Première publication le 21 octobre 2010
Voici une décision de justice qui risque de résonner jusque dans nos frontières. Dans un arrêt en date du 21 octobre 2010, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) conclut que « L’application de la “redevance pour copie privée” aux supports de reproduction acquis par des entreprises et des professionnels à des fins autres que la copie privée n’est pas conforme au droit de l’Union. » En clair : cette redevance (1) ne peut être perçue que pour des supports susceptibles d’être utilisés par des personnes physiques dans un cadre privé.
Cet arrêt a été rendu dans le cadre d’une question préjudicielle posée par une cour espagnole (Barcelone), d’une affaire opposant la société Padawan, qui commercialise des CD-R, DVD-R, etc., à la Sociedad General de Autores y Editores de España (SGAE). L’entreprise avait refusé de lui payer la redevance, estimant que son application était contraire à une directive européenne (2). Padawan avait été condamnée en première instance à une amende de 16 759 euros.
La Cour de justice de l’UE a tranché la question de savoir si une entreprise doit acquitter le paiement de la redevance, même si les supports vierges utilisés ne le sont que dans un cadre professionnel, et sans lien avec la reproduction de matériels sonores, visuels ou audiovisuels (cas d’un cabinet de radiologie, par exemple, qui grave des images sur CD). Pour elle, la réponse est non, sans équivoque.
La France concernée
La cour estime de fait qu’un « système de redevance pour copie privée n’est compatible avec la contenu de la directive que lorsque les équipements, appareils et supports de reproduction en cause sont susceptibles d’être utilisés à des fins de copie privée et, partant, de causer un préjudice à l’auteur de l’œuvre protégée ». L’application de la redevance ne peut pas se faire sans distinction pour les entreprises et les professionnels.
« En revanche, dès lors que les équipements en cause ont été mis à la disposition de personnes physiques à des fins privées, il n’est nullement nécessaire d’établir que celles-ci ont effectivement réalisé des copies privées et ont, ainsi, effectivement causé un préjudice à l’auteur de l’œuvre protégée. » Comprendre : les personnes physiques se voient appliquer la redevance, sans distinction, même si les supports vierges utilisés ne servent pas à des copies privées.
La décision de la CJUE ne tranche pas le litige espagnol directement. C’est la cour barcelonaise qui va désormais en faire application pour rendre son jugement, qui, logiquement, donnera raison à Padawan. L’arrêt constitue néanmoins une jurisprudence des directives et circulaires européennes, et concerne donc tous les Etats membres. En effet, il lie les « autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire ».
« Il peut y avoir des conséquences en France », confirme Jean-Claude Patin, responsable du site Juritel. Il précise qu’un tribunal français pourra être saisi sur la base de l’arrêt de la CJUE : « S’il retient la disposition qui est interprétée par la CJUE, à partir de ce moment-là, il doit appliquer la jurisprudence de la CJUE. S’il ne le fait pas, la formation d’appel pourra réformer le jugement en faisant application de l’arrêt CJUE. Si cela ne suffit pas, la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat (suivant le litige privé ou public) pourra casser. »
En France, jusqu’à présent, les entreprises et les professionnels devaient s’acquitter de la redevance, sauf dans quelques cas de figure. Cette situation ne devrait pas perdurer.
(1) La redevance pour copie privée peut être perçue par les Etats membres sur des supports de stockage physiques vierges (CD, DVD, mémoire flash, disques durs externes, clés USB…) et versée aux ayants droit en tant que compensation équitable à la réalisation de copies privées de matériels sonores, visuels ou audiovisuels.
(2) Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO, L 167, p. 10).
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