Il y a un peu moins d’un an, quand on tapait le mot « lesbienne » dans la barre de recherche Google, on ne tombait que sur des sites à caractère pornographique.
Vidéos, images, actualités tout ce qui était référencé sur le moteur de recherche avec le mot « lesbienne » était associé à de la pornographie. La seule et unique représentation de l’amour entre deux femmes était strictement sexuelle, et au passage, déformée par le prisme masculin hétérosexuel.
Après une vague de mobilisation médiatique derrière le collectif #SEOLesbienne, Google a finalement tordu son algorithme pour faire apparaître en première page des sites d’informations, de presse ou encore des associations.
Nous avions annoncé le 30/10/2019 cette modification #algorithmique pour le mot #Lesbienne dans l’onglet vidéo Google. À cette date, des contenus informatifs et récréatifs produits par et pour les lesbiennes étaient encore noyés par des vidéos émanant de sites pornos. ⚠️👇 https://t.co/diqrTRMb3Z pic.twitter.com/31K11uPYyl
— #SEOlesbienne #Gouine #Dyke (@SEO_lesbienne) November 13, 2019
Google, chasse gardée des « normes hétérosexuelles »
« Suis-je lesbienne ? », « suis-je un obsédé ? », « suis-je asexué ? », « test homosexualité vs hétéro »… Utiliser Google est devenu un réflexe pour trouver la réponse à ces questions, et en particulier chez les jeunes.
Près de 80 % d’entre eux déclarent avoir déjà cherché de l’information sur Internet à propos des pratiques sexuelles, rapporte l’enquête « SEXI » pour « SEXualité, Internet », menée par deux sociologues de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), publiée en 2018.
Mais, dans le cas où une jeune fille se pose des questions sur sa sexualité et lorsqu’elle tape « lesbienne » sur Google, elle ne trouve que des images explicitement sexuelles, qu’est-ce que cela implique ? Quel est l’impact individuel ? Y-a-t-il une incidence sociétale ?
De manière générale Internet, et Google en particulier ne font que refléter notre rapport au monde, et donc à la sexualité. « Ils sont un miroir des normes sociales, c’est-à-dire de ce qui est “normal” et “acceptable” », nous explique Caroline Janvre, psychologue et sexologue, spécialiste en promotion de la santé. Conséquence : cela renforce le caractère « normatif » de notre sexualité médiatisée sur la Toile.
Google, source de mal-être pour les « déviants »
De l’autre côté du « miroir », les « déviants », ceux qui ne suivent pas cette norme, peuvent se retrouver « enfermés » dans des stéréotypes – ou pire être totalement « invisibles ».
« À l’époque (et parfois encore aujourd’hui), il y avait deux possibilités sur Internet : soit le mot “lesbienne” était banni, soit il était connoté péjorativement », se souvient Fanchon Mauyaudon-Courtel, fondatrice du mouvement cyberhackivist #SEOLesbienne.
« Je ne me reconnaissais en rien dans ces représentations ! » Cette sur-sexualisation et/ou marginalisation du lesbianisme constitue l’exemple parfait de la mise au ban des pratiques sexuelles « hors normes ».
Au fil des pages de résultats sur Google, les images qu’elle juge « déshumanisantes » continuaient de défiler sous ses yeux totalement scandalisés.
Au niveau individuel, les dégâts peuvent être colossaux. « La santé mentale, physique et même sociale » de l’individu sont en péril, nous explique la psychologue-sexologue.
« Le principal danger c’est d’intérioriser l’homophobie. Autrement dit : intégrer la honte, la culpabilité, de ne plus avoir d’estime de soi, de mettre en danger son intégrité physique, en s’exposant à des violences ou en prenant des risques lors de rapports sexuels, par exemple. Ce qui peut aboutir à l’isolement total de l’individu… sans pour autant savoir pourquoi. »
Google, un sexshop biaisé ?
Et comme les médias, les films, les livres, les sites Web montrent en majorité une « sexualité normalisée » – donc hétérosexuelle – il est difficile de « déterminer la source du mal-être », poursuit-elle. « C’est parce qu’on n’a jamais lu, vu, eu connaissance d’autres exemples de ce qu’on ressent, que l’on ne peut pas savoir d’où cela vient. Le pouvoir de la norme est qu’elle est insidieuse. Au final, ce que l’on ne voit pas n’existe pas, tant qu’on le nomme pas ».
