En léguant son corps à la science, Joseph-Paul Jernigan a fait avancer la recherche à pas de géant. Le cadavre de ce condamné à mort, exécuté au Texas en 1993, a été entièrement découpé en fines lamelles qui ont servi à produire des images numérisées à destination du monde médical. A elle seule, l’étude de son foie amorce une nouvelle révolution en matière de chirurgie assistée par ordinateur.
L’analyse des ” clichés ” a servi de point de départ au projet Epidaure. Mené à Sophia-Antipolis par des chercheurs de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), ce projet vise à mettre au point une panoplie d’outils informatiques destinés à la fois à affiner le diagnostic des chirurgiens et à améliorer leurs méthodes thérapeutiques.
En s’appuyant sur les planches d’images représentant des portions du foie de feu Jernigan, l’Inria a d’abord développé, avec l’aide de chirurgiens, un logiciel capable de reconstituer l’image du foie d’un patient en trois dimensions à partir de radiographies prises au scanner.
Le logiciel fait ses preuves à l’Institut de recherche contre les cancers de l’appareil digestif (Ircad). Dans cet établissement strasbourgeois à la pointe de la modernité en matière d’intégration de nouvelles technologies, les chirurgiens sont invités à livrer leur propre diagnostic et à en déduire les modalités d’intervention de façon traditionnelle, avant de passer devant un écran d’ordinateur. Objectif : comparer leur point de vue avec celui du logiciel. Verdict ? Le logiciel développé par l’Inria met en évidence des tumeurs que les chirurgiens ne parviennent pas toujours à repérer sur les radiographies. Dans 50 % des cas, l’ordinateur amène ces spécialistes à réviser leur diagnostic avant d’opérer !
Comparable à ce qu’on trouve sur certaines manettes de jeu, ce système à retour de force n’a, en l’occurrence, rien d’un gadget : il simule la sensation tactile perçue par le chirurgien lorsqu’il entre en contact avec une zone affectée par une tumeur. “Celle-ci n’a pas la même consistance que les autres tissus”, précise Hervé Delingette, chercheur à l’Inria.
Ce simulateur intéresse particulièrement les établissements dédiés à l’enseignement et à la formation des chirurgiens, où ces derniers, avant d’opérer leurs premiers patients, se font la main tantôt sur des maquettes en caoutchouc, tantôt sur des cochons… “Si, psychologiquement, les conditions d’intervention sur un simulateur sont assez différentes de celles qu’on vit en bloc opératoire, l’apprentissage des gestes sur ce type d’appareil peut éviter de la casse “, souligne un chirurgien.
Mais, avant de l’exploiter dans ce contexte, l’Inria doit encore améliorer le réalisme de son simulateur : “On ne développe pas un simulateur de chirurgie comme on développe un simulateur de vol”, explique Nicholas Ayache, responsable scientifique du projet Epidaure à l’Inria. A la différence du pilote de chasse, qui survole un territoire sans en modifier le contenu, le chirurgien produit des déformations sur l’organe qu’il opère. Comme les propriétés physiques et mécaniques du foie varient selon chaque individu, le simulateur doit réaliser des calculs particulièrement complexes qui limitent encore le réalisme de la simulation.
Les travaux réalisés sur le foie devraient rapidement être adaptés aux autres organes, en particulier au cerveau. “Ce genre d’outil permettra au neurochirurgien de répéter son intervention en comparant la qualité de son geste pour chacune des hypothèses d’approche qu’il envisage, explique le professeur Frédéric Hor, neurochirurgien. Cela l’aidera à répondre aux questions qu’il se pose avant l’opération. Par quel côté dois-je aborder la lésion pour être le plus efficace ? Est-il possible d’enlever toute la tumeur ? Comment modifier mon approche chirurgicale pour y parvenir ? Il est probable qu’à l’avenir, tous les neurochirurgiens posséderont ce type d’outils pour préparer leurs opérations.”
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