Depuis que le président Macron, à peine élu, s’est emparé du sujet du très haut débit, pas un jour ne passe sans une nouvelle annonce fracassante pour connecter tout notre territoire à la traîne. La plus impressionnante est à coup sûr celle de SFR*. L’opérateur a affirmé le 12 juillet dernier pouvoir couvrir tout le territoire en THD à l’horizon 2025, tout seul, avec ses infrastructures propres, et sans faire appel aux aides publiques.
Des réactions sceptiques
Une déclaration accueillie avec froideur en France. Le sénateur Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, a ainsi affirmé hier lors d’une table ronde qu’il restait dubitatif devant les engagements de SFR. D’autres se sont montrés plus virulents. « Comment croire un acteur qui se découvre subitement une vocation de service public en affirmant pouvoir fibrer toute la France (36 millions de prises), d’ici 2025, sans financement de l’État, alors qu’il n’a pas respecté ses annonces de 2011 concernant la construction de 1,6 million de prises dans des communes qu’il considère comme rentables ? » s’est aussitôt insurgé dans un communiqué de presse Etienne Dugas, le président de la FIRIP qui regroupe les industriels des réseaux d’initiatives publics.
Pour la petite histoire, SFR avait signé en 2011 un accord de répartition pour le FttH (fibre jusqu’à l’abonné) dans les zones moyennement denses avec Orange. Mais il n’a pas tenu ses engagements dans les localités où était déjà installé le câble de Numericable (racheté par SFR entre-temps). Et c’est Orange qui a été appelé à la rescousse pour le remplacer.
« Tout cela, c’est du passé », se défend Michel Paulin le directeur général de SFR, lors d’une conférence de presse qui s’est tenue ce 19 juillet. « Nous sommes aujourd’hui en mesure de déployer nos infrastructures propres dans tout le pays comme nous l’avons fait dans le mobile où nous avons rattrapé notre retard en 4G, au point d’être aujourd’hui le premier opérateur en nombre d’antennes ». Le directeur général d‘Altice Michel Combes, lui, fait mine de s’offusquer. « C’est quand même incroyable ! Quand je vais au Portugal ou aux Etats-Unis pour annoncer qu’Altice va couvrir l’intégralité du territoire, je suis applaudi. C’est tout le contraire en France ».
33 millions de lignes visées
Commençons par décrypter les effets de manche du discours de SFR. Premièrement, il ne s’agit pas de fibrer « tout le territoire » mais l’ensemble des foyers français, des bâtiments de service public et des locaux d’entreprises d’ici 2025. Soit environ 33 millions de lignes, selon SFR. Avec un point d’étape en 2022 avec 80% de la couverture atteinte.
Deuxième point, SFR parle d’apporter le Très Haut Débit mais évite de nommer précisément la technologie du FttH. Ce qui laisse entendre qu’il comptabilisera aussi ses lignes en FttB (fibre jusqu’au pied d’immeuble) dans le total de sa couverture. « Cet éternel débat en France sur l’emploi du mot fibre est un faux problème », s’agace Michel Paulin. « Il s’agit dans tous les cas de dérouler des câbles en fibre optique dans les voiries pour augmenter les débits, même si on ne va pas jusqu’à l’abonné. Donc nous considérons que nous fibrons bien la France ».
23,4 millions de prises à raccorder
L’Arcep estime qu’au 31 mars dernier, 12 millions de logements étaient éligibles au Très Haut Débit dans notre pays. Sur ce total, SFR revendique 9,6 millions de prises et 1,7 millions d’abonnés effectifs, ce qui lui permet de décrocher le titre de premier opérateur THD. Le calcul est simple, il reste donc 23,4 millions de logements et locaux à raccorder.
Pour cela, une nouvelle structure est créée : Altice Infrastructures. Elle sera dédiée au déploiement de la fibre et opérationnelle dès septembre. Les travaux commenceront dans la foulée pour aboutir à de premières commercialisations à l’automne.
Une organisation industrielle
SFR a atteint un rythme de croisière de 1,7 million de nouvelles prises éligibles par an. Il estime désormais qu’il va devoir passer à 2 ou 3 millions pour tenir ses objectifs. Et pour cela, il compte tout simplement importer le modèle qui lui a déjà permis de couvrir l’intégralité du territoire au Portugal qui ne compte, il est vrai, que 5,3 millions de lignes. Un véritable processus industriel, hyper rodé si l’on en croit les présentations à Paris de Luis Alveirinho, le directeur du réseau et des opérations de Portugal Telecom qui appartient à Altice.
Seulement, ce programme va forcément induire des investissements financiers supplémentaires. « Secret des affaires », répond Michel Combes lorsque la question du montant lui est posée. Il va aussi falloir recourir à davantage de main d’œuvre. 1000 salariés de SFR travaillent déjà actuellement au déploiement de la Fibre en France. Plusieurs milliers d’agents de partenaires techniques devraient s’y greffer dont ceux de la nouvelle filiale du groupe Altice Technical Services. Et l’opérateur compte mettre sur pied des formations à l’échelon local pour maintenir son réseau.
Un cadre légal trop contraignant selon SFR
Le chiffre de 33 millions de prises pour 2025 donne toutefois le tournis, étant donné que les déploiements les plus faciles dans les zones très denses ont déjà été réalisés ou sont en train de l’être. Restent les cas plus épineux des zones moyennement denses et des zones moins denses. Dans les ZMD où les infrastructures sont mutualisées, SFR est actuellement contraint par son accord passé avec Orange avec qui il s’est partagé le déploiement. Des dispositions qu’il cherche à tout prix à remettre en cause puisque seulement 10% du territoire lui reviennent. S’il n’y parvient pas, il sera obligé de s’arrêter d’installer la fibre dans ce périmètre dès 2019 lorsqu’il aura atteint son quota.
Dans les zones moins denses, l’opérateur envisage carrément de renégocier ses implications dans les RIP (Réseaux d’Initiatives Publiques) au cas par cas. Voire d’installer ses propres infrastructures en plus de celles des autres, promettant que cela ne coûtera pas un centime aux collectivités locales. Car le principal objectif de SFR, c’est bien de recouvrir toute la France avec son réseau fixe en propre. « La situation qui se dessine dans tous les pays, ce sont deux opérateurs qui déploient leur réseau et les autres qui les utilisent », souligne Michel Combes. « Avec le Plan France Très Haut Débit, l’Etat a retiré la détention des réseaux aux opérateurs. Il est temps désormais de redonner la main à l’initiative privée », conclut-il.
(*) 01net.com est édité par une filiale de NextRadioTV, elle-même propriété à 49% de SFR Media.
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