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Comment la 5G va mettre en danger les prévisions météorologiques

Le nouveau standard va créer des interférences sur la bande de fréquences clef des satellites d’observation météo. Il deviendra difficile de prévoir les intempéries et d’anticiper les changements climatiques.

Les météorologues sont en colère. La conférence mondiale des radiocommunications s’est achevée fin novembre à Charm el-Cheikh sur un échec. Ils étaient arrivés confiants dans leurs chances d’imposer une zone tampon confortable entre les ondes millimétriques de la 5G et les fréquences des satellites d’observation météo pour éviter tout brouillage…
Ils n’ont pas été suivis, obtenant à l’arraché un compromis qui sonne comme une défaite. Ils s’attendent maintenant à ce que les prévisions météorologiques soient perturbées lorsque le nouveau standard de téléphonie mobile sera déployé à grande échelle.

Le problème est parti pour durer longtemps

Les ondes millimétriques de la 5G vont émettre entre 24,25 et 27,5 GHz. Soit extrêmement proche de la bande de référence des satellites d’observation située entre 23,6 et 24 GHz. L’Organisation Météorologique Mondiale (WMO, en anglais), soutenue par la majeure partie des pays européens dont la France, réclamait un écart minimal strict de 42 dBW (décibel-watt)/200 MHz.
Une position partagée par la NASA et le NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration).
Au lieu de cela, c’est une limite de 33 dBW à partir de 2021 qui a été adoptée et de 39 dBW à partir de 2027. Une protection insuffisante. Sans compter que le matériel déployé avant 2021 ne sera pas concerné car le règlement n’est malheureusement pas rétroactif. L’Organisation Météorologique Mondiale a aussitôt fait part publiquement de sa déception.

Les premières conséquences ne se feront pas sentir tout de suite.

« Il y aura des perturbations à cause de l’agrégation des émissions hors-bande de plusieurs stations de base. Ainsi une seule antenne 5G ne créera aucun impact mais ce sera le cas lorsque le déploiement deviendra suffisamment dense, par exemple dans les grandes villes », nous explique Eric Allaix, coordinateur national des fréquences à Météo France et représentant en Egypte de l’Organisation météorologique mondiale (OMM). 

Les signaux de la 5G confondus avec de l’humidité

Le problème de cette proximité des fréquences utilisées, c’est que si la station terrienne de réception du satellite météo capte les signaux non désirés de la 5G, elle va les confondre avec les données l’humidité. Ce qui faussera les prévisions. Car cette bande de fréquence sert de référence aux météorologues pour déterminer l’ensemble de la colonne de vapeur d’eau et la déduire ensuite des autres composantes de l’atmosphère mesurées sur d’autres fréquences.
Il est possible qu’on détecte alors à tort des précipitations ou que l’on passe complètement à côté, et même que l’on ne puisse plus anticiper efficacement les intempéries.

« Si les données satellitaires devaient être erronées, cela occasionnerait une perte dans la prévision immédiate de l’ordre de 6 heures. Ainsi un phénomène prévu aujourd’hui dans une dizaine d’heures ne pourrait être détecté que quatre heures avant », souligne Eric Allaix.

Difficile dans ces conditions d’alerter et de protéger au mieux les populations des aléas météorologiques.

Le résultat pourrait aussi s’avérer pire qu’attendu.

« Nos simulations théoriques sont basées sur les caractéristiques fournies par les industriels et fournisseurs de la 5G. Mais nous constatons que dans certaines conditions, leur matériel pourrait occasionner des niveaux d’interférences plus importants que prévu », prévient Eric Allaix.

Il faudrait installer des filtres

Le plus rageant, c’est qu’il est tout à fait possible techniquement d’éviter ces problèmes. Plutôt que de limiter la puissance d’émission, ce qui aurait obligé à multiplier le nombre d’antennes 5G, les météorologues proposaient d’installer des filtres.
Seulement, cela occasionnait un coût supplémentaire. D’où l’opposition du GSMA qui regroupe des constructeurs et opérateurs de téléphonie mobile, ainsi que de la FCC, le régulateur américain des télécoms.

« La 5G et les prévisions météorologiques peuvent et vont coexister – il est ridicule de suggérer le contraire », avait déclaré cet été dans un communiqué de presse Brett Tarnutzer, l’un des porte-paroles du GSMA.

L’association a balayé d’un revers de main les craintes des météorologues, n’hésitant pas à les accuser de propager des fake news et de jouer sur le catastrophisme pour faire inutilement peur aux gens. Lorsque l’on contacte les différents équipementiers engagés dans la 5G, ils refusent de commenter ou s’abritent derrière les positions du GSMA comme Nokia.

Cette association a réussi à faire basculer le consensus de son côté en Egypte en menant un intense lobbying et en brandissant le spectre d’un retard du déploiement de la 5G avec ses effets néfastes sur l’économie.
Un argument entendu par les pays africains et la péninsule arabique qui ont rejoint la position inflexible des Etats-Unis et de quelques rares pays européens comme la Suède, berceau d’Ericsson.

On pourra toujours se consoler en se disant qu’il n’est pas encore question en France de déployer la 5G sur les ondes millimétriques. Le jour où cela sera le cas, à l’horizon 2022, le matériel radio sera soumis aux normes établies par la conférence mondiale des radiocommunications.
Certes, elles sont insuffisantes mais l’ANFR (Agence nationale des fréquences) se veut rassurante pour ce qui est de l’Europe.

« La limite de rayonnement dans la bande passive où les satellites effectuent leur observation a fait l’objet d’études complexes, notamment de l’ANFR et de l’ESA*, qui ont abouti en juillet 2018 à un compromis que la communauté de la météorologie reconnaît comme satisfaisant pour garantir la pérennité de leurs observations », peut-on lire sur le site de l’ANFR. La bande de garde située entre 24 et 25 GHz ne devrait ainsi pas être attribuée en France.

* Agence spatiale européenne

Des conséquences aussi en France

Nous subirons malgré tout dans notre pays les conséquences de ce qui se passera ailleurs, notamment pour la prévision à deux ou trois jours.

« On ne peut pas isoler la météo européenne du reste du monde. Par exemple, compte tenu des vents dominants d’ouest, la prévision en Europe de l’Ouest est basée sur des données collectées préalablement au-dessus des Etats-Unis. Il sera là encore difficile d’anticiper les phénomènes si les observations sont faussées ailleurs ».

A plus long terme, cela devrait également nuire à la modélisation du climat et à notre capacité à anticiper le réchauffement climatique puisque les références seront faussées. A moins que l’opinion publique ne se saisisse du sujet et pèse sur les régulateurs des pays concernés pour imposer des normes plus sévères que celles décidées à Charm el-Cheikh.

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Amélie Charnay