Depuis 2016 et les ravages causés par la désinformation russe dans le cadre des élections américaines, les démocraties occidentales ont largement pris conscience des risques de manipulation de l’information en ligne. Et pourtant, depuis lors, les solutions apportées se résument souvent à des partenariats avec des structures spécialisées dans le fact-checking, qui ne peuvent pas vérifier toutes les fake news distillées, à l’apposition de messages mettant en garde sur le contenu affiché, à la création de portails pédagogiques ou encore à la pure et simple… suppression de contenus. Il ne faut évidemment pas oublier le bannissement des utilisateurs.
Mais le problème est toujours le même, l’internaute doit faire l’effort de vérifier, de chercher, alors qu’il est si facile de simplement partager un message… ce qui nourrit généralement l’expansion rapide de ce genre d’informations erronées.
Debunker, mais en amont
Toutefois, des chercheurs de Google et des universités de Cambridge et Bristol ont peut-être trouvé une autre solution pour lutter contre la désinformation : ils l’appellent le pre-bunking, en référence au debunking, terme anglais qui signifie démystifier et correspond en l’occurrence à la vérification d’une information et à l’exposition, a posteriori, de son caractère fictif ou faux en le confrontant aux faits réels. Des tentatives de pre-bunking ont déjà eu lieu par le passé, mais jamais avec un effet satisfaisant.
En l’occurrence, le pre-bunking pourrait, de manière schématique, s’apparenter à une sorte de mithridatisation, de vaccination contre les mensonges et théories conspirationnistes qui se répandent sur la Toile : « Avertir de manière préemptive et exposer des personnes à des doses de désinformations faibles peut produire des anticorps mentaux contre les fake news », écrivent les chercheurs, cité par le New York Times.
L’approche consiste à présenter des vidéos qui démontent les tactiques utilisées par les fausses informations. Dans le cadre de leurs études, les chercheurs de Google et les universitaires ont constaté que les utilisateurs à qui avaient été montrées ces vidéos pédagogiques, apparaissaient ensuite plus sceptiques, moins sensibles à ces pratiques. Comme l’explique Beth Goldberg, responsable des recherches et du développement de l’incubateur Jigsaw de Google, et également une des auteurs de l’article scientifique, le pre-bunking répond à un désir humain profond, celui de ne pas être floué. Selon elle, ce type de vidéos fonctionne non seulement pour les désinformations conspirationnistes, mais couvre aussi le spectre politique.
Des vidéos éducatives et ludiques
L’étude a compté pas moins de sept expériences menées auprès de presque 30 000 participants au total. Les chercheurs ont ainsi acheté des espaces publicitaires sur YouTube pour y diffuser des vidéos animées de 90 secondes, qui ont été regardées trente secondes ou plus par un million de personnes.
Ces messages pédagogiques et ludiques expliquent les méthodes de propagande et de manipulations, comme les techniques visant à désigner un bouc émissaire, les incohérences délibérées ou encore les explications contradictoires. Sont également mises en avant des tendances clés, comme celles qui jouent sur les émotions et les réactions instinctives. L’humain est ainsi fait que la colère ou la peur court-circuite souvent sa raison et son esprit critique…
Les chercheurs ont ensuite mené des tests sur des participants 24 h après qu’ils ont regardé une vidéo pre-bunk. Ils ont alors constaté une augmentation de l’ordre de 5 % de leur capacité à reconnaître des techniques de désinformation, et donc à s’en prémunir.
Jigsaw prévoit d’ores et déjà une campagne de vidéos publicitaires de pre-bunking sur YouTube, Facebook, Twitter et TikTok en Pologne, Slovaquie et République Tchèque, dès la fin de ce mois d’août. L’objectif de ces vidéos sera de désamorcer les campagnes qui visent à instiller la peur des réfugiés ukrainiens qui viennent s’installer dans ces pays depuis que la Russie a envahi leur pays. Cette campagne sera par ailleurs associée à d’autres efforts, comme le recours à des fact checkers locaux, des universitaires et des experts dans le domaine de la lutte contre la désinformation.
Pour l’heure, Jigsaw ne prévoit aucune campagne aux États-Unis alors que les élections de mi-mandat approchent. Mais les chercheurs espèrent que d’autres sociétés high tech ou même des associations vont utiliser leurs recherches pour mener le combat contre la désinformation outre-Atlantique.
Pas l’arme absolue…
Si le pre-bunking est efficace, cette méthode n’est toutefois pas parfaite. Les chercheurs reconnaissent en effet dans leur publication que les personnes avec des croyances politiques fermes sont plus difficiles à prévenir des distorsions de la réalité. Ainsi, leurs vidéos n’ont pas eu d’effet sur les suprémacistes blancs, par exemple. Beth Goldberg précisait qu’il est difficile d’utiliser le pre-bunking dans le cadre des élections, car les convictions ou croyances des électeurs sont profondément ancrées, toute remise en question de leurs vues est donc extrêmement compliquée.
Le rôle de l’éducation est assurément essentiel également, l’enseignement des réalités scientifiques et de l’histoire permet de se prémunir de certaines tentations « obscures ».
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Source : New York Times