En 1967, l’article « The computer girls », publié dans le magazine féminin Cosmopolitan, vante l’informatique comme « le » nouveau secteur particulièrement favorable aux femmes. Aujourd’hui, elles représentent seulement 15% des emplois techniques dans le secteur. Mais, où sont passées les femmes ?
À la Gaîté Lyrique, l’exposition « Computer Grrrls » du 14 mars au 14 juillet vous invite à retracer la trajectoire encouragée puis contrariée des femmes dans l’informatique. Vingt-trois artistes internationales décodent -et recodent- un paysage technologique normatif dominé par des monopoles et des hommes occidentaux. De l’importance du sous-titre : « Histoire.s, genre.s, technologie.s ».
La diversité des regards est servie par la panoplie des supports. Que les artistes utilisent la stéréoscopie, technique d’illusion d’optique à l’origine de la 3D, la réalité virtuelle ou l’impression 3D, l’ASMR sur YouTube ou des suites algorithmiques, les œuvres traversent les époques. Aussi importantes qu’oubliées, les femmes étaient les ancêtres des ordinateurs.
« Quand les computers portaient des jupes »
L’exposition invite à revenir à l’époque où les « ordinateurs portaient des jupes », selon les bons mots de Katherine Jonhson, une des figures de l’ombre de la Nasa dans les années 1960. D’abord de manière très pédagogique, une frise chronologique fournie replace les femmes au cœur de l’histoire numérique. De « Miss Computer » à « Sœur Computer », en passant par les « Demoiselles du téléphone » les archives remontent le temps depuis la première programmeuse du monde, Ada Lovelace.
Grâce à l’opéra tech « Robotron » de Nadja Buttendorf, on se glisse dans les habits des petites mains de l’informatique dans une usine de l’ex-RDA. Ce feuilleton détaille le quotidien des ouvrières qualifiées, dont la mère de l’artiste de 1976 à 1990. Dans un mélange pop de cultures, entre austérité du communisme et émoticônes en réalité augmentée, l’artiste questionne la place des femmes dans les nouvelles technologies. En 1968, le combinat VEB Robotron est le plus grand producteur d’ordinateurs de l’Europe de l’Est. Une machine témoin de son temps que Nadja Buttendorf utilise pour faire de l’ASMR (Autonomous Sensory Meridian Response), pratique qui déchaîne les YouToubers. C’est aussi drôle que crispant.
Autre pépite : le mur « Neo-Surreal » de Jenny Odell qui collecte de nombreuses publicités issues du magazine américain d’informatique Byte. Avec le recul, ces images de femme-disquette, par exemple, paraissent effectivement assez surréalistes.
« Tactiques de résistance »
Si l’exposition réhabilite le passé des femmes et des ordinateurs, elle questionne la « neutralité » des nouvelles technologies. Le manque de diversité dans la tech est problématique en raison de son importance grandissante dans notre société. Au travers de tutoriels, ou d’expériences personnelles filmées, les artistes invitent à se réapproprier les outils numériques pour dépasser les biais genrés.
Entre autres, l’œuvre d’Erica Scourti intitulée « Body Scan » dénonce les normes sexistes qui façonnent le Web. Sur un écran de smartphone géant, elle intègre des photos d’elle ou son partenaire partiellement nus dans un moteur de recherche et commente les résultats. A une aisselle poilue, Google propose des épilateurs. A des seins dénudés, Google suggère des prothèses en silicone. A une culotte rouge, Google offre de la lingerie sexy. L’impact est d’autant fort que le ton est humoristique.
Empreintes d’humour également, les vidéos de la russe Dasha Ilina livrent des solutions Do it yourself issues de son « Centre de la douleur technologique » (Center for technological pain) pour résoudre les problèmes de santé liés aux outils numériques. Le « Eyephone », par exemple, qui consiste à faire une fourchette dans les yeux de l’addict pour le faire lâcher son engin. Vous pouvez consulter tous les conseils en ligne.
« Science Frictions »
Après les outils, « Computer Grrrls » interroge sur les logiciels et l’intelligence artificielle, qui sont aussi des amplificateurs des discriminations et injustices sociales de notre époque. Les poupées gonflables géantes de Simone C. Niquille –assez effrayantes- questionnent les corps normalisés sur Internet.
Clou de l’exposition : le laboratoire neuroscosmétique « NeuroSpeculative AfroFeminism » créé par Hyphen-Labs, un groupe de femmes de couleur ingénieures, scientifiques, architectes et artistes. Elles proposent un magasin futuriste, qui vend des accessoires pour se prémunir de la violation de la vie privée ou des violences policières. Le client peut prendre les traits d’une femme noire en enfilant un casque de réalité virtuelle. Et si les femmes noires devenaient la norme dans le monde numérique de demain ?
Courez à la Gaîté Lyrique pour visiter l’exposition du jeudi 14 mars au dimanche 14 juillet 2019. Le temps de visite estimé est de 1 à 2 heures. Il y a également des visites guidées. Vous pouvez réservez en ligne (tarif 8 euros).
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