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Comment lutter contre l’illectronisme des seniors ?

L’exclusion numérique frappe l’ensemble de la population, mais l’âge est particulièrement discriminant. Et il n’est pas si facile de toucher les plus âgés avec des ateliers.

« Débuter avec son smartphone », c’est le thème de l’atelier de ce jour de septembre qui se tient dans une boutique Orange en plein centre-ville de Tours. Cinq femmes et hommes à la retraite sont venus y assister, bien en peine d’utiliser leur appareil flambant neuf offert par leur entourage.

Encadrés par des salariés bénévoles de l’opérateur, les stagiaires doivent appliquer ce qui vient de leur être expliqué : reconnaître l’icône de l’appareil photo, l’ouvrir et appuyer au bon endroit pour prendre un cliché. Chacun se lance le cœur battant. Danièle, 75 ans, déclenche sans le vouloir une capture d’écran. « Mais qu’est-ce que c’est ça ? Qu’est-ce que j’ai fait ? », s’affole-t-elle. Un couple reste plus en retrait. Venus là pour apprendre à faire des appels vidéos avec leurs enfants, les époux ne décolèrent pas contre les constructeurs de smartphones. « Nous ne sommes pas plus bêtes que d’autres, mais il n’y a aucun mode d’emploi fourni avec l’appareil. Comment voulez-vous qu’on comprenne ? », fulminent-ils. « Et puis, on ne peut pas demander à nos fils qui vivent à l’autre bout de la France ».

Les ateliers d'Orange pour l'inclusion numérique.
dr – Les ateliers d’Orange pour l’inclusion numérique.

Souvent, les participants ont été repérés par des vendeurs en boutique, mais certains s’inscrivent d’eux-mêmes, bien décidés à s’en sortir sans demander de l’aide à leur entourage. « Au départ, nous pensions cibler l’accompagnement des parents par rapport aux écrans et aux enfants, par exemple. Mais finalement, nous avons constaté qu’il y avait davantage d’attente et de besoins de la part des seniors », nous explique Gaëlle Le Vu, directrice déléguée RSE d’Orange France.

29% des plus de 70 ans n’ont pas d’adresse mail

L’illectronisme frappe l’ensemble de la population. Mais l’âge est particulièrement discriminant. « Les cohortes de 75 ans ou plus et de 60-74 ans ont ainsi respectivement près de 9 fois (8,8) et 5 fois plus de risque d’être en situation d’illectronisme que les 15-29 ans », rappelait un rapport du Sénat en 2020 en se basant sur les chiffres de l’Insee.

Si 71% déclarent s’être connectés à Internet en 2020, seuls 48% des plus de 70 ans s’estiment assez compétents pour utiliser un smartphone en 2020, d’après le baromètre numérique du Crédoc. Des chiffres très en-dessous de la moyenne générale. 29% de cette même classe d’âge n’ont pas d’adresse mail.

Les seniors ont peur de se tromper.
01net.com – Les seniors ont peur de se tromper.

Il y a urgence avec la dématérialisation des services

Or, les usagers vont être de plus en plus contraints de recourir au numérique pour accéder aux services administratifs, à la santé, aux transports ou aux loisirs. Beaucoup d’agences bancaires ferment, il était plus facile de prendre rendez-vous pour se faire vacciner contre le Covid en ligne et la télédéclaration des impôts est devenue obligatoire lorsque le domicile est connecté à Internet. 2022 verra la suppression des tickets en carton de la RATP, la dématérialisation des 250 démarches administratives les plus utilisées par les Français et le lancement de Mon espace santé, une sorte de carnet de santé numérique. Il y a donc urgence, si  l’on ne veut pas voir les personnes âgées non connectées s’isoler encore davantage.

C’est la raison pour laquelle de nombreux organismes s’escriment pour former ces personnes au numérique partout sur le territoire. Citons pêle-mêle les associations Silver Geek, E-Silver, Old-up ou encore Générations mouvement. Le réseau associatif de services à la personne ADMR a aussi mené des actions avec La Poste. La Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) et les conseils départementaux soutiennent également des programmes ciblés.

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Il y a enfin une stratégie nationale, lancée en 2018, de lutte conte l’illectronisme. Plus récemment, le Plan France Relance a promis de déployer 4000 conseillers numériques sur tout le territoire. Ils tiennent des permanences et organisent des ateliers dans les mairies, les maisons France Services, les maisons de retraite et Ehpad, les centres d’action sociale ou des associations de proximité. Pas suffisant cependant pour toucher l’ensemble des seniors.

Un grand manque de confiance

« Le premier frein, c’est la motivation. Il y a en plus un phénomène d’autocensure conjugué à un manque d’assurance. Ce qui fait qu’il y a peu de chances que les personnes concernées viennent spontanément à ce type d’atelier », nous explique Thomas Van Driessche, directeur des opérations de We Tech Care. Cette association conseille les départements et fournit des contenus pédagogiques clé en main comme Les Bons clics pour monter des formations. « Nous misons, par exemple, sur la sensibilisation des agents d’accueil de la Carsat ou des bibliothèques, pour qu’ils puissent ensuite inciter ceux qui en ont besoin à s’inscrire », ajoute Thomas Van Driessche.

Les contenus pédagogiques "Les Bons Clics" mis à disposition gratuitement par We Tech Care.
We Tech Care – Les contenus pédagogiques “Les Bons Clics” mis à disposition gratuitement par We Tech Care.

Un atelier d’une heure ne peut non plus suffire à résoudre le problème. C’est sur le temps long que s’investit, par exemple, Emmaüs Connect. L’association dispose de trois centres de formation à Paris qui enseignent des compétences de base pour utiliser un ordinateur, un smartphone ou une tablette. Parmi les bénéficiaires, il y a un certain nombre de seniors.

« Nous dispensons environ 30 heures de formation et ça commence à prendre au bout de 15 heures environ », nous explique Alexandre Mico. « Il faut commencer par surtout les rassurer. Nous passons la moitié du temps à les convaincre que ça ne va pas exploser s’ils cliquent sur quelque chose ». Plus que les compétences théoriques, c’est le travail sur l’humain et le relationnel qui prime pour les faire progresser. Reste le problème d’accès au matériel. Emmaüs Connect accueille un public en situation de précarité sociale et financière et seuls 10% des stagiaires possèdent déjà un terminal. L’accompagnement peut se poursuivre alors avec l’achat d’un ordinateur à un tarif solidaire et la mise en route de l’appareil.

Malgré tous les dispositifs qui existent en France, Alexandre Mico estime que les plus âgés restent un angle mort de la lutte contre l’illectronisme par manque de moyens et d’ambitions. Alors il a décidé d’aller encore plus loin avec des formations à domicile. « Il y a beaucoup de personnes qui restent coincées chez elles pour toutes sortes de raisons comme un handicap, par exemple. Si on ne vient pas les chercher, elles ne viendront pas à nous », estime-t-il.

Sources : Le baromètre numérique 2021, l’Insee, l’enquête We Tech Care pour l’Assurance Retraite, Bercy, le rapport d’information du Sénat sur l’illectronisme de 2020

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Amélie CHARNAY