Or, nommer, référencer, trier des millions de pages Web, c’est la tâche première de Google. Cette catégorisation selon des mots-clés se fait à partir d’un corpus de documents relevant de la « neutralité bienveillante » – la plupart sont issus de pages Wikipédia. Aujourd’hui, il existe une page « lesbianisme » sur Wikipédia, mais pas de page « lesbienne » tandis qu’il existe une page « gay ».
La raison ? Seulement 12 % des contributeurs sont des femmes, d’après les chiffres de l’encyclopédie numérique libre. Ce manque de diversité reproduit inévitablement les biais déjà présents dans notre société.
Si l’oeil de Google conditionne, il appauvrit également notre imaginaire. Si telle ou telle chose n’est représentée que de manière uniforme, fixe et rigide, comment savoir que dernière le mot « homosexualité » se cache une pluralité de réalités, de personnalités, de couples. Dans le cas contraire, le message envoyé est le suivant : « Tu n’existes pas, tu ne vaux pas d’exister ou seulement sous cette forme-là. »
Google, une « chambre à soi »
Bien référencer toutes les sexualités est donc un enjeu de santé publique, mais aussi de développement personnel. Dans l’étude sociologique SEXI, les deux sociologues montrent que, pour les 18-22 ans, la « chambre », un endroit physique personnel, a perdu de son importance au profit du « développement d’un espace intime dématérialisé, où peuvent être stockés des éléments d’intimité, similaires au journal intime […] rendu possible par la généralisation des smartphones. » Si bien qu’à condition être équipé, Google peut devenir un immense terrain de jeu, sous couvert d’anonymat, une « chambre à soi ».
Quels types d’expérimentations ? Et pourquoi faire ? La même enquête sociologique révèle qu’Internet permet de « prendre des libertés avec les assignations sociales : se faire passer pour quelqu’un de plus âgé ou de l’autre sexe dans des discussions, parler de pratiques dont ils et elles ne parleraient pas en dehors de l’anonymat en ligne ».
Avoir la possibilité d’être quelqu’un d’autre. Par exemple, une fille qui veut regarder du porno peut se faire passer pour un garçon, sur qui l’interdiction morale pèsera moins.
Internet peut également servir à « préparer » des changements identitaires, une des thématiques résolument contemporaines, avant de les partager avec des proches. En témoignent certains « parcours de jeunes homo-, bi- ou transsexuels, mais aussi dans les parcours des jeunes ayant des pratiques non conformes avec leur milieu social ou familial », révèle l’étude SEXI.
Google, une arme pour devenir visible
Google a le pouvoir de rendre visible l’invisible. Parce qu’on voit la discrimination, qu’on la nomme, on peut mieux la combattre. L’information est à portée de tous, la mobilisation aussi. « C‘est une arme avec un potentiel énorme », souligne la psychologue. Les militantes de #SEOLesbienne le savent.
L’année dernière, Google a plié face à leur mobilisation derrière le #HackonsGoogle, qui a enflammé les réseaux sociaux. Face à la pression, le moteur de recherche a dû réparer cette iniquité algorithmique alors que les messages d’alertes adressés directement à la société avaient été ignorés jusque-là.
Malgré tout, la lutte pour l’égalité continue. Sur Facebook, le mot « lesbienne » est encore banni. « Il nous a fallu demander une dérogation pour créer notre page officielle », s’étonne encore la militante Fanchon Mauyaudon-Courtel.
Sur Google, certains changent le « s » pour un « z », contournant l’algorithme désormais corrigé. Sur YouTube, des différences de traitement pour les vidéastes LGBTQ+ sont encore dénoncées. Et la liste des doléances s’allonge. Sur le moteur de recherches, les personnes trans-genres sont encore la cible de représentations dégradantes, tout comme la communauté gay, aucune information (ou presque) n’est encore disponible sur les maladies sexuellement transmissibles (MST) entre lesbiennes… Fanchon Mauyaudon-Courtel sourit : « En fait, il y a tout à créer, c’est hyper stimulant ! ».
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