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Cigref : la logique d’affrontement dépassée

Fournisseurs, directions générales, instances européennes… Le Cigref entend bien faire valoir le rôle des technologies de l’information dans la création de valeur par les entreprises.

Jean-François Pépin, vous êtes, depuis un an, délégué général du Club informatique des grandes entreprises françaises (Cigref). Comment définissez-vous son rôle aujourd’hui ? Nous ne sommes pas un ” club cigare “. Notre ambition n’est pas de dire : ” On se rencontre, on dîne ensemble et on s’en va “. Et ce, même si ce rôle reste très important : les valeurs du Cigref basées sur la convivialité et l’échange ne peuvent pas se réaliser dans une logique uniquement tournée vers l’efficacité et la recherche de performance. Notre association est confrontée depuis toujours à un effet de balancier entre convivialité et efficacité. Aujourd’hui, nous sommes à la recherche de l’équilibre entre trois facteurs clefs de succès : la performance, la coopération et le leadership. Performance et coopération : faut-il entendre que le Cigref est un lieu de partenariat ?” ou de contre-pouvoir ?” des utilisateurs vis-à-vis de leurs fournisseurs ? Non, car nous avons dépassé cette attitude. Les organisations ont souvent tendance à penser que pour exister elles doivent s’affronter. C’est une posture qui, aujourd’hui, ne nous convient plus. Nous avons trente-deux ans et nous sommes dans l’âge adulte. Nous savons ce que nous devons faire. Nous avons décidé de nous ouvrir à des partenariats extérieurs. Le fait de réfléchir, par exemple, avec le Syntec sur un certain nombre de domaines, n’est pas synonyme de ” contamination “. Ce n’est pas un adversaire, c’est un partenaire. On ne peut pas créer de la valeur pour l’entreprise sans la participation des fournisseurs. Mais pour coopérer, il faut se connaître. Or, le modèle économique de la grande entreprise n’est pas identique à celui de ses fournisseurs. Nous travaillons donc aujourd’hui avec certains d’entre eux afin de mieux connaître leur mode de fonctionnement. Je suis ravi, par exemple, lorsque j’entends des DSI du Cigref dire, ” je ne traîte pas avec un fournisseur sans qu’il m’ait expliqué son business modèle, voire même, comment moi client, je peux y contribuer “. Ce type de partenariat va-t-il conduire vers une logique de partage du risque entre client et fournisseur, sous la forme de participation aux bénéfices réalisés, par exemple ? Je ne sais pas. Mais l’avancée vers des logiques de co-action et d’interdépendance est sûre. Je ne vois pas d’autre solution. On peut l’appeler lobbying puisqu’il s’agit d’influencer. Mais, dans cette démarche, nous sommes surtout à la recherche d’un nouveau mode de relation basé sur la confiance, l’échange et la connaissance mutuelle. Cependant, pour y parvenir, il faut que les organisations aillent plus loin qu’une simple relation d’individu à individu. Il faut qu’il y ait vraiment un acte de partenariat qui exprime la prise de conscience de l’intérêt réciproque à travailler ensemble. Quand un DSI investit dans un système important, il ne le fait pas pour les six mois à venir, il le fait pour longtemps. Cela relève de sa conscience professionnelle. Il doit s’assurer qu’il créé les conditions pour que le système qu’il met en place fonctionne dans la durée et la qualité. C’est pourquoi nous souhaitons également travailler avec les fournisseurs sur la notion de qualité, aussi bien celle des logiciels que celle des prestations. Nous ne pouvons plus faire l’économie de la transparence sur ce que nous faisons, ce que nous voulons et ce que nous ne voulons plus. Notre tâche aujourd’hui consiste à réconcilier ce qui nous est promis, ce qui est réellement mis à notre disposition et ce que nous constatons dans la réalité de tous les jours. Cela veut-il dire que les utilisateurs doivent réaliser l’inventaire des bogues et autres défauts logiciels qu’ils constatent dans leur entreprise afin que, sur cette base, le Cigref définisse des indicateurs de qualité ? Notre président (Jean-Pierre Corniou, DSI de Renault ?” NDLR) nous a demandé de réfléchir à un indice Cigref sur cette notion de qualité. Nous avons démarré un travail qui s’avère plus complexe que prévu. En tout cas, l’idée de mesure est quelque chose de très excitant. Et, sur ce domaine en particulier, le lobbying peut se faire aussi de façon non publique. Cela veut dire que notre action ne passe plus par l’invective. Par contre, je souhaite créer les conditions réelles d’échange dans des lieux neutres. C’est ça le 21, avenue de Messine (adresse parisienne du Cigref ?” NDLR), un lieu où les DSI savent que les choses qu’ils se disent sont dites entre eux, et que le jour où ils invitent un prestataire, un fournisseur ou quelqu’un d’autre, à venir débattre avec eux, cela restera confidentiel. Et je vous assure que lorsque vingt DSI se retrouvent en face d’un grand fournisseur, ils se disent des choses les yeux dans les yeux. Naturellement nous ne ferons pas un communiqué de presse derrière. Pour autant, nous ne sommes ni un cartel, ni un quelconque lieu d’entente. Nous cherchons simplement une relation mature qui s’inscrive dans une démarche opérationnelle et pragmatique d’amélioration de la qualité.Contractualisation et partenariat ne sont-ils pas au bout du compte contradictoires ? Je pense que ce sont deux étapes qui vont l’une avec l’autre. Soyons clair, le Cigref n’a pas la légitimité statutaire de négocier les prix auprès des fournisseurs pour le compte de ses membres. Il faut le dire clairement. Nous avons, à mon sens, une légitimité plus forte qui est d’exprimer, au nom de la communauté des grandes entreprises qui sont nos membres, un point de vue qui permettra à l’entreprise individuelle de créer avec ses fournisseurs le cadre d’une contractualisation admise par chacun. Ce que nous avons fait avec Microsoft en est un exemple des plus significatifs. Il n’y a qu’en France que Microsoft a repoussé la date de mise en place de sa nouvelle politique de tarification. C’est le Cigref qui l’a obtenu. Et cela a donné un peu plus de champ à chacun pour préparer sa négociation, afin de contractualiser ensuite avec Microsoft. Nous créons les conditions, c’est-à-dire le cadre général dans lequel la négociation individuelle peut se placer. Et je peux vous dire que vu de Redmond, il est important qu’il y ait en France quelqu’un qui soit en mesure d’expliquer ce contexte. Ce n’est pas uniquement le directeur général France de Microsoft qui doit le faire, et ce n’est pas non plus une entreprise seule prétendant les représenter toutes. C’est par contre le rôle du Cigref. Cette démarche est-elle spécifique à la France ?Non, nous ne restons pas confiné aux frontières de l’Hexagone. Ce que nous faisons avec Euro CIO(*) relève de la même logique. Le lobbying des fournisseurs vis-à-vis de la communauté européenne est excellent. Et les responsables communautaires nous disent qu’ils aimeraient bien connaître également l’avis des utilisateurs avant de prendre des décisions. Nous allons donc agir avec les DSI européens. L’idée est de faire émerger des préoccupations communes et de les porter tant auprès de la Communauté Européenne que des fournisseurs. Autre exemple, l’Icann, dont nous sommes membre. La raison de notre présence au sein de cette organisation internationale, qui gère les noms de domaine et tout ce qui a trait au fonctionnement d’internet, est, là encore, la même : au moment où l’on nous explique que le développement commercial des échanges se fait sur le web, nous voulons connaître les conditions dans lesquelles cette circulation se fait, et participer à leur élaboration. C’est toujours le même objectif que nous poursuivons : nous voulons que les utilisateurs aient leur mot à dire dans la façon dont internet est orchestré au niveau mondial.Le Cigref participe-t-il de façon active à ces organisations ? Tout à fait. Des experts du Cigref travaillent au sein même de certaines de ces organisations : pour l’Icann, par exemple, c’est à notre délégué général adjoint que revient cette responsabilité. Nous avons fait des propositions récemment pour modifier son mode de gouvