« Le post a mis Facebook dans une position difficile ». C’est ce qu’a avoué Mark Zuckerberg, vendredi 26 juin, au sujet du message publié par le président américain Donald Trump réclamant une intervention armée dans le Minnesota contre les manifestants Black lives matter, datant du mois dernier. Pourtant, sous couvert de respect pour la liberté d’expression, le post n’a pas été supprimé – alors que Twitter a décidé de le cacher.
We have placed a public interest notice on this Tweet from @realdonaldtrump. https://t.co/6RHX56G2zt
— Twitter Comms (@TwitterComms) May 29, 2020
Un simple « avertissement »
Donald Trump avait justifié son message, le qualifiant « d’avertissement » et non d’incitation à la haine. Facebook s’était aligné sur cette justification, de son côté, pour motiver sa décision de maintenir le post. Selon Facebook, le message ne violait pas sa politique de modération. Certains députés avaient néanmoins contacté directement la Maison-Blanche pour tenter de faire supprimer ce message haineux au milieu d’une crise sociale violente aux États-Unis déclenchée après le meurtre raciste de George Floyd, le 25 mai dernier, par un policier blanc.
Comme le rapporte le Washington Post, cet épisode est une illustration de la plasticité des règles communautaires de Facebook quand il s’agit d’éviter la censure des messages postés par Donald Trump. Le président n’a jamais changé de ton -ni en tant que candidat, ni en tant que président – mais le réseau social s’est adapté pour ne jamais l’incommoder.
Une douzaine d’employés (anciens ou actuels) de la firme ont témoigné dans ce sens. D’après leurs témoignages, Facebook a limité ses efforts contre les informations fausses et trompeuses, adopté une politique permettant explicitement aux politiciens de mentir, et même modifié son algorithme de flux de nouvelles pour neutraliser les allégations selon lesquelles il était biaisé.
Du laxisme depuis 2015
Un document qu’a pu consulter le Washington Post montre que ces pratiques ont commencé dès 2015, lorsque Trump avait publié une vidéo appelant à l’interdiction des musulmans d’entrer aux États-Unis. À cette époque, les dirigeants de Facebook ont refusé de la supprimer, plaidant pour l’exception pour le discours politique.
Ces concessions faites à Trump ont conduit à une transformation du champ de l’information mondiale. Ils ont ouvert la voie à une liste de plus en plus étoffée de politiciens avertis et à la réthorique incendiaire qui diffusent de fausses informations sur les réseaux sociaux. Conséquences pour les citoyens : la compréhension des événements majeurs tels que la pandémie de coronavirus où les manifestations Black lives matter est plus complexe, et le débat plus polarisé.
Un label pour ne pas supprimer
Aujourd’hui, Facebook est confronté à une crise morale qui divise ses équipes. D’autant plus quand 5 000 employés ont dénoncé la décision de l’entreprise de conserver le message de Trump dans lequel on pouvait lire : « Lorsque le pillage commence, les tirs commencent ».
Cédant à la pression, vendredi 26 juin, Mark Zuckerberg a annoncé une évolution des règles communautaires visant à améliorer le contenu des services de police sur le site. Cela comprend l’apposition d’étiquettes sur les publications qui violent les discours haineux ou d’autres politiques, même celles des dirigeants politiques. Pas de suppression, donc, mais un label.
Mais cela pourrait, tout de même, favoriser le candidat Donald Trump pour les prochaines élections présidentielles. Ces derniers mois, il a utilisé Facebook et d’autres plates-formes pour diffuser des informations trompeuses sur les traitements contre la Covid-19, une prétendue fraude électorale ou encore diabolisant les manifestants Black lives matter. Cette utilisation des réseaux sociaux a provoqué une vive réaction dans la Silicon Valley. Twitter a indiqué que plusieurs tweets présidentiels étaient abusifs et trompeurs, et Snapchat a limité la portée du compte du président.
Mais chez Facebook, « la volonté d’être en faveur des gens au pouvoir l’emporte sur presque toutes les autres préoccupations », a déclaré au Seattle Times David Thiel, un ingénieur en sécurité de Facebook qui a démissionné en mars après que ses collègues ont refusé de révoquer un poste qu’il considérait comme un « discours déshumanisant » du président brésilien Jair Bolsonaro.
La Silicon Valley « n’a pas inventé le populisme »
Pour sa défense, la société affirme que les réseaux sociaux peuvent aussi avoir un rôle libératoire et que le populisme n’a pas été inventé dans la Silicon Valley :
« Du printemps arabe aux candidats locaux qui défient les acteurs politiques en place, les médias sociaux ont également contribué à ouvrir la politique, au lieu de favoriser un côté plutôt que l’autre », a indiqué Nick Clegg, vice-président de Facebook pour les affaires mondiales et les communications, dans un communiqué. « Des études ont montré que les moteurs du populisme sont complexes et ne peuvent être réduits à l’utilisation des médias sociaux, en fait la polarisation politique a chuté dans de nombreux pays à forte utilisation d’Internet. »
Un boycott de la publicité sur Facebook
Cependant, Facebook est de plus en plus acculé. La campagne Stop Hate for Profit a poussé les grandes multinationales a ne plus faire de la publicité sur le réseau social. Depuis le lancement de la campagne au début du mois, plus de 160 entreprises, dont Starbucks, Verizon Communications et Unilever, ont signé pour cesser d’acheter des publicités sur la plus grande plateforme de médias sociaux au monde pour le mois de juillet.
Selon Reuters, chaque année, Facebook génère 70 milliards de dollars de revenus publicitaires, dont environ le quart provient de grandes entreprises comme Unilever, et la grande majorité de ses revenus proviennent de petites entreprises. Le boycott semble porter ses fruits : Facebook a reconnu dimanche 28 juin qu’il avait davantage de travail à faire. Pour cela, la société a assuré faire équipe avec des groupes de défense des droits civiques et des experts pour développer plus d’outils de lutte contre les discours haineux.
Sources : Seattle Times, Washington Post et Reuters
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