En annonçant vendredi 23 novembre une ” réorientation stratégique “, l’agence photo Corbis-Sygma France signe l’arrêt de mort de la production photographique des six agences françaises rachetées par Corbis entre 1999 et 2000. Sygma, Tempsport, Saba, Outline, Kipa et Stockmar voient ainsi leurs photographes remerciés, priés de financer leurs reportages seuls.Corbis, la société créée par Bill Gates, fondateur de Microsoft, affiche publiquement une ambition autrefois implicite : être proprétaire de la première banque mondiale d’images et d’archives, et ce, indépendamment de toute production ?” une activité jugée trop onéreuse.
Une chute des ventes de 40 %
Les arguments de la direction pour se débarrasser de ses photographes paraissent solides. A 115 millions de francs (17,7 millions d’euros), le chiffre d’affaires 2001 s’affichera en baisse, tout comme celui de 2000, année où les recettes avaient fléchi de 19 % sur 1999. Pis encore, le déficit d’exploitation atteindra 65 millions de francs en 2001 (9,9 millions d’euros), soit la même somme qu’en 2000.Un communiqué du personnel de Corbis-Sygma précise cependant “qu’en 1999, année de l’acquisition de Sygma par Corbis, Sygma réalisait un chiffre d’affaires de 124 millions de francs pour 4 millions de déficit (le plus élevé de son histoire) ; Kipa réalisait un chiffre d’affaires de 19,5 millions de francs sans déficit ; Tempsport un chiffre d’affaires de 10 millions de francs sans déficit. “La faute à qui ? Les photographes accusent la direction de ne pas savoir gérer l’actualité. “Depuis le rachat de Sygma par Corbis, les ventes ont chuté de 40 %. Cela fait deux ans que tous les photographes de l’agence demandent à la direction une gestion plus intelligente de la production et de la distribution des reportages “, raconte un photographe.La direction de l’agence a d’ailleurs à maintes reprises reconnu son déficit de gestion : ” Malgré ses mea culpa qui semblaient sincères, force est de constater que les déficits n’ont fait que croître “, ajoute le communiqué des salariés.
40 emplois supprimés
Ces derniers critiquent amèrement la décision de la direction, et rappellent qu’à l’époque du rachat, Steve Davis avait déclaré que “l’indépendance éditoriale ne serait pas remise en cause “. Sans journalistes, la question ne se posera plus.L’ex-agence de presse a en effet opté pour un nouveau mode d’organisation, dans lequel elle fournira une assistance aux photographes ” pour la mise en place de leur nouveau statut de producteurs indépendants “.Cette restructuration entraînera une quarantaine de suppressions de postes dans l’Hexagone. Or, Corbis France compte à peu près 40 photographes permanents. ” Si tous les photographes sont invités à partir, cela veut dire que les rédactions des journaux pourraient également être concernées, tout comme les laboratoires de développement des photos “, estime un photographe. A terme, le plan social pourrait donc toucher un pourcentage plus important des 209 salariés français.
Objectif : numérisation et diffusion
En juin dernier, Franck Perrier, directeur général de Corbis, estimait que l’arrivée sur le marché de la photographie d’actualité de Reuters et de l’AFP avait diminué les parts de marché d’acteurs comme Corbis-Sygma.Avec sa nouvelle stratégie, l’agence se repositionne sur un marché où elle a toutes ses chances : la vente et la diffusion de photos produites hors de ses murs. Il faut dire qu’elle est l’heureuse propriétaire d’une banque de 68 millions de clichés (dont 35 millions en France).Le passage de l’argentique au numérique doit d’autre part lui permettre de diminuer ses coûts de distribution. Selon Corbis, en France, 30 % des ventes passent actuellement par Internet, et 85 % à 90 % au Royaume-Uni. Cependant, à la mi-juin, Corbis n’avait mis que 2,2 millions d’images sous format électronique.Un problème légal se pose d’ailleurs concernant l’utilisation des fonds numérisés. Corbis aurait en effet déjà migré toutes les archives numériques de Sygma France sur ses serveurs américains, sans demander l’autorisation des photographes français.Numérisation et diffusion des images en ligne, telle est la nouvelle stratégie de Corbis. Une stratégie qui s’élabore au détriment d’un processus de production qu’elle ne maîtrisait pas. Ce faisant, elle brûle les ailes de tout un pan de la presse photo française, érigeant en maître l’automatisation mécanique, machine autrement plus rentable que les hommes.
🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.