Depuis le 11 septembre, le gouvernement Bush a décidé de stimuler fortement l’activité économique. Il a lancé des initiatives de reconquête par l’État régalien de domaines jusque-là abandonnés au marché autorégulateur, mis entre parenthèses les disciplines de marché pour les entreprises faillies (transport aérien), annulé les restrictions de rachat d’actions par les entreprises pour éviter un krach à Wall Street, lancé des initiatives coordonnées en matière de santé publique et demandé au Congrès un nouveau “fast track” pour négocier à Doha [capitale du Qatar, ndlr]. Ce n’est pas seulement l’État keynésien, État régulateur, qui serait de retour, mais c’est aussi l’État redistributeur et l’État maillon d’une gouvernance mondiale.
Questions transformées
Une bonne manière de prendre la mesure des évolutions en cours est de revenir sur l’avant-11 septembre, pour y repérer les questions qui faisaient alors débat et voir en quoi les événements dramatiques ont changé, ou non, la donne.Trois questions occupaient essentiellement alors les esprits. La première tenait à la qualification de la croissance américaine au-delà des effets de cycle. Avec la nouvelle économie, était-on sur un sentier de croissance durablement plus élevé du fait des gains de productivité provoqués par l’usage massif des NTIC ? La deuxième tenait au backlash observé en matière de mondialisation. La troisième portait sur les effets de la déréglementation. L’effondrement du réseau électrique californien comme l’e-krach ont conduit nombre d’observateurs à s’interroger sur les vertus de la déréglementation électrique et financière. Certes, dans les deux cas, il s’agissait plus d’articulation public-privé que de réelle déréglementation, mais le non-respect des murailles de Chine dans les institutions financières et les erreurs de design institutionnel dans la régulation des “utilities” ont bien eu des effets préjudiciables.S’agissant de la nouvelle économie, il est raisonnable de penser que la direction actuelle ne sera que marginalement infléchie : destruction de surcapacités, investissements de productivité et non de croissance, réorientation vers la sécurité des systèmes, reprise des marchés de défense. Le fait que les gains de productivité aient résisté à la brutale décélération de l’économie prouve au moins que l’investissement massif réalisé dans les années 1990 va continuer à produire des effets. L’enjeu, on le sait, au-delà des gains de productivité dûs au surinvestissement ?”notamment dans le secteur des NTIC?”, est la diffusion de ces gains dans les secteurs utilisateurs.C’est assurément la mondialisation et sa gouvernance qui méritent la réflexion la plus attentive. Au premier abord, le mouvement antimondialisation a subi un revers décisif. Quand le terrorisme frappe, la taxe Tobin devient dérisoire. Faut-il craindre alors un effet restrictif sur les échanges, sur les flux directs d’investissement, bref sur l’ouverture des économies. Logiquement, passé le premier moment d’inquiétude, les échanges devraient reprendre leur trajectoire.
Conséquences floues
Les circonstances actuelles sont-elles porteuses alors de plus de coordination, de multilatéralisme et de solidarité ? On peut soutenir que la grande alliance antiterroriste aura pour contreparties des avancées en matière de développement, de préservation de l’environnement, autrement dit de gouvernance mondiale. Mais on peut tout autant soutenir que l’unilatéralisme sort renforcé. Les États-Unis, qui agissent seuls militairement et même contre le blanchiment de l’argent sale, peuvent persister dans cette voie.Le retour de l’État semble moins contestable. Non pas tant du fait de la relance keynésienne, ni même de la coordination entre autorités monétaires et budgétaires, ni encore du fait du relâchement de contraintes réglementaires. La novation est à la fois plus simple et plus durable : une nation confrontée à l’adversité a besoin d’un État régalien qui marche. Les menaces de terrorisme bactériologique, les questions de sécurité aérienne et aéroportuaire, la trop grande dépendance actuelle à légard du transport aérien rendent nécessaire un État qui fonctionne, arbitre et protège.* Directeur de Recherches au CNRS
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