L’opposition entre le Sénat, à gauche, et l’Assemblée nationale, majoritairement à droite, sur le projet de loi relatif à la protection de l’identité se poursuit, alors que la commission mixte paritaire doit rendre publiques ses conclusions le mercredi 25 janvier 2012.
Le texte déposé par les sénateurs UMP Jean-René Lecerf et Michel Houel vise à instaurer une carte d’identité biométrique dotée de deux puces électroniques. La première « régalienne » comporterait des données relatives à l’identité de son titulaire. La seconde, facultative, serait dotée d’un certificat électronique pour identifier le consommateur lors de communications électroniques, notamment sur les services d’e-Administration.
Cette carte, toujours non obligatoire, serait en outre adossée à un fichier centralisé regroupant données biométriques et d’identité afin de permettre l’identification d’un individu. Ce fichier compterait « à terme 45 millions d’entrées, soit le plus grand fichier de France ! », indique le député PS de la 10e circonscription de Paris, Serge Blisko. Une base de données que le sénateur UMP François Pillet n’hésite pas à nommer « le fichier des honnêtes gens ».
Un fichier de 45 millions de personnes
Depuis le début de son examen en juin 2011, sénateurs et députés s’affrontent sur ce texte destiné à lutter contre l’usurpation d’identité, estimée à 200 000 cas par an. Le principal point d’achoppement entre les deux institutions parlementaires concerne l’article 5 du texte. Celui-ci établit le lien entre les données biométriques d’un individu et celles présentes sur la base centralisée de tous les Français. L’Assemblée nationale est favorable à un « lien fort » permettant de comparer les données d’une personne en particulier à l’ensemble des données des individus présents dans le fichier. Le Sénat, lui, prône « un lien faible » permettant de constater une usurpation d’identité sans pouvoir remonter à son auteur.
La commission mixte paritaire était parvenue à un consensus sur « le lien faible », mais Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, en réintroduisant un amendement à l’Assemblée nationale, le 12 janvier dernier, a rétabli « le lien fort ». Les sénateurs et députés PS redoutent que ce fichier soit consulté par réquisition judiciaire. Une crainte partagée par la Cnil. La Commission nationale informatique et liberté a rappelé que ce fichier devait rester administratif, « et en aucun cas constituer un outil de police judiciaire à la disposition des services de police et de gendarmerie ».
Philippe Goujon, député UMP, balaie ces arguments. Lors des débats qui se sont tenus à l’Assemblée nationale, il a rappelé : « L’accès à la base se fera sur réquisition judiciaire limitée au cas par cas, sous le contrôle d’un magistrat et uniquement pour les enquêtes d’usurpation et d’identification de cadavre en cas de catastrophe [naturelle, NDLR]. »
Une argumentation mise en perspective par Serge Blisko : « La consultation du fichier est limitée à une liste d’infractions qui vont de l’usurpation de la pièce d’identité aux fausses plaques d’immatriculation en passant par la fourniture de fausses informations lors d’un contrôle dans les transports… On peut non seulement s’interroger sur la justification de ce dernier délit, mais aussi imaginer toutes les dérives futures. Il serait très facile d’assermenter les agents de la RATP par exemple pour leur permettre l’accès à ce fichier. On peut aussi imaginer que les motifs de consultation soient rapidement étendus à d’autres délits. »
Encadrer la consultation du fichier
Pour Me Eric Barbry du cabinet Bensoussan, le vrai enjeu de ce projet est de « savoir quelles données sont récoltées et comment l’Etat gérera ce fichier. Pourquoi pas mettre en place un système de traçabilité avec une commission d’enquête indépendante pour vérifier qui y a eu accès et à quelle fin ? » Et l’avocat spécialisé en nouvelles technologies de rappeler : « Si l’inquiétude liée à ce projet de loi est la traçabilité des individus, c’est un faux problème. Nos données de trafic, de connexions à Internet sont collectées et conservées un an par les FAI ; les opérateurs nous géolocalisent ; notre banquier sait quels achats nous avons effectués… »
La présence de la deuxième puce, certes facultative, sur la carte d’identité est un autre sujet d’inquiétude. « Des hackers pourraient s’y introduire, faire le lien entre les deux puces et dévoiler les déplacements privés ou achats des individus », estime Serge Blisko.
Le débat sur la protection d’identité est devenu politique. Contacté, le QG de campagne du candidat du PS à l’élection présidentielle, n’était pas en mesure de nous indiquer pourquoi le projet décrié par les sénateurs et députés du parti socialiste n’était pas un sujet de campagne pour François Hollande. Ni si ce dernier, s’il était élu à la tête de l’Etat, modifierait le texte qui devrait être adopté le 1er février prochain a l’Assemblée nationale.
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