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Daniel Kaplan (CSTI) : ” La cyberculture est modelée par les techniciens de l’Internet “

” Le cyberespace. Une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d’opérateurs, dans tous les pays. (…)
Une représentation graphique de
données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain. “

   


 En 1984, l’écrivain de science?”fiction américain William Gibson publiait le Neuromancien, un roman culte qui allait nourrir la cyberculture naissante. L’auteur y décrivait le cyberespace et inventait également
le concept de matrice pour qualifier l’architecture du cyberespace, perçu aujourd’hui comme une préfiguration du réseau Internet.Près de vingt ans plus tard, a?”t?”on réellement vu émerger une cyberculture ? Le préfixe ” cyber ” vient de l’infinitif grec kubernan qui signifie gouverner (au sens de gouvernement
mais aussi de gouvernail). Qui dirige aujourd’hui la cyberculture ? Quels en sont les principaux acteurs et quel cap ont?”ils choisi ?Membre du Conseil stratégique des technologies de l’information ( CSTI) et délégué général de la
Fondation Internet nouvelle génération, Daniel Kaplan propose une lecture plus technique de la cyberculture. Selon lui, c’est la communauté technique de l’Internet qui est à l’origine de la cyberculture.
Mais celle?”ci ne pourra s’épanouir que si ses outils répondent aux besoins des internautes. Pour Daniel Kaplan, les techniciens de l’Internet doivent se mettre à l’écoute des internautes, nouveaux relais de la cyberculture. 


01net. : D’où vient la cyberculture et quels en sont les moteurs ?
Daniel Kaplan : La cyberculture est modelée par les gens qui construisent l’Internet, par la communauté technique qui gère le réseau, définit ses protocoles de communication, ses outils d’échange de l’information.,
etc. Cette communauté est constituée de scientifiques, d’informaticiens qui ont traduit techniquement dans l’Internet les valeurs qui leur tenaient à c?”ur.Ainsi, Internet et la cyberculture sont fondés sur le partage de l’information, la collaboration entre les hommes et, plus largement, sur l’idée que le Réseau doit être un système ouvert à tous. Ces techniciens s’intéressent plus
volontiers à la libre circulation des informations qu’à leur propriété intellectuelle, par exemple.Un autre moteur de la cyberculture est l’idée qu’Internet est un outil d’émancipation de l’individu. Cette idée a véhiculé de nombreuses utopies dont la plus forte est la croyance qu’Internet est une zone autogérable. En 1996, John
Perry Barlow (cofondateur de l’
Electronic Frontier Foundation) publiait ainsi une
déclaration d’indépendance du cyberespace où il conviait les gouvernements à ne pas légiférer sur Internet. Mais, aujourd’hui, tout le monde admet
qu’il est nécessaire de passer par des intermédiaires élus pour régler les conflits sur le Réseau…Quelle est la place des internautes dans la cyberculture ?Le rôle des internautes dans la cyberculture se définit essentiellement par le comportement qu’ils adoptent sur Internet. Contrairement à la communauté technique, les internautes ne maîtrisent par la construction de l’outil. En
revanche, ils définissent grâce à lui des formes de communication en constante évolution. De nouvelles orthographes s’inventent sur Internet par les applications de chat, par exemple.De manière très marginale, on a pu constater dans certaines entreprises que les outils Internet se substituaient aux rencontres interpersonnelles. Les employés adoptaient un comportement autiste en ne communiquant que par des outils
de messagerie, sans vraiment se rencontrer. Une sorte de cyberculture exacerbée, destructrice de lien social.Mais un aspect inédit de la cyberculture est le fait que la communication y est devenue un objectif en soi. Les canaux de chat recèlent de messages du genre : “Salut, y’a quelqu’un ? C’est cool
de parler sur Internet !”
On communique sur le fait qu’on communique. Ces fausses rencontres où ne s’échange aucune information traduisent une maturité incomplète de cette forme de communication.Ces deux communautés de techniciens et d’internautes peuvent-elles se comprendre ? Ont-elles les mêmes attentes ?La question cruciale est : quelle est l’importance d’Internet dans nos objectifs de vie ? Pour la communauté technique, Internet est un outil structurant de sa vie. Elle a donc transmis une approche un peu ” terroriste ”
de ce que les internautes devaient faire de l’Internet, de la manière dont ils devaient communiquer avec cet outil.Mais, pour la plupart des gens, Internet n’est qu’un outil parmi tant d’autres. On s’aperçoit qu’il se substitue assez peu aux autres formes d’échange que sont le téléphone ou la rencontre entre deux personnes dans le monde réel. On
ne peut pas contraindre les gens à vivre contre leurs envies. Ils cherchent plutôt à savoir comment Internet va s’intégrer dans leur univers mais ne sont pas prêts à modifier leur style de vie à cause d’Internet. Un individu, par exemple, se définit
comme un joueur d’échec qui utilise éventuellement Internet, et pas l’inverse.Ce qui commande chez les consommateurs, c’est une attente sociale plus que la technologie. Les techniciens de l’Internet et les entreprises des nouvelles technologies doivent donc s’intéresser aux usages des gens pour comprendre
quelles technologies peuvent répondre à certaines de leurs attentes.L’aspect technique d’Internet génère?”t?”il des formes d’exclusion ? Est-ce qu’Internet définit une nouvelle frontière entre ceux qui y ont accès et les autres ?Il est vrai que, pour tirer profit de l’Internet, on a besoin d’un minimum de capital culturel et technologique. C’est ce qu’on appelle la fracture numérique. Cependant, il ne s’agit pas d’un phénomène propre à Internet. La fracture
numérique n’est que la manifestation sur Internet de la fracture sociale du monde réel. C’est pourquoi se mettent en place des politiques publiques visant à atténuer les effets de cette fracture : des espaces d’accès à l’Internet ouverts à tous, par
exemple.Vous insistez sur l’usage d’Internet comme moyen de communication. Ses futures évolutions permettront-elles une abolition totale des distances géographiques, culturelles ?La réduction des contraintes géographiques sur la communication est un mouvement bien antérieur à l’Internet. Le télégraphe, puis le téléphone, ont déjà contribué à accélérer la communication malgré les distances et les reliefs.
Internet n’est donc qu’une étape supplémentaire vers l’affranchissement des distances.De plus, les distances d’ordre culturel ou linguistique n’ont pas de raisons de changer. On le voit très bien dans le domaine législatif : l’idée d’une réglementation internationale du commerce sur Internet est une pure
utopie !De nombreux romans d’anticipation décrivent un futur où les humains seront constamment connectés au Réseau, naviguant entre les univers virtuels et le monde réel. Cette vision est-elle réalisable ? Qui fixera les limites de la
technologie ?
Théoriquement, il n’y a pas de limites et ce genre de scénario est tout à fait possible. Cependant, je ne pense pas qu’il se réalisera. Ce sont les gens qui vont eux-mêmes fixer les limites des futures formes de communication, se
former une ” écologie de la communication “. Il y a une prise de conscience des excès des univers virtuels et une forte demande de maîtrise des outils.Les personnes utilisant ces univers virtuels exigeront des moyens de contrôle comme la possibilité de se déconnecter librement du Réseau, de ne pas être visibles par certaines communautés ou encore de pouvoir mettre un masque pour
protéger l’identité de leur avatar.

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Antonin Billet