« Quand ma mère m’appelle le dimanche pour me l’annoncer, je comprends que ça va être compliqué », raconte Jérémie lorsqu’il apprend le décès de son grand-père maternel au téléphone. Il était malade d’une leucémie depuis longtemps, sa mort n’a rien à voir avec le Covid-19. Mais, les règles de confinement compliquent la suite.
Dix personnes maximum
Le jeune trentenaire est confiné à Paris, l’enterrement aura lieu le jeudi suivant à Bordeaux. Les cortèges funéraires sont actuellement réduits au strict minimum – dix personnes – incluant le personnel des pompes funèbres. Malgré le confinement général, il envisage de descendre dans le Sud-Ouest. Sa mère est dévastée. Mais, plusieurs personnes de son entourage ont été atteintes du Covid-19, il est peut-être porteur. Faut-il qu’il assiste à l’enterrement quitte à risquer de contaminer ses parents ? Dilemme.
Jérémie tergiverse, regarde les trains, imagine toutes les solutions pour faire l’aller-retour dans la journée. S’il descend, il ne pourra de toute façon pas les embrasser, les prendre dans ses bras ou juste serrer leurs mains. « Ça aurait été encore plus frustrant. » Jérémie décide de rester à Paris.
L’option WhatsApp
Avec sa famille, ils ont l’habitude des appels vidéos à quatre sur WhatsApp. C’est donc assez « naturellement » qu’ils évoquent l’option de la vidéo-transmission. Tandis qu’il était en voyage à l’étranger, sa grand-mère était décédée brutalement quelques années auparavant, il n’avait pas pu rentrer. Cette fois, il veut être présent même à distance. « C’est nécessaire pour aller de l’avant. »
Il s’y prépare pendant les jours suivants : la cérémonie sera étrange. Elle aura lieu à 16 heures. Le jour J, Jérémie est agité. Il a eu ses parents le matin, ils ont convenu qu’ils allumeraient la caméra quand le cercueil sortirait du camion. Quand le téléphone sonne, il est dans son lit. Il s’est isolé dans la chambre alors que sa femme est dans le salon. Jérémie prend une grande respiration et décroche.
« L’attraction de l’image était trop forte »
Tout était à la fois bizarre et serein. Cette ambivalence le suivra pendant toute la durée de la retransmission. L’interface de l’écran parasite l’ambiance du recueillement. « La distance des images faisait que je me sentais moins concerné », confie-t-il ayant conscience d’avoir activé un « mécanisme de défense ».
En temps normal, les yeux ne sont pas tout le temps rivés sur le cercueil. Le vent, le ciel, les feuilles, les arbres apaisent. Mais, là, « l’attraction de l’image est trop forte ». Et puis, il y a les sons. « Avec la visio, j’entendais tous les bruits désagréables. » Le gravier, la mécanique de mise en terre, les coups sourds du cercueil contre le béton. « J’avais l’impression qu’ils ressortaient plus forts », relate Jérémie. « Même les silences étaient plus pesants. »
À l’écran, il voit surtout son frère avec qui pour exorciser un peu la situation il échange beaucoup de « mimiques complices ». En plus petit, en bas de son écran, il suit ses parents effondrés pendant les trente-cinq minutes de cérémonie. Tour à tour, les textes des petits-enfants sont lus par les parents. Pour Jérémie, c’était important de regarder son frère pendant que sa mère lisait le texte « magnifique » que le cadet avait écrit.
Un processus de deuil « inachevé »
« Avoir une image aide à faire son deuil », explique la Dr Tan, psychiatre à l’hôpital Ville-Evrard à Neuilly-sur-Marne (93). « Même si c’est plus froid, moins humain, plus dur, c’est mieux que rien. » La psychiatre explique qu’habituellement voir le corps du défunt permet d’entamer le processus la démarche d’acceptation. La vidéo altère le processus de deuil. La psychiatre craint qu’il puisse être « inachevé ». « Il va sans doute falloir plus de temps. »
À Bordeaux, le cérémonial suit son cours. Le grand-père est enterré. Le caveau familial, scellé. La mère de Jérémie pleure toujours. Il peine à la réconforter. D’un commun accord, tout le monde raccroche. Il n’est pas très ému. « Je n’étais pas vraiment là. »
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