« Est-ce que votre appli de suivi de grossesse partage vos données avec votre boss ? ». La question est posée par le Washington Post qui révèle dans une enquête édifiante que certaines entreprises américaines – dont Activision Blizzard, l’un des principaux éditeurs de jeux vidéo au monde – payent pour avoir accès aux informations médicales de leurs employées qui utilisent les applications Ovia.
Très populaires aux États-Unis, ces applications spécialisées dans la « fertilité », la « grossesse », et la «parentalité » permettent de répertorier ses données les plus intimes – cycles menstruels, activités sexuelles, fausses couches, douleurs, humeurs, opérations, traitement médical.
Comme de nombreuses femmes, Diana Diller, qui témoigne pour le journal américain, utilise quotidiennement l’appli Ovia Pregnancy (« grossesse » en anglais). Ce qu’elle ignore, c’est que son boss a également accès à toutes ces informations.
Du moment où elle a essayé d’avoir un enfant jusqu’à son accouchement, son entreprise peut tout savoir : ses antécédents médicaux, les questions médicales qu’elle se pose, à quelle date elle compte reprendre le travail, comment elle se prépare à cette reprise… Un dossier médical complet qui a été acheté par la société.
Au départ, c’est son entreprise qui a incité Diana Diller à utiliser l’application de suivi de grossesse en la rémunérant 1 dollar par jour en cartes-cadeaux.
« Je suis peut-être naïve, mais j’y ai vu un renforcement positif : ils essaient de m’aider à prendre soin de moi », confie Diana Diller, 39 ans, organisatrice d’événements à Los Angeles, pour Activision Blizzard. « C’est de l’argent pour les couches et le lait maternisé», explique-t-elle toujours au Washington Post.
Comme Activision Blizzard, les employeurs américains qui veulent avoir accès aux données médicales de leurs employées, paient le développeur Ovia Health pour offrir à leurs travailleuses une version spéciale de ses applications. Ainsi, leurs données sur la santé sont transmises à l’employeur sous une forme anonymisée.
Les datas sont ensuite consultables sur un site Web interne accessible au personnel des ressources humaines de ladite entreprise. Même si les données sont chiffrées, la personne n’est pas au courant de l’utilisation faite de ses données.
Une « surveillance menstruelle »
Les défenseurs des données personnelles interrogés par le journal américain affirment que cette nouvelle génération d’outils de « surveillance menstruelle» repousse les limites de l’intrusion des entreprises dans la vie privée de leurs employées.
Selon eux, ces appli de santé sont conçues principalement pour profiter non pas aux femmes, mais à leurs employeurs et assureurs, qui peuvent anticiper les prochaines étapes de leur vie de famille et leur carrière, sans leur consentement.
« L’avantage réel de l’auto-surveillance est toujours pour l’entreprise », explique Karen Levy, professeure adjointe à l’Université Cornell, qui a fait des recherches sur la surveillance de la famille et au travail. « Même de bonne foi, quel est l’intérêt pour une entreprise de savoir combien de grossesses à risque peuvent avoir ses employées ? Pour mettre plus de brochure dans la salle d’attente ? », soulève la chercheuse dans les colonnes du Washington Post.
De son côté, Paris Wallace, directeur général d’Ovia, affirme au journal américain que l’entreprise respecte les lois sur la protection de la vie privée et fournit des données agrégées. Aussi sensibles soient-elles, les informations médicales peuvent renforcer le bien-être des femmes… et les bénéfices nets des entreprises, admet-il.
Les enjeux financiers autour des données personnelles sont tels que le témoignage de Diana Diller n’est sans doute que la partie immergée de l’iceberg. En Europe, le RGPD, entré en vigueur le 25 mai 2018, est un rempart face à ce genre de pratique d’espionnage commercial. Dans ce qui ressemble pour certains à un accès de schizophrénie, de grandes sociétés américaines de la high-tech encouragent à l’adoption d’un texte similaire aux Etats-Unis…
Source :
The Washington Post
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