C’est probablement l’exposition la plus “intello” du moment, la plus provocante aussi. À l’image de son titre,“La peinture comme crime”
(*). Art consacré entre tous, codifié par des “maîtres”, régi par des “académies” et des “salons”, la peinture ne serait qu’un “crime contre l’imaginaire ?” carcan du corps, miroir de l’idéologie, outil du pouvoir…”, présuppose Régis Michel, le conservateur de l’exposition, sur www.louvre.fr/francais/expos/crime.htm. Thèse d’autant plus audacieuse qu’elle est défendue dans l’un des temples de la peinture académique : le Louvre. Thèse, par ailleurs, séduisante pour qui a jamais été frappé par la perfection froide de certains chefs-d’?”uvre classiques, sans vie, sans chair. Mais thèse indéfendable dès lors que les auteurs de l’exposition nous entraînent dans des analogies et des partis pris douteux.L’exposition s’ouvre sur une comparaison suffocante : la peinture et Auschwitz. Déni du corps, du fantasme et de l’impur, la peinture “conformiste” trouverait son apogée dans le rationalisme des Lumières (époque faste pour les “académies”, comme rappelé sur www.culture.fr/lumiere/documents/peinture.htm), et sa plus tragique consécration dans les camps d’Auschwitz (imaginés pour surveiller et punir). Le salut ne viendrait alors que des “artistes en marge”, dont l’exposition se propose de nous montrer l’originalité et la force charnelle.Au début, on y croit : c’est vrai qu’il y a dans la Parque antique de Carstens qui ouvre la bouche la première tentative de réintroduire le corps comme support des affects. Cette parque crie, hurle même, il n’est plus seulement une perfection esthétique, il s’exprime, se rebelle. Viennent ensuite les Disparates de Goya, éloge de la marginalité et de la laideur, et surtout la peinture symbolique de Redon, qui résume le corps à un “?”il”, faisant de celui-ci un pouvoir suprême. Redon transforme l’art en langage, celui de l’inconscient, ouvrant la voix à Magritte, qui explore plus complètement les frontières de l’invisible, dans La voix des airs ou le sublime La mémoire (à visionner sur le mini site de l’expo : www.louvre.fr/archives/peinture_crime /pres.htm) : une tache de sang sur un visage apparemment serein, ou l’âme révélant sa présence au corps, et le non-dit au monde.Et voici que l’on oublierait le malheureux propos introductif sur Auschwitz, qu’on se prendrait à saluer les brillants panneaux de commentaires des toiles. Las ! Action, la troisième partie de l’exposition fait resurgir les haut-le-c?”ur ! Klein d’abord, dont le cliché Le saut dans le vide, pied de nez à l’art qui prétendrait faire sens, est magnifié. Nihilisme de l’art… ou de la critique d’art ? À moins qu’elle ne soit masochiste : une section entière est consacrée aux chantres de l’actionnisme viennois, Brus et Schwarskogler en tête (philosophie de celui-ci sur www.brainwashed.com/axis/schwarzkogler/rudolf.htm). Leurs performances sont présentées comme l’ultime provocation, l’ultime rejet de la peinture. Et pour cause : peau tailladée, visages humiliés, nudité peinturlurée, le corps devient toile de torture. La peinture, certes, est crucifiée par les performances mutilatoires de ces artistes de l’extrême, mais la démonstration des auteurs de l’exposition aussi. L’art de l’après Auschwitz rejoue la terreur et la peinture comme crime devient crime de la peinture : où est le progrès ?(*) ” La peinture comme crime “, exposition au musée du Louvre, jusqu’au 14 janvier 2001.
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