Un ballon intercepté, une passe décisive et c’est le but ! Dans les tribunes, certains supporters n’ont même pas vu l’action, mais elle n’aura pas échappé à l’oeil affuté des photographes. Alignés le long du terrain, les photojournalistes jouent aussi leur match : un mouvement, un changement de focale, une rafale : la photo est dans la boîte. Mais comment lui faire parcourir les milliers de kilomètres jusqu’à Paris ? Comment être sûr que le matériel fonctionne, qu’on ne ratera aucune image, que les données ne seront pas corrompues ? Petite immersion dans les dessous de la photo sportive à l’occasion de la plus grande fête médiatique de l’année.
Une armée au service de l’image
Si la photo de presse souffre, la photo sportive se porte bien : l’Agence France Presse envoie à elle seule pas moins de 50 photographes au Brésil ! Si on ajoute à cela les trois autres grandes agences – AP, Reuters et Getty – le nombre total tourne autour de 250 photographes, sans compter les indépendants, les agences spécialisées dans la photo de sport, etc. Le travail des photographes ne se résume pas aux matches, bien sûr, il leur faut des images des entraînements, de leur vie sur place, etc. Les agences attribuent donc au moins un photographe par équipe, en plus de ceux qui s’occupent des remotes – les appareils pilotés à distance qui prennent des photos à l’arrière des cages – ou bien qui documentent les à-côtés de la coupe du monde.
Le plus gros événement sportif du monde
Quand on se penche rapidement sur les chiffres, la compétition donne le tournis : aux centaines de photographes venus du monde entiers il faut ajouter leurs équipes de techniciens et celles des constructeurs photo qui sont là pour assurer le support des appareils (50 personnes chez Nikon, 77 pour Canon). Tout cela pour obtenir une orgie d’image : à eux-seuls, les photographes de Getty shootent un demi-million d’images dont 35.000 seront sélectionnées. Un dispositif énorme, et pour cause : « La coupe du monde de football est la compétition de sport la plus importante du monde, devant les J.O. ! », s’exclame Antonin Thuillier, responsable photo à l’AFP qui gère le desk depuis Paris. Des propos corroborés par la direction de Getty Images interrogée par email.
« Durant les J.O., beaucoup de photos ne seront pas téléchargées, notamment celles des “petits” sports, poursuit Antonin Thuillier, alors que sur le fil AFP, toutes les photos du mondial sont utilisées! Et il précise au passage que « pour nous, le second événement le plus important ne sont même pas les J.O. mais les mondiaux… de cricket ! ».
Les appareils photo en réseau
« Lors de la coupe du monde de 2002 en Corée du Sud/Japon, nous validions en moyenne une centaine de photo par match, soit environ 300 photos par jour de matches de poules, poursuit Antonin Thuillier. Cette année, notre volume a quintuplé, avec environ 1600 photos validées par jour, soit plus de 500 photos par match ! ».
Qu’est-ce qui a a changé en 12 ans pour voir se multiplier ainsi le nombre d’images envoyées ? L’intégration sur les boîtiers professionnels de prises réseau RJ45 – les mêmes que sur votre ordinateur. Auparavant les photographes étaient reliés en USB à leur PC portable et opéraient eux-mêmes une première sélection sur leur écran d’ordinateur portable avant de les envoyer aux éditeurs. « Ils rataient forcément des actions, relate Antonin Thuillier. Désormais, tout ce qu’ils shootent est automatiquement envoyé sur nos serveurs, ce qui permet aux photographes de rester concentrés sur l’action afin de ne rien manquer. Et shooter plus d’images. »
Gigantesque logistique technique
Pour Clément Caplain, technicien de Getty Images actuellement déployé au Brésil, explique que « les journées sont longues ! On doit arriver 4h avant les matches pour mettre en place le câblage, les trépieds et les PDB (Photo Distribution Box) », des mini-PC équipés de routeurs chargés de réceptionner et router les images vers les serveurs. « La tension ne baisse pas pendant le match puisqu’il nous faut surveiller le trafic des données pour éviter l’engorgement des photos. Et bien sûr, ranger tout le matériel après le match », ajoute Clément. Outre l’intensité du travail sur place, la météo peut jouer des tours : en journée le soleil peut être écrasant, parfois la pluie peut faire des ravages. Mais au final le plus dur ce sont les transports : « si l’organisation sur les stades est top, le Brésil est un grand pays et le trafic routier entre les aéroports, stades et hôtels peut être un vrai calvaire », regrette Clément Caplain au téléphone tandis qu’il est en train d’attendre un transport qui tarde à venir.
Le bal numérique des photos
Le cheminement numérique des photos dépend de l’organisation interne des agences : dans le cas de l’AFP, les images sont stockées sur deux serveurs au Brésil et des miniatures sont automatiquement envoyées au desk de Paris. En France, les 12 éditeurs dédiés à l’événement repèrent les meilleurs clichés, les recadrent éventuellement, puis les légendent avant de les mettre à la disposition de leurs clients sur leur réseau. En quelques minutes, les photos d’un but de Benzema sont prêtes à être diffusées partout dans le monde. Contrairement à l’AFP qui conserve ses éditeurs à Paris, Getty Images a joué un scénario local et a préféré installer ses 15 à 20 éditeurs dans l’International Broadcast Center de Rio de Janeiro. Dans les deux configurations, la clé du succès c’est de travailler le plus vite possible.
Canon VS Nikon, la compétition dans la compétition
Pour Roch Lorente du Canon Professional Service, « La coupe du monde de football, c’est un peu notre grand prix de Formule 1 des constructeurs : il y a les meilleurs photographes, des conditions extrêmes et les boîtiers sont réellement poussés à fond ». Même son de cloche chez Nikon « Le mondial revêt une importance capitale pour nous, c’est le moment où nous testons les boîtiers comme le D4S dont certains prototypes ont été déployés à Sotchi. », nous explique par Skype Guillaume Cuvillier, responsable d’équipe de support au Brésil pour Nikon. Chahutés sur les marchés des appareils photo grand public, Canon et Nikon règnent toujours en maîtres absolu dans le domaine de la photo de sport. « Nous n’avons aucune chapelle même si nous travaillons beaucoup avec Nikon, explique Antonin Thuillier, et nous testerions bien du Sony ou une autre marque. Mais Sony ne prête pas d’appareil sur place et n’apporte aucun support sur place. » Et ce support, c’est toute la différence.
Un support matériel incontournable
Car sur place, les équipes de Canon et Nikon ne chôment pas. Leur travail ? Réparer, prêter, aider et former les photographes. Tout cela gratuitement. « Nous arrivons 4h avant le match pour la première phase qui s’appelle check & clean, raconte Roch Lorente de Canon. Durant cette phase, nous nettoyons les capteurs et les petits bobos des appareils des pros ». Au rang des petits soucis : des baïonnettes abîmées lors des mêlées entre photographes, des vis qui disparaissent, etc. Les petits dégâts sont réparés sur place, mais pour les gros bobos, c’est retour direct au Japon. « Nous ne sommes pas équipés pour les grosses réparations comme le réalignement des optiques. Si cela arrive à un photographe, on va lui prêter des optiques le temps de la compétition ». C’est ce support qui décide les agences de s’équiper avec telle ou telle marque – l’AFP a signé plusieurs gros contrats avec Nikon ces dernières années.
Des appareils de luxe en prêt gratuit
Le prêt de matériel, c’est la seconde raison d’être des constructeurs sur place. En cas de panne ou tout simplement pour essayer un nouveau boîtier « les photographes peuvent puiser dans le stock à chaque match », ajoute-t-il, les seules conditions étant qu’ils soient accrédités et qu’ils rapportent les appareils dans l’heure qui suit la fin du match. « Nous prêtons du matériel à tout le monde, mais la priorité est au SAV et à ceux qui n’ont plus d’appareils fonctionnel », détaille Guillaume Cuvillier. Si Nikon ne veut pas divulguer – pour des raisons de sécurité – l’état de son dispositif, Canon a accepté de dévoiler l’étendu de son parc de prêt. Et c’est plutôt impressionnant : la marque dispose de 400 boîtiers et 650 optiques répartis équitablement dans les 10 équipes de support déployées au Brésil. A 6000 euros pour le Canon EOS 1DX sans parler des 200-400 mm à 13.000 euros pièces, on mesure l’ampleur de l’investissement total.
Un investissement à la mesure de l’événement : démentiel.
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