C’est un drôle de spectacle qui se déroule actuellement dans la salle capitulaire de l’abbaye de Port-Royal, située dans le 14e arrondissement de Paris. Dans ce lieu où circulaient naguère les idées du jansénisme, ce sont désormais soixante imprimantes 3D de la gamme Stratasys F123 qui ont voix au chapitre. Leurs ronrons incessants remplissent ce magnifique espace du 17e siècle et feraient presque oublier que ces machines professionnelles — qui ont été financées par le groupe de luxe Kering et l’Université de Paris à hauteur de 2 millions d’euros — participent à une guerre sanglante, celle contre le coronavirus.
L’AP-HP a installé cette batterie de production dans ce bâtiment de l’hôpital Cochin dans le cadre du projet « 3D Covid ». Celui-ci a pour but d’assurer l’approvisionnement d’un certain nombre de pièces qui commencent à manquer dans les services de réanimation et de soins intensifs : raccords de tuyaux, pousse-seringues, connecteurs de filtres, aspirateur de mucosités, lunettes de protection, masques de ventilation, etc. « Beaucoup d’industriels n’ont plus accès à leur capacité de production, car les chaînes d’approvisionnement sont perturbées. J’ai donc proposé à Martin Hirsch que l’on se dote de notre propre capacité de production. Il a tout de suite été d’accord », explique Dr Roman-Hossein Khonsari, responsable de l’impression 3D de crise au sein de l’AP-HP.
Spécialisé dans la chirurgie maxillo-faciale pédiatrique, ce médecin utilise déjà depuis plusieurs années des imprimantes 3D pour réaliser des dispositifs médicaux sur mesure dans le cadre de son travail. En voyant de plus en plus de makers se lancer dans la création de matériel médical de fortune, il s’est dit que cette création était une bonne idée sur le fond, mais qu’il fallait l’encadrer de manière rigoureuse. « On ne peut pas faire du matériel médical dans un garage, ce n’est pas sérieux. L’AP-HP, en tous les cas, n’utilisera jamais de tels produits », souligne le médecin.
Dans le cadre de la plateforme 3D Covid, les équipes de soignants peuvent émettre des demandes de pièces. Si la demande est validée par le conseil scientifique, les ingénieurs de Bone 3D, un prestataire spécialisé en charge du fonctionnement opérationnel de cette plate-forme, réalise un design de la pièce adaptée à l’impression 3D. Des prototypes sont ensuite envoyés pour tests à une équipe de soignants référente, ainsi qu’à l’Agence générale des équipements et produits de santé (Ageps), la centrale d’achat de l’AP-HP.
Si ces deux circuits de validation aboutissent à une réponse positive, la pièce sera ajoutée au catalogue et pourra être fabriquée. Les délais pour y arriver sont extrêmement courts. « Il nous faut 48 heures pour réaliser le prototypage. Les tests et la validation nécessitent 24 heures. On peut donc commencer la production d’une pièce au bout de 72 heures », explique Jérémy Adam, PDG fondateur de Bone 3D. A ce jour, une vingtaine de designs ont été référencés et mis en ligne en accès libre.
Des pièces simples à fabriquer
Il s’agit là bien sûr d’une procédure dégradée, uniquement valable en cas d’urgence. C’est aussi pourquoi ce projet se limite à des pièces relativement simples. « Il n’y a pas de respirateur sur 3D Covid. Ces projets sont trop sensibles et trop difficiles à maîtriser », souligne Jérémy Adam. « Un mauvais respirateur peut être bien pire que pas de respirateur du tout. Certains projets semblent intéressants, mais compte tenu de leur complexité, il est probable qu’ils arriveront après la bataille », renchérit le Dr Khonsari.
Parmi les premières pièces qui sont sorties de cette « usine » d’impression 3D figurent 500 valves de réanimation et 1100 supports de lunettes de protection. Ces pièces ont été réalisées durant le premier week-end de fonctionnement, entre samedi matin et dimanche soir. « Les 500 valves suffiront jusqu’à la fin de la crise. Ce ne sont pas des pièces que l’on consomme dans des quantités énormes comme les masques de protection chirurgicaux par exemple », souligne le médecin. De toute façon, la plateforme 3D Covid ne permettrait pas d’atteindre de tels volumes de production. Elle permet de créer jusqu’à quelques milliers d’exemplaires par jour, en fonction du type de la pièce. Pour les besoins envisagés, c’est amplement suffisant.
S’appuyer aussi sur les makers
En dépit de ce cadre de production assez rigide, les membres de 3D Covid ne souhaitent pas pour autant se couper de la bouillonnante communauté des makers. Tous les jours, ils reçoivent des dizaines voire des centaines de demandes de pièces de la part d’établissements tiers : hôpitaux, cliniques, EPHAD, etc. Ne pouvant pas assumer ces commandes, ils aimeraient créer une place de marché pour mettre en relation les soignants et les makers. Une ébauche du site existe déjà, sous l’adresse Emergency.io.
Enfin, lorsque la crise du Covid-19 sera terminée, il n’est pas question de mettre tout cet équipement au placard. L’idée est de répartir ces imprimantes entre les quatre groupes hospitaliers de l’AP-HP. Chacun d’entre eux disposerait alors d’un centre d’impression d’une quinzaine de machines, permettant aux équipes soignantes de créer des dispositifs médicaux au quotidien. « Chaque groupe aurait finalement son propre Fablab », ajoute Dr Roman-Hossein Khonsari. Le jour où l’impression 3D sera généralisée dans les hôpitaux, ce sera peut-être un peu grâce au coronavirus.
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