posée par la Chine » pour apaiser Donald Trump, rapporte Politico. Cette menace ne pourrait-elle pas être combattue de concert par l’UE et les Etats-Unis ? Bruxelles pourrait justement faire équipe avec Washington pour renforcer la sécurité économique face à la Chine, avance-t-il. Le commissaire en profite pour minimiser le déficit commercial américain vis à vis de l’Europe, un déficit dont se plaint régulièrement Donald Trump. Pas sûr que ces arguments de raison convainquent le président.

Episode 4 : L’Europe doit resserrer ses rangs, et… Et ?

Quelle attitude alors adopter ? Pour Kaja Kallas, qui s’exprimait lundi dernier, l’UE, doit, face  à Trump, resserrer ses rangs. D’autant qu’au sein des 27, tous les pays ne sont pas d’accord sur la démarche à adopter. A côté de l’italienne Giorgia Meloni, qui ne cache pas sa proximité avec Elon Musk, Marc Ferracci, le ministre français de l’industrie et de l’énergie, estime, chez Politico, « qu’on ne peut pas entrer dans une négociation en faisant des concessions d’entrée de jeu » – à savoir, de promesses sur des achats de gaz américains.

Pourtant, rappelle Kaja Kallas, vice-présidente de la Commission européenne, « nous sommes plus forts lorsque nous sommes unis. L’Europe est un poids lourd et un partenaire géopolitique et économique », souligne-t-elle. L’UE est en effet un marché de 450 millions de consommateurs, la 2e puissance commerciale, économique et monétaire au monde : des faits souvent oubliés par les Européens eux-mêmes qui doivent « prendre conscience de leur puissance et travailler à leur indépendance », plaide Nicole Gnesotto, vice-présidente de l’institut Jacques Delors, dans les pages du 1.

Pour Jean-Marie Cavada, président de l’Institut des Droits Fondamentaux Numériques (iDFRights) qui s’exprimait jeudi 30 janvier lors d’une audition au Sénat sur l’IA et les droits humains, il n’y a qu’une seule solution face à « cette volonté d’impérialisme » : « construire un pouvoir régalien (européen) qui permettrait (…)  d’emprunter, (…), construire une défense (…) et construire un appareil technologique européen respectueux d’un minimum de valeurs fondamentales ». Un chemin de croix pour les 27 pays de l’UE qui pourraient être contraints, sous pression américaine, et malgré leur mille et un désaccords, de sauter le pas.

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