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Comment TikTok tente d’échapper à une possible vague de procès aux États-Unis

Le réseau social chinois a changé ses conditions générales d’utilisation aux États-Unis. Les utilisateurs qui souhaitent engager une action en justice contre la plateforme n’ont plus à passer par l’arbitrage – et ils n’auront qu’un an, à compter des faits, pour attaquer le réseau social. Si TikTok a opéré ces changements, c’est qu’il s’attend à une vague de litiges provenant des utilisateurs et des pouvoirs publics, selon certains juristes.

Depuis des mois, TikTok, le réseau social chinois, est attaqué dans plusieurs pays sur le terrain de la protection des mineurs. Et pour certains avocats, la plateforme se préparerait à une vague de litiges aux États-Unis. Le fait que la société ait modifié la façon dont un utilisateur pouvait l’attaquer – en rendant les actions judiciaires plus compliquées – l’expliquerait. Ces juristes, interviewés par le New York Times, s’appuieraient sur un changement passé inaperçu l’été dernier. En juillet, TikTok a changé ses conditions générales d’utilisation (CGU) aux États-Unis : jusqu’alors, tout individu, société ou administration qui voulait s’attaquer à la société chinoise devait systématiquement passer par une procédure d’arbitrage, obligatoire et contraignante.

Selon cette version des CGU, il n’était pas possible d’aller régler son litige devant une cour de justice, à quelques exceptions près. L’utilisateur renonçait aussi à toute procédure collective. Désormais, exit cette clause d’arbitrage obligatoire. Depuis cet été, tout conflit doit passer par une cour en Californie. Autre changement : toute action en justice doit être intentée dans un délai d’un an à compter du préjudice présumé, ce qui pourrait limiter le nombre de recours – dans la version antérieure, aucun délai n’était précisé.

Les recours des consommateurs et des pouvoirs publics pourraient se multiplier

Pour le New York Times, jeudi 14 décembre, plusieurs raisons expliquent cette mise à jour. Le recours à l’arbitrage se serait, ces dernières années, multiplié – notamment avec des cabinets d’avocat proposant, aux États-Unis, des procédures d’arbitrage en masse aux utilisateurs ou à leurs parents mécontents – avec à la clef la promesse de récupérer quelques milliers de dollars… Résultat, les coûts pour les réseaux sociaux atteindraient des millions de dollars, détaillent nos confrères.

Parallèlement, l’étau judiciaire se resserre de plus en plus sur TikTok. L’année dernière, près de 40 procureurs américains se sont regroupés pour enquêter sur le réseau social chinois. Ils cherchent à déterminer si la plateforme porte atteinte à la santé mentale des enfants et des adolescents. De même, une juge fédérale a estimé que ce type de plateforme devait faire face à certaines responsabilités. Jusqu’à présent, les réseaux sociaux bénéficient d’un régime juridique favorable, ils ne sont pas responsables des contenus postés par les utilisateurs. Mais cela pourrait bientôt changer.

Et pour un avocat, Kyle Roche, interrogé par nos confrères, ce changement a lieu maintenant parce que TikTok anticipe justement une vague de litiges des consommateurs et des pouvoirs publics découlant de ces deux procédures. Pendant longtemps, le recours à ce type de clause était privilégié par les grandes plateformes et les multinationales, parce que la procédure était à huis clos – donc sans impact et prise à partie de l’opinion publique. Elle permettait aussi d’éviter les actions collectives, selon la version antérieure des conditions générales de TikTok. Mais désormais, avec des avocats qui proposent ce type de procédure de manière massive et le risque qui pèse sur le réseau social chinois, TikTok se serait rendu compte que les frais en justice allaient croître, explique le New York Times. Il faut en effet payer l’arbitre, en plus de compensations souvent accordées aux particuliers qui portent plainte. « (Ces sociétés) se retrouvent à payer bien plus que ce qu’elles pensaient », confirme Robert Freund, un avocat spécialisé dans le commerce en ligne, interviewé par nos confrères.

En Europe, pas de clause d’arbitrage, mais des actions en justice

Pour autant, il n’est pas certain que le recours à l’arbitrage disparaisse totalement : le changement des conditions générales pourrait être contesté en justice, en particulier lorsque « les entreprises affichent de nouvelles conditions ou envoient simplement un courrier électronique aux clients pour leur dire “Au fait, il y a de nouvelles conditions” », rapporte Omri Ben-Shahar, professeur de droit à l’université de Chicago aux États-Unis, à nos confrères. Un avocat, Kyle Roche, a d’ailleurs intenté une action en justice contre cette mise à jour. Il estime que si les utilisateurs sont mineurs, ils ne peuvent pas accepter ce type de changement.

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TikTok n’a pas répondu aux demandes de commentaires de nos confrères. Mais dans le passé, la plateforme avait déjà mis en avant ses outils de protection des mineurs, comme les contrôles parentaux et les suggestions de temps d’écran limité. En Europe, les choses sont différentes : la clause d’arbitrage n’existe pas, et les utilisateurs peuvent saisir les tribunaux de leur lieu de résidence, selon les conditions générales applicables au sein de l’Union européenne. Cela a été fait, en France, en septembre dernier. Les parents d’une adolescente de 15 ans ont porté plainte contre le réseau social devant le parquet de Toulon, deux ans après le suicide de la jeune fille. Ces derniers pointaient du doigt l’algorithme de la plateforme chinoise, qui aurait accéléré le passage à l’acte de l’adolescente. En 2022, TikTok avait été jugé au Royaume-Uni pour des faits similaires après la mort d’une jeune fille de 14 ans. Les juges avaient tranché en faveur des parents de l’adolescente.

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Source : The New York Times


Stéphanie Bascou