Sur Internet, l’arme de la censure est toujours à double tranchant, et la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) vient d’en faire l’amère expérience. Jeudi dernier, 4 avril 2013, les espions de la République ont en effet convoqué Remi Mathis, archiviste paléographe, conservateur des estampes du XVIIème siècle à la BNF et, par ailleurs, président de l’association Wikimédia France. Objet de cet entretien : l’article sur la station hertzienne militaire de Pierre-sur-Haute, dans le Puy-de-Dôme. La DCRI souhaite la suppression de cet article, créé en 2009, pour des raisons de sécurité nationale. Remi Mathis n’est pas l’auteur de cet article, mais il dispose de droits d’administration.
En tête des audiences
Face à la pression des fonctionnaires, le contributeur bénévole s’exécute : l’article est supprimé. Mais la communauté Wikipedia ne tarde pas à réagir. L’article est restauré le 5 avril par l’intermédiaire d’un administrateur d’origine suisse, qui est donc en dehors du rayon d’action de la DCRI. En quelques heures, le texte a également été traduit en 17 autres langues, dont l’anglais, l’allemand et le russe. Depuis, l’histoire fait le tour de la blogosphère et des médias. Résultat : l’article encyclopédique en question remonte en tête des lectures pendant le week-end, accumulant plus de 120 000 vues sur samedi et dimanche. L’audience de l’article dépasse même aisément celle de la fiche sur l’affaire Cahuzac. Ce qui devait rester secret est désormais particulièrement en vue, un phénomène classique des médias. Bref, l’opération de la DCRI est un échec cuisant.
L’histoire n’est pas terminée pour autant. Plusieurs questions se posent, la première étant celle de la pression exercée sur Rémi Mathis et de savoir si elle était justifiée. Selon l’association Wikimedia France, celui-ci aurait agi « sous la menace ». « Ce bénévole a été contraint de supprimer devant les agents l’article incriminé, sous peine d’être placé sur le champ en garde à vue et mis en examen, et ce en dépit de ses explications sur le fonctionnement de Wikipédia. Devant les pressions exercées, il n’a pu faire autrement que de s’exécuter et de prévenir les autres administrateurs qu’ils risquaient le même traitement en cas de restauration de l’article », explique l’association dans un communiqué.
Mais le ministère de l’Intérieur a contesté samedi dans la soirée auprès de l’AFP toute « menace ». « Dans un état de droit, on ne peut pas assimiler à une menace l’engagement d’une procédure judiciaire » engagée sur un « passage qui pose problème à la sécurité nationale », relève-t-on place Beauvau. Selon la version de l’Intérieur, « à la demande du parquet, sous le contrôle de l’autorité judiciaire » cette personne, après un refus initial de retirer l’article, « a été mise en garde contre le risque d’engagement de poursuites judiciaires » dont il pourrait être l’objet « en tant que responsable juridique de Wikipedia France ».
Quelle responsabilité juridique pour qui ?
Or, selon la fondation Wikimedia, qui est basée aux Etats-Unis et qui possède les serveurs hébergeant Wikipédia, Rémi Mathis n’est pas un responsable juridique de l’encyclopédie en ligne. « Cet administrateur n’est pas responsable du contenu hébergé sur Wikipédia, n’a aucunement participé à la création de cet article et n’appartient pas à la Wikimedia Foundation », souligne la fondation. Celle-ci précise d’ailleurs qu’elle a été contactée par la DCRI en mars au sujet de cet article, mais qu’elle a refusé son retrait car les fonctionnaires n’ont pas voulu donner d’explications. « Faute d’informations supplémentaires, nous ne comprenions pas pourquoi la DCRI croyait que l’article contenait des informations secrètes. La quasi-totalité du contenu de l’article est relié à des sources accessibles au public. En fait, l’information présentée dans l’article correspondait presque parfaitement avec celle présentée par une vidéo librement accessible dans laquelle le major Jeansac, commandant de la station militaire concernée, répond aux questions d’un journaliste et lui fait visiter la station », ajoute la fondation. De son côté, le ministère de l’Intérieur indique que le passage litigieux concernait « l’organisation de la composante nucléaire de la défense nationale ».
Cette affaire a également provoqué de vives discussions parmi les rédacteurs francophones de Wikipedia. Certains estiment que M. Mathis n’aurait pas dû plier face à la pression policière. D’autres s’interrogent sur les responsabilités juridiques des différents acteurs : fondation Wikimedia, association Wikipedia France, auteurs, administrateurs, etc. D’autres, par ailleurs, trouvent que les informations militaires sensibles ne devraient tout simplement pas figurer sur Wikipedia.
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Sources :
Les positions de Wikimédia France et de Wikimedia Foundation.
Les discussions des rédacteurs de Wikipédia
Les audiences Wikipedia.fr
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