Cette semaine, Rick Osterloh, le patron du hardware de Google, a condamné nos téléphones à la désuétude sous la forme qu’on leur connaît. Sous la forme que l’iPhone leur a donné voici dix ans de cela.
« Vous le savez mieux que quiconque mais le terrain de jeu pour les composants électroniques s’essouffle », a-t-il lâché, avant d’invoquer la fin de la Loi de Moore et tous ces « smartphones avec des spécifications très proches ». Pour en arriver à cette conclusion irréfutable qu’« il va devenir de plus en plus compliqué de développer des appareils nouveaux et innovants chaque année. Parce que l’époque n’est plus aux grands bonds en avant… du matériel seulement. »
Que va devenir l’industrie alors ? Et pourquoi, si la guerre du matériel est vaine, Google vient-il d’investir 1,1 milliard de dollars pour mettre la main sur une partie des actifs et équipes de HTC ?
« AI first »
Simplement parce que l’évolution matérielle n’est pas achevée. Elle s’intègre, selon Rick Osterloh, dans une nouvelle équation, qui minimise son importance. « La prochaine grande innovation se fera à la jonction de l’intelligence artificielle, du logiciel et du matériel. » L’ordre d’apparition à l’écran n’est pas innocent. La société de Mountain View s’est construite sur un monde de bits et non d’atomes. Dès lors qu’elle quitte le monde virtuel du software, elle a besoin d’autres entreprises pour assurer la partie hardware.
En revanche, elle développe le système d’exploitation mobile le plus populaire au monde et s’affirme comme un des leaders en matière d’intelligence artificielle. Autant dire que le futur est plutôt à chercher de son côté que de celui de la concurrence, si l’on suit son discours. Il est de bonne guerre que Google soutienne cette voie. Elle incarne après tout sa nouvelle stratégie de « l’IA avant tout ».
L’IA plus fort que le hardware
Mais Google va plus loin. Il fait une promesse d’un matériel réduit à la portion congrue. Au point d’ailleurs que le design extérieur n’est même plus minimaliste, il devient fonctionnaliste, à en croire les différentes personnes qui ont eu la possibilité de prendre en main les Pixel 2. Le géant du Web affirme – et c’est a priori vrai – réussir à suppléer les limitations du matériel grâce à l’intelligence artificielle.
Cela semble par exemple être le cas quand Google annonce que ses Pixel 2 produisent des clichés ou vidéos de meilleure qualité que les smartphones à double capteur… avec un seul objectif, grâce à l’IA. Même chose quand il introduit un mode « portrait » applicable également aux objets. Une « prouesse » rendue possible grâce à des années de recherche dans la reconnaissance et le post-traitement d’images, grâce à vos données et à celles trouvées sur le Web, en quelque sorte… Dans ce domaine, effectivement, l’IA permet à Google de compenser sa dépendance vis-à-vis de fabricants de composants. Mieux, elle semble lui permettre de prendre l’avantage.
Portée par cette victoire, la société de Sundar Pichai célèbre cette libération des limites « physiques » du smartphone. Elle promettait ainsi, au cours de sa conférence, des appareils qui évoluent et deviennent plus performants au fil de leur vie, plutôt que de devenir obsolètes et dépassés.
Apple, aux antipodes
Voilà un portrait plutôt séduisant. Le logiciel peut tout, l’IA, sa forme ultime, peut encore plus, et le matériel, identique dans les tous les appareils, est désormais anecdotique. L’affaire est entendue. Pourtant, étonnamment, d’autres entreprises adoptent une position plus pondérée… pour ne pas dire très différente. Un exemple ? Apple, dont la stratégie, aux antipodes, ne semble pas moins pertinente.
Conséquence de son histoire, depuis 2008, la société de Tim Cook a investi massivement dans l’acquisition et le développement de puces dédiées à divers usages, du processeur central au GPU, en passant par une caméra «Kinect» miniature ou un contrôleur SSD. En retard sur l’intelligence artificielle, pour des raisons historiques et éthiques, la société de Cupertino devient en revanche un acteur essentiel des puces, du hardware.
Ainsi, ce que Google fait avec des algorithmes, Apple le réalise en utilisant un capteur supplémentaire et un processeur dédié au traitement de l’image afin d’exécuter des modèles élaborés grâce à l’apprentissage machine. Et si le résultat n’est a priori pas aussi probant avec les iPhone 8 et 8 Plus, attendons de voir ce que vaut l’iPhone X. Dans tous les cas, difficile de condamner le matériel à un rôle mineur.
Dans la course à une IA de plus en plus présente, embarquée et efficace, Apple incarne également une autre voie. La firme de Cupertino met en avant Metal 2 dans iOS 11, pour les graphismes, bien entendu, mais aussi pour sa composante CoreML, qui utilise la puissance des GPU pour assurer les tâches dédiées aux machine learning.
Et s’il ne fallait pas délaisser le matériel ?
La vision de Rick Osterloh ne serait-elle pas tout à la fois juste… et un peu trop radicale ? En contrôlant davantage le hardware, Apple semble en tout cas s’arracher à la vision du ponte de Google. Il y a quelques jours, John Poole, patron et fondateur de Geekbench déclarait « je ne comprends pas vraiment pourquoi les performances semblent stagner du côté d’Android. […] On n’y voit pas de grands bonds en avant, je ne comprends pas ce qui s’y passe ».
Une autre expression du constat de Google ? Peut-être. John Poole s’enthousiasmait néanmoins, dans la même interview, des performances toujours croissantes des puces produites par Apple. L’Apple A11 Bionic affiche ainsi un score d’environ 10170 points sur Geekbench, alors que le Snapdragon 835, qu’on retrouve dans le Pixel 2, n’affichait que 6564 points, embarqué dans un Note 8.
Le mérite premier de l’IA
En définitive, qu’on penche pour la voie dessinée par Google ou la route pensée par Apple, un point commun émerge. L’IA a pour l’heure un intérêt premier : au delà de l’esbroufe technologique, elle remet l’utilité des produits finis au cœur des préoccupations. Il suffit de revoir les conférences de la WWDC et de l’annonces des nouveaux iPhone pour s’en convaincre. Il suffit de réécouter les prises de parole des différents représentants de la firme de Mountain View pour ne plus en douter.
Google et Apple suivent deux voies différentes pour atteindre le même objectif : inventer le smartphone des dix prochaines années. Mais chacun privilégie, en fonction de son histoire et de ses points forts, un des éléments d’une équation utilisant les trois mêmes éléments : matériel, logiciel et IA.
En tirant sur un matériel à la peine, Rick Osterloh cherche sans doute plus à tirer sur Apple qu’à minimiser les progrès dans ce domaine. Ce qui nous remet en tête la première des vérités : toute keynote est aussi un discours commercial biaisé, où il est bon de dénigrer la concurrence !
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