« Pourquoi tous les restaurants sont fermés mais les livreurs doivent bosser ? », s’interroge Jerôme Pimot, fondateur du Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap75).
Selon le militant, il y a « deux colères : celle de ceux qui sont chez eux, et celle de ceux qui sont dehors ». La première trouve sa source, d’après lui, dans les conditions d’indemnisation de ces « sous auto-entrepreneurs », comme il les appelle.
Le gouvernement a annoncé indemniser ce type de travailleurs à hauteur de 1 500 euros mensuels si la baisse du chiffre d’affaires est au moins de 70 % par rapport à mars 2019. De plus, il faut prouver que l’activité en question, donc en l’occurence les livraisons à vélo, est l’activité principale du demandeur.
Indemnisation sous conditions*
Pour Ludovic Rioux, livreur pour Deliveroo et Uber Eats, l’indemnité va être difficile à toucher.
« L’année dernière à la même époque, la livraison n’était pas mon activité principale, et puis ils ont fait ces annonces le 16 mars à 20 heures… J’avais déjà fait 50 % de mon chiffre mensuel ! »
Confiné pour l’instant chez lui, le jeune livreur, syndiqué à la CGT à Lyon, va devoir se remettre en selle « pour payer les factures » malgré les délais accordés exceptionnellement par l’URSSAF. Le coursier regrette que « comme les autres » il ne puisse pas exercer un « droit de retrait ». Pourtant il se dit révolté par les conditions de livraison recommandées par le gouvernement pour « ceux qui sont dehors ».
Une « zone de récupération »
Les autorités ont mis en ligne un « guide » pour livrer « sans contact » à destination des livreurs, des restaurateurs et des plates-formes. Comment procède-t-on ?
D’abord, il faut aménager une « zone de récupération » des repas dans le restaurant, distincte de la cuisine, pour que le cuisinier et le livreur ne se touche pas. Le premier y dispose le « sac ouvert » contenant le repas pour que le deuxième le récupère.
Arrivé chez le client, « le livreur prévient le client de son arrivée (en frappant ou en sonnant) », puis il « part immédiatement ou s’écarte d’une distance de minimum deux mètres de la porte ». « L’objectif est de ne pas se croiser ».
Objectif réussi, la livraison a été effectuée « sans contact »… humain. Mais qu’en est-il des contacts du livreur avec le dehors alors que tous nos déplacements sont réduits au strict minimum ?
« Nous n’avons pas accès à des points d’eau »
C’est précisément, ce que leur reproche Ludovic Rioux.
« On préconise seulement de nous éloigner ! Mais on a même pas accès à un point d’eau pour se laver les mains que ce soit au restaurant ou chez les clients. Pour autant, on ne nous fournit pas non plus de gel hydroalcoolique… alors certains mettent des gants, mais c’est pire ! Ce sont des nids à microbes ! »
Et il y a l’accès au client. Dans le guide publié par le gouvernement, calqué sur les consignes données par les plates-formes aux livreurs et aux clients, le paquet arrive du restaurant au paillasson comme par magie. Sans porte à ouvrir, sans digicode, sans boutons d’ascenseur, sans rampes d’escaliers…
Interrogé, Deliveroo répond qu’ils ont été proactifs sur « les conseils » mais surtout sur la création d’un « fonds exceptionnel » afin de couvrir les livreurs atteints du Covid-19, sous condition d’un arrêt de travail.
La plate-forme met en place un complément à l’indemnité de la Sécurité sociale – sans plus de précisions. « Le livreur nous contact et on voit directement avec lui », explique le service communication. Concernant le gel hydroalcoolique, la plate-forme répond qu’ils y travaillent. « Ce n’est qu’une question d’heures », promet Deliveroo.
À la question pourquoi tout simplement ne pas arrêter ? Deliveroo réplique qu’il y a une pression forte des restaurateurs qui veulent écouler leurs stocks après leur fermeture surprise samedi 14 mars à minuit, doublée d’une demande de « certains clients qui ne veulent pas sortir de chez eux ». La plate-forme a tenu a rappeler son « étroite collaboration avec le gouvernement ».
Le gouvernement a plaidé pour le maintient des livraisons de repas à domicile pour permettre aux personnes âgées, vulnérables et isolées de ne prendre aucun risque à sortir. Or, selon les livreurs, ce ne sont pas eux qui commandent en ces temps de confinement.
Un maintien « incohérent »
C’est l’expérience que raconte Arthur Hay, ancien livreur pour ces plates-formes désormais membre de la coopérative des coursiers de Bordeaux.
« Depuis samedi, on avait réduit les commandes aux clients qui bossent dans le secteur médical ou pour des courses de première nécessité, raconte-t-il. Mais on s’est vite rendus compte que les paniers c’était plutôt des produits de confort et que les risques pour les livreurs étaient trop grands. Depuis mardi midi, on a tout arrêté », explique le livreur qui a proposé ses services au Centre communal d’action sociale de Bordeaux et au Secours populaire.
Dépassé, Arthur Hay juge ce maintien « incohérent ».
« Tous les Français doivent justifier leurs sorties pour des achats de première nécessité et on continue de permettre de se faire livrer des burgers, des pizzas ou des tacos. » Et d’abonder : « Ce sont les seules personnes à être autorisées à être dehors et elles ne peuvent même pas respecter les règles d’hygiène ! C’est révoltant ! ».
Un avis que partagent, à l’unisson, les trois livreurs interrogés.
« Les livreurs doivent rester chez eux car ce sont des vecteurs du Covid-19 », s’insurge Jérôme Pimot du Clap75.
Mais pour les livreurs qui n’ont pas d’autre choix que d’être dehors, le collectif leur recommande désormais de faire descendre les clients pour prendre le moins de risque possible. Très actif sur les réseaux faute de pouvoir se réunir en piquet, le livreur rappelle que les risques sont aussi pour le client qui reçoit un sachet déposé par les mains du livreur.
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