‘ Tels qu’ils sont conçus, les projets de dossier médical personnel (DM et Carte vitale 2 pourraient bien devenir une catastrophe industrielle ‘, s’attriste un haut fonctionnaire,
qui préfère garder l’anonymat. Cet aveu en dit long sur la refonte du secteur de la santé en France. La plupart des acteurs s’accordent à dire, au moins à voix basse, que le modèle économique du dossier médical personnel (DMP)
n’est pas viable.Les délais des phases de test et de déploiement sont jugés trop courts, les estimations budgétaires jugées insuffisantes. Et à ce jour, les hôpitaux équipés du dossier médical électronique sont trop peu nombreux. Le contenu du dossier
reste à définir. Ce sera à l’équipe de Dominique Coudreau, président du conseil de surveillance du GIP-DMP (Groupement d’intérêt public de préfiguration), ex-directeur de l’ARH (Agence régionale d’hospitalisation)
d’Ile-de-France de se prononcer.Le directeur général Jacques Beer-Gabel, qui gère la partie opérationnelle, compte beaucoup sur les résultats des expérimentations en cours pour y voir plus clair. Et fixer les modalités de mise en ?”uvre. Le 5 octobre dernier,
le GIP a présélectionné six consortiums* composés d’industriels et de SSII pour réaliser les premiers tests techniques.Suivra une liste définitive d’acteurs intervenant sur les autres phases de test du DMP. De novembre 2005 à mars 2006, les expérimentations portant sur 5 000 dossiers patients réels devront être réalisées sur des sites
pilotes. Seulement voilà, sur le terrain, les choses ne sont pas si simples.
Le coût d’un dossier serait déjà passé de 12 à 400 euros
Tous… hauts fonctionnaires, DSI, directeurs de l’informatique médicale et industriels dénoncent en privé ‘ le caractère illusoire de ce calendrier démentiel ‘. Pour un ancien
directeur d’hôpital, ‘ les Français veulent faire en deux ans avec des queues de cerises ce que les Anglo-Saxons envisagent sur dix ans ‘ et avec près de 9 milliards d’euros.Pour Yannick Motel, directeur général de la fédération Lessis (Les entreprises des systèmes d’information sanitaires et sociaux) : ‘ Il faudra bien cinq ans pour que le nombre des dossiers patients
réels soit significatif. Et entre dix à quinze ans pour que le projet soit mature. ‘
Et les estimations du coût réel explosent. ‘ Pour alimenter et maintenir le DMP, il faudra compter entre
500 millions et 1 milliard d’euros par an, plutôt que les 15 millions d’euros prévus. Car la logistique à mettre en place est très lourde. ‘
Germain Zimmerlé, DSI du CHU de Strasbourg, met en
garde : ‘ La phase de préfiguration devrait permettre au GIP de réaliser que les prix de revient annoncés ne sont pas bons. ‘Son CHU sera site pilote pour l’un des six consortiums. Ces derniers ont seulement trois semaines pour faire une première démonstration sur des dossiers fictifs. Puis, un deuxième appel d’offre, fin octobre, sélectionnera
de nouveaux candidats et sites pilotes qui participeront à la généralisation du projet. Le coût moyen estimé pour un dossier patient serait déjà passé de 12 à 400 euros ! Et le calendrier officiel s’accélère.Il prévoit le lancement du DMP dès juillet 2006, et un total de 6 millions de dossiers actifs à la fin de la même année. La loi du 13 août 2004 indique que les Français de plus de 16 ans disposeront d’un DMP au
plus tard le 1er juillet 2007.Illusoire ? ‘ Rien que pour déployer un logiciel de prescription des médicaments, notre directeur de l’informatique médicale a mis deux ans ‘, observe le professeur Robin Dhote,
responsable de l’unité Médecine interne de l’hôpital Avicenne, à Bobigny. Autant dire qu’il y aura des dépassements.
À qui et à quoi servira finalement le DMP ?
Données médico-administratives ou données purement médicales ? Y mettra-t-on de l’imagerie médicale ou ressemblera-t-il à un carnet de santé électronique ? Personne ne sait vraiment ce que renfermera le DMP.
‘ Un dossier médical personnel et partagé par qui ? ‘, interroge le professeur Robin Dhote, dont les tests de logiciels médicaux ne constituent plus un secret.Selon lui, trois grands volets pourraient constituer le DMP. Le premier, la prescription des médicaments sera plutôt facile à informatiser. Le second, la prescription des examens complémentaires sera plus difficile à standardiser. Car
la diversité des laboratoires, des disciplines, des typologies d’examens et des références est trop forte. Faudra-til, par exemple, stocker la totalité des résultats d’examens ?L’observation médicale constitue le troisième volet. ‘ L’information est très variable d’un service à un autre. Je vois deux écueils : l’impossibilité de valider certaines données
issues de divers intervenants, et celle d’homogénéiser les dossiers de certains services, analyse Robin Dhote. A quoi et à qui servira le DMP ? Aux médecins ou aux caisses ? ‘Pour Yannick Motel, il n’est pas raisonnable de compter sur les multiples expérimentations régionales pour déployer le DMP national. Car les problématiques diffèrent. Emmanuel Briquet, directeur du département de
l’informatique médicale du GH (Groupe hospitalier), du Havre, où une première solution DMP a été testée, déplore la situation actuelle ‘ C’est le flou artistique ! Nul ne peut dire aujourd’hui quel
sera le futur organisme gestionnaire du DMP ? Paris ou la province ? Le gouvernement va-t-il adopter la solution d’un groupement d’intérêt public ou celle d’un partenariat
privé-public ? ‘
Un partenariat PPP pour financer le DMP
Une nouvelle solution semble se profiler. La fédération Lessis et Syntec viennent de remettre aux pouvoirs publics une note sur un modèle économique de type
PPP (Partenariat public-privé), qui permettrait de financer le projet DMP sur une quinzaine d’années sans faire appel à l’Etat.Des industriels privés et publics investiront à l’avance et seront rémunérés sur les services qu’ils fourniront. Encore faudra-t-il s’accorder sur ce type d’investissement… Les a priori
négatifs et la perception que certains politiques et syndicats ont de ce dispositif pourraient freiner les décideurs. Mais tant que le contribuable et l’assuré social ne trinquent pas trop…Reste le problème épineux de la confidentialité des données et de l’intérêt de certaines d’entre elles pour le DMP. Il ne faudrait pas que les dossiers patients réels tombe entre des mains douteuses. Enfin, la nouvelle
maîtrise d’ouvrage, placée sous tutelle du ministère de la Santé, doit aussi remettre de l’ordre dans ce chantier. Les multitudes d’expérimentations locales ont donné naissance à diverses variétés de DMP qui risquent de finir à
la poubelle, faute d’interopérabilité ou de conformité au nouveau cahier des charges.* Cegedim et Thalès ; D3P (RSS, Microsoft, Medcost), FT, IBM, Capgemini, SNR ; inVita, Accenture, la Poste, neuf Cegetel, Intra CallCenter, Jet Multimedia, Sun ; Santeas (Atos, Unimdecine, HP, Strateos,
Cerner) ; Siemens, Bull, EDS.
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