L’offre de référence, publiée le 22 novembre dernier par France Télécom pour le dégroupage des boucles locales de cuivre, s’apparente par sa longueur et sa complexité à son catalogue d’interconnexion. Elle comprend un volet tarifaire et un ensemble de procédures et de règles techniques. Le volet tarifaire, qui est la partie emblématique du document, a immédiatement déclenché les plus vives réactions d’hostilité et de réprobation. Mais le volet technique n’a pas non plus convaincu. L’Aost (Association des opérateurs de services de télécoms) vient d’exprimer à son sujet les plus vives réserves.
1. La question des tarifs de location
Les tarifs de location des lignes dégroupées et partagées ont été jugés trop nettement au-dessus de la moyenne européenne. Dès le lendemain ?” le 23 novembre ?”, Christian Pierret, le ministre de tutelle, avait ainsi demandé à France Télécom de“se rapprocher” de l’ART pour faire en sorte que ces tarifs se situent “dès que possible au même niveau que ses partenaires européens” et permettre ainsi “un développement optimal et moins onéreux d’Internet à hauts débits au bénéfice de tous “.Ces tarifs, explique l’opérateur public, ont pourtant été calculés, ainsi que l’exige le décret du 12 septembre 2000, suivant la méthode des CMILT (Coûts moyens incrémentaux de long terme). En d’autres termes, ils ont été établis en fonction de ce que coûterait, aujourd’hui, la reconstruction d’une ligne avec les technologies actuelles. Ce calcul aboutit forcément, en France où l’habitat est plus dispersé, à des tarifs plus élevés.Les pays moins chers, ajoute France Télécom, ont au contraire calculé leurs tarifs en fonction des coûts historiques, autrement dit par rapport au coût de construction d’une ligne sur un réseau déjà largement amorti. Le plus souvent même, et pour aller plus vite, ces pays (dont l’Allemagne) se sont en réalité contentés de prendre comme référence le prix d’abonnement de la ligne téléphonique de base. En conséquence, si ces pays appliquaient la méthode des CMILT, comme les règlements européens vont les y obliger, leurs tarifs seraient beaucoup moins attractifs.En appliquant la méthode CMILT, élaborée par la société d’études Analysys, Tom Marten, directeur des relations extérieures chez Worldcom France, obtient cependant des résultats fort différents. “Je suis arrivé, dit-il, à la conclusion que les tarifs de France Télécom sont surévalués de 15 à 20 %.”Les tarifs de France Télécom sont actuellement passés au crible par l’ART. Aux termes du décret du 12 septembre 2000, l’Autorité n’est cependant habilitée qu’à en vérifier l’orientation vers les coûts. En l’état actuel, la réglementation française n’a pas prévu de procédure d’approbation comme pour le catalogue d’interconnexion, et encore moins une procédure d’homologation. Mais cette situation, pour le moins déséquilibrée, pourrait changer rapidement avec le nouveau règlement européen adopté le 5 décembre dernier par le Conseil des ministres de l’UE. Ce règlement donnera aux autorités réglementaires nationales “le pouvoir d’imposer, dans les cas justifiés, des modifications dans l’offre de référence” des opérateurs historiques. Il les fera, également,“participer au règlement des litiges”. Ce règlement pourrait entrer en vigueur dès sa parution au Journal officiel de l’UE, sans nécessiter de transposition dans les droits nationaux comme les directives.
2. Les autres tarifs
Mais les frais d’accès au service et les frais d’abonnement mensuel ne sont pas les seuls coûts du dégroupage. L’ART en a identifié une dizaine d’autres. Certains d’entre eux figurent déjà dans l’offre de référence de France Télécom. Selon l’Aost, ils excèdent les prix du marché dans des proportions bien plus importantes que les tarifs d’abonnement.Pour la fourniture d’une carte de répartiteur, France Télécom avait d’abord demandé 2 400 F. Aujourd’hui, il ne demande plus que 600 F. Mais, même après cette division par quatre, ce tarif est exorbitant, car les cartes fournies sont très approximatives et totalement inexploitables. Elles ne permettent pas même d’élaborer une demande fondée de colocalisation et encore moins de construire un plan d’investissement.Autre exemple : les tarifs de location des emplacements de baies dans les espaces de cohébergement. Selon les calculs de Tom Marten de Worldcom, ils sont soixante fois plus élevés que le prix du marché à Paris. Sur ce plan, France Télécom est de loin le plus cher en Europe. Son suivant immédiat, KPN aux Pays-Bas, ne s’autorise qu’un coefficient multiplicateur de 10.Autre scandale : France Télécom exige de ses challengers, avant même de démarrer les expérimentations conjointes, de souscrire une assurance dont il fixe lui-même le montant. Celle-ci est supposée couvrir les perturbations et les dégâts que pourraient causer dans le réseau de l’opérateur public des équipements de dégroupage encore insuffisamment stabilisés. Son montant peut atteindre 500 millions de francs par site, sans la moindre possibilité de mutualisation entre opérateurs !“On ne veut pas gagner d’argent dans cette affaire, avait pourtant déclaré Jean-Daniel Lallemand, directeur de la réglementation nationale et européenne chez France Télécom, en présentant l’offre de référence. On veut seulement ne pas en perdre.”Mais il sera difficile de le croire. “France Télécom, commente Tom Marten de Worldcom, a perdu la bataille réglementaire. Sa tactique est à présent de mener des combats de retardement sur les tarifs et les procédures. Il fait le maximum pour décourager les investissements de ses concurrents.”
3. Les clauses abusives
Les règlements et les procédures, qui complètent l’offre de référence de France Télécom, sont tout aussi controversés. La liste des points litigieux serait cependant trop longue à exposer ici dans le détail. Contentons-nous d’en indiquer les plus caractéristiques.? Tout d’abord, les adhérents de l’Aost ne veulent plus de cartes de répartiteurs fournies sur papier. Ils réclament des documents au format électronique et géocodés. Ces documents doivent comprendre la liste des numéros ZABPQ d’abonnés (5 premiers chiffres) affectés à ces répartiteurs. Il appartient également à France Télécom de préciser les problèmes que posent certains sites de colocalisation physique (manque de place et particularités techniques, par exemple). Il faudra aussi qu’il respecte les délais de fourniture qu’il s’est fixés dans son offre de référence pour ces informations (sous 48 h et non pas sous 2 mois). Il faudra enfin qu’il cesse de décider unilatéralement de la nature des informations dont les opérateurs tiers ont besoin.Dès à présent, l’Aost et l’Afopt (Association française des opérateurs privés de télécommunications) ont ainsi saisi l’ART pour manquement par France Télécom aux obligations qui lui sont imposées par le décret du 12 septembre dernier.? Lorsque la salle de colocalisation est trop petite pour accueillir tous les opérateurs ou lorsque France Télécom se trouve dans l’impossibilité d’en mettre une à leur disposition, l’opérateur historique entend obliger ces opérateurs à rechercher et à se procurer eux-mêmes un local situé à proximité (localisation distante). C’est là un autre sujet de friction, car les membres de l’Aost préféreraient une autre solution : que France Télécom accueille leurs équipements dans une salle commune, dont il assurerait la gestion et la maintenance (colocalisation virtuelle). Mais c’est une solution que l’opérateur historique exclut totalement, préférant que ses concurrents se prennent entièrement en charge, et même se déchirent entre eux. “Nous ne sommes pas l’administration des PTT”, a tenu à souligner Jean-Daniel Lallemand.? Les opérateurs alternatifs veulent bien admettre que ces salles de colocalisation n’ont pas vocation à se transformer en PoP (Points de présence) d’opérateurs. Mais on en est loin, car pour l’heure France Télécom s’autorise à exercer un véritable droit de veto sur les types d’équipements que ces opérateurs tiers voudraient y installer. Il refuse, notamment, les DSLAM multiservices, capables d’intégrer également des services vocaux.Autre clause jugée abusive : France Télécom s’autorise à reprendre l’espace commandé par un opérateur si aucun équipement n’est mis en service dans les six mois.? France Télécom a, de plus, imposé dans son offre de référence de nombreuses restrictions sur le type de lignes pouvant être dégroupées. C’est ainsi qu’il a supprimé le dégroupage par“création puis transfert”, qui avait pourtant été retenu pour les expérimentations phases 1 et 2. Il n’accepte que le dégroupage des lignes déjà existantes et déjà affectées à un numéro d’abonné. Il refuse le dégroupage de lignes à créer. Il n’accepte pas non plus celui des lignes Numéris ni des lignes groupées d’entreprise. Sur les câbles 4 paires, il ne dégroupera que la paire déjà attribuée à un numéro d’abonné.? France Télécom, enfin, ne s’engage à rétablir les circuits défaillants que dans un délai de deux jours ouvrables, alors que pour les expérimentations ce délai garanti de rétablissement avait été de 4 heures maximum.En conclusion, les conditions de dégroupage telles qu’elles ont été exposées dans l’offre de référence de France Télécom sont aussi peu attractives que possible. Pas étonnant, alors, si les rangs des opérateurs tiers intéressés se sont subitement éclaircis. Ils avaient été une quarantaine à demander à pouvoir participer aux expérimentations. Mais ils ne sont plus qu’une quinzaine à s’être inscrits pour les tests de la phase 2, et, à ce jour, ils ne sont que six à avoir effectivement passé commande pour cette seconde phase d’expérimentation.Siris, Cegetel et Easynet figurent dans ce dernier carré. Ils font le pari de rendre les conditions de dégroupage progressivement plus attractives moyennant un harcèlement de chaque instant. Worldcom, par contre, ne veut pas s’épuiser dans une tâche de cet ordre.“Le dégroupage, explique Tom Marten, ne commencera à être intéressant en France que dans deux ans. Nous verrons ce que nous ferons à ce moment-là.”D’ici là, France Télécom aura évidemment tout le temps d’acquérir une position dominante sur le marché des services DSL ( www.analysys.org) ( www.art-telecom.fr).
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