Si vous devez un jour choisir une marque ou un logo pour votre entreprise ou votre association, et que vous pensez utiliser l’image de la pomme, ou le mot pomme en anglais ou dans une autre langue, attendez-vous à recevoir une mise en demeure d’Apple, la société cofondée par Steve Jobs. Car le géant de Cupertino a adopté, depuis plusieurs années, une approche pour le moins offensive en matière de défense de sa marque. À coup de mises en demeures, de procédures d’opposition et de recours, la firme de Cupertino attaquerait tous azimuts toute entreprise, association et établissement public qui oserait déposer le terme Apple en anglais, ou l’image d’une pomme, voire d’un fruit… qu’importe que le business de l’entité en question n’ait rien à voir avec les smartphones, les ordinateurs ou même la tech.
C’est la conclusion tirée par cette coopérative fruitière – la Fruit Union Suisse – en juin dernier, après l’appel formé par Apple devant l’office local de la propriété intellectuelle. Les producteurs helvètes craignent même de ne plus pouvoir utiliser leur marque, une croix blanche – le drapeau suisse – dans une pomme, pour faire la publicité… de fruits. C’est aussi ce que pense cette ONG, Tech Transparency Project, qui a recueilli entre 2019 et 2021 des centaines de témoignages de petites sociétés et d’associations américaines pourtant sans lien avec la tech, mais attaquées par le géant de la Silicon Valley. Leur « faute » : avoir osé enregistrer un logo avec une pomme ou le mot Apple, qu’il soit en anglais, en français ou dans une autre langue… Apple chercherait-il vraiment à s’approprier l’image de la pomme et le mot pomme, comme le pensent certains ? Pour y répondre, il faut remonter au commencement… quand Apple luttait contre Apple.
Apple contre Apple : la phase de consolidation
Car à l’origine, la marque à la pomme n’a pas toujours été aussi offensive. Au commencement, c’était même tout l’inverse. Imaginez : en 1976, Steve Jobs, Steve Wozniak et Ronald Wayne réfléchissent à un logo. Après un premier essai, leur choix s’arrête finalement sur une simple pomme en 1977, « croquée » pour ne pas qu’elle soit confondue avec une cerise. Ils déposent alors Apple et le dessin de la pomme multicolore auprès de l’USPTO, l’équivalent de l’INPI, l’institut national de la propriété intellectuelle, aux États-Unis.
Mais pas de chance : une autre société a déjà eu l’idée d’associer la pomme et le mot Apple. Il s’agit d’Apple Corps, le label musical fondé par les Beatles.
Après moult procédures, les deux sociétés finissent par se mettre autour d’une table. En 1991, un accord est trouvé. Apple Computer, l’ancêtre d’Apple, pourra utiliser la marque Apple pour les ordinateurs. Apple Corps pourra continuer à l’exploiter pour tout ce qui est musique. Avec ces deux activités bien séparées, les deux marques coexistent – une distinction possible notamment grâce au système des droits des marques.
Car une marque n’apporte pas à une entreprise une protection globale : elle ne va octroyer un monopole que sur certains produits et services que l’on désigne lors de l’enregistrement de la marque – ce qu’on appelle des « classes », et que pour un pays donné. Si j’enregistre Apple pour des téléphones, j’interdis à toutes les autres sociétés, dans tel pays, d’utiliser ce mot Apple, ou le logo enregistré, pour des téléphones. Mais en théorie, rien n’empêche à une autre société d’utiliser Apple pour des chaussures.
Avec ces classes bien distinctes, la lune de miel dure… mais seulement quelques années. Les nuages noirs s’amoncellent lorsque, dans les années 2000, Apple Computer met un premier pied dans la musique. La société lance son premier baladeur iPod et son logiciel de musique iTunes, et reçoit illico presto une assignation en justice du label des Beatles, qui attaque Apple pour violation de l’accord. Il faudra attendre 2007 pour que les deux sociétés finissent par trouver un terrain d’entente. Et cette fois, Apple va changer de dimension.
Au lieu de se mettre d’accord sur des activités distinctes comme la première fois, elle rachète les marques des Beatles contre une coquette somme, et leur octroie une licence d’utilisation pour qu’ils puissent continuer à exploiter leur label musical. À partir de là, forte de l’ensemble des marques dont la fameuse pomme granny, Apple devient Apple et abandonne le « Computer ». Avec cette nouvelle identité, la firme de la Silicon Valley va changer de stratégie, et adopter une approche bien plus offensive.
La phase d’extension
Dans les années 2010, Apple va d’abord consolider son portefeuille de marques, en multipliant les demandes d’extensions de ses classes. Cherche-t-elle à éviter de retomber dans le schéma précédent, dans lequel elle devait partager la même marque avec une autre société ? Certainement. On peut voir notamment sur le registre des marques des offices américain et européen que la firme de Cupertino dépose de nombreuses nouvelles demandes. Elle enregistre par exemple l’image de la pomme Granny en 2011 – celle des Beatles, mais en noir et blanc en Europe et aux Etats-Unis.
Sur le Vieux continent, elle étend aussi le terme Apple, déjà protégé, à 37 classes – sur 45, dans des activités aussi diverses que des produits chimiques (classe 1), des métaux et alliages (classe 6), la coutellerie, les armes latérales, les rasoirs (classe 8), le caoutchouc et les matières plastiques (classe 17), le textile (classe 24) et la liste est longue – la demande est accordée deux ans plus tard.
Si on peut comprendre qu’Apple enregistre sa marque dans des domaines qui seront par la suite développés – comme la santé ou la finance (classe 36 – avec Apple Pay), certaines classes sont surprenantes. Apple a-t-il le droit d’en sélectionner autant ? En théorie, oui, s’il est le premier à le faire, et si ce signe est disponible – dans le sens qu’il n’est pas déjà réservé, déposé par d’autres. Mais pour éviter qu’une entreprise qui en a les moyens – car la sélection de classes supplémentaires a un coût – abuse du système, en se réservant une marque qu’elle n’utilise pas dans de très nombreux domaines, le droit des marques a prévu un garde-fou. Une société ne peut en théorie sélectionner une classe que si elle compte réellement utiliser ce terme pour l’activité en question.
Si elle ne le fait pas, elle risque ce qu’on appelle la déchéance de sa marque. Si elle n’est pas capable de prouver qu’elle l’utilise vraiment pour telle activité, elle ne peut pas interdire à un tiers de l’utiliser.
Au moment où une entreprise doit choisir les domaines dans lesquels elle veut un monopole, elle ne doit donc être ni trop être gourmande – en choisissant trop de classes – ni trop restrictive – en en omettant certaines. Il faut donc viser juste. Pour Perrine Pelletier, avocate en propriété intellectuelle associée du cabinet Datavalaw, l’entreprise doit « au moment de l’enregistrement de sa marque, envisager les produits et services qui sont exploités, mais aussi ceux qui seront exploités à brève échéance ». Elle ne peut donc pas non plus cocher toutes les classes, sauf si elle ne compte réellement l’exploiter pour l’ensemble des activités économiques.
En optant pour cette approche, c’est aux autres entreprises de venir attaquer Apple. Cette dernière n’aura qu’à se défendre bec et ongle contre tout empiètement de son territoire – et heureusement pour elle, elle en a les moyens.
Et la phase offensive, voire souverainiste ?
Au même moment, Apple s’est mis à adopter une approche plus offensive. À compter des années 2010, la firme américaine commence à attaquer toute société s’approchant de près ou de loin – et même parfois de très loin – à la marque Apple, au mot Apple, en anglais mais aussi dans d’autres langues comme l’allemand et le français. Apple a ainsi attaqué une entreprise dont le logo était une poire, et l’activité une application de repas, un office de tourisme allemand pour un trajet de vélo, un établissement scolaire, et même une auteur-compositrice-interprète pour son nom de scène, Frankie Pineapple (« Frankie Ananas » en français)… Pour cette dernière affaire, Apple a bien reconnu qu’une pomme et un ananas étaient différents. Mais l’entreprise a estimé qu’ils étaient « tous deux des noms de fruits et qu’ils véhiculaient donc une impression commerciale similaire ».
S’agit-il d’une approche légitime ou la société montre-t-elle trop ses muscles juridiques ? C’est toute la question. Car d’un côté, il est tout à fait normal qu’Apple défende sa marque, qui a une immense valeur qui ne doit pas être diluée, grignotée par d’autres sociétés qui voudraient profiter de son aura. Concrètement, Apple comme toutes les multinationales dispose de systèmes d’alerte qui vont l’avertir de toute demande qui ressemblerait à sa marque – son dessin de pomme en noir et blanc croqué, par exemple, mais aussi l’image d’une pomme granny smith.
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Un risque de confusion systématique ?
En théorie, à chaque fois que son service juridique estimera qu’il existe « un risque de confusion » dans l’esprit du public -à partir du moment où une personne lambda identifie Apple la marque à la pomme en voyant le logo ou le nom de marque en question, ou pense encore qu’il y a un lien avec Apple, elle pourra mener une procédure – d’opposition – et empêcher cette marque d’être déposée. Et comme il s’agit d’une marque mondialement connue – une marque notoire, en droit – ce risque peut être un peu plus facile à prouver.
Apple soutiendra par exemple, lors d’une procédure d’opposition, que « les marques Apple sont si célèbres et instantanément reconnaissables » que d’autres marques affaibliraient la force de sa marque ou amèneraient le « consommateur ordinaire à croire que le demandeur est lié, affilié ou soutenu par Apple ».
Est-ce exagéré ? Peut-être, mais cela n’est pas si surprenant venant d’une marque notoire, qui doit aussi faire face à un autre danger : la dilution. Car parfois, les marques deviennent tellement connues qu’elles tombent dans le language courant – comme la marque Frigidaire. La firme de Cupertino fait donc tout pour que la pomme croquée ne devienne pas synonyme d’ordinateur, de smartphone, ou de service informatique, parce qu’elle n’aurait alors plus aucune valeur. Et une des façons de lutter contre ce phénomène, c’est, justement, de se défendre, d’empêcher tout tiers d’utiliser sa marque pour désigner les mêmes services et donc… de multiplier les actions en justice.
Les petites entreprises cèdent, par peur du coût d’une action en justice
Dans les faits pourtant, les menaces suffisent, et les affaires ne finissent pas sur les bancs des tribunaux. L’ONG TTP décrit ainsi le même scénario, qui a touché des centaines de petites entreprises et associations aux États-Unis entre 2019 et 2021. Durant cette période, Apple aurait déposé plus d’oppositions de marques, c’est-à-dire de tentatives de faire valoir sa propriété intellectuelle auprès d’autres entreprises, que Microsoft, Facebook, Amazon et Google réunis, écrit l’association qui enquête sur les grandes sociétés de la tech.
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En pratique, les choses se passent ainsi : Apple envoie une mise en demeure, souvent menaçante. Une fois reçue, la victime, impressionnée de recevoir un courrier d’Apple, la multinationale, et souvent sans service juridique, entrevoit les milliers d’euros qu’elle va perdre dans des procédures juridiques. Et très souvent, elle cède et retire sa demande, même si la marque en question ne menace pas réellement la société de Cupertino, explique TTP.
« J’imagine – je ne peux pas anticiper le nombre de cas, mais j’imagine que dans ces hypothèses, un certain nombre de ces entreprises seraient amenées à renoncer à leur propre marque après avoir reçu de tels courriers. J’ai été sollicitée sur ce type de demande où j’ai pu constater des courriers de mise en demeure rédigés de manière très stricte, alors que dans certains cas, les arguments invoqués n’étaient pas si justifiés et pourtant, ils étaient présentés d’une manière quasi comminatoire », confirme Maître Pelletier.
Les moyens de défense des petites entreprises attaquées existent
Car en face, la société attaquée pourrait se défendre, en démontrant soit qu’il n’existe pas de risque de confusion parce que son activité n’a rien à voir avec celle d’Apple, soit qu’Apple n’exploite pas ces activités – en invoquant le risque de déchéance. Elle pourrait aussi s’appuyer sur d’autres éléments, comme un usage antérieur. Si l’entreprise attaquée utilisait déjà le signe, bien avant qu’Apple ne le dépose, elle pourra continuer à l’utiliser. C’est par exemple le cas de la coopérative fruitière suisse, qui utilise depuis plus de 100 ans son logo de la pomme avec le drapeau suisse.
Mais encore faut-il qu’elle connaisse toutes ses subtilités. « Il y a un vrai enjeu à connaître ses droits face à des entreprises qui ont les moyens d’assurer des surveillances de marque et des stratégies de défense soutenues et assez vindicatives auprès de structures de toutes tailles, y compris vis-à-vis de structures en fait tellement petites, qu’elles ne sont pas vraiment susceptibles de prêter à confusion, en réalité », estime Perrine Pelletier.
Mais surtout, il faut que l’entreprise attaquée ait les reins assez solides, financièrement, pour se défendre. Et c’est tout le problème. Car si, juridiquement, la firme à la pomme ne peut pas s’approprier un mot générique, ou une image générique d’une pomme, dans les faits, sa force de frappe – comprenez, de « menace » – aboutit au même résultat. Les entreprises savent que si elles utilisent le terme pomme, Apple, Apfel, .. ou un logo d’une pomme, elles pourraient avoir à se défendre contre Apple, le géant de Cupertino dont la valorisation boursière a atteint les 3 000 milliards de dollars. De quoi impressionner autant les petits que les plus grands, qui pourraient, sagement, décider de ne pas s’aventurer sur ce chemin.
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et tout ça pour des produits bien trop chers, trop fermés, et en un mot: merdiques. Mais là ou ils sont fort c’est qu’ils vendent une image plus que des téléphones sur-cotés. Avoir un apple c’est comme porter des nikes, ça donne aux moutons l’illusion de la classe.
Et si quelqu’un s’avisait de créer une pomme cubique (on fabrique bien de oeufs de cette forme) et la baptisait apeul ou toute autre forme phonétique, on pourrait peut-être s’amuser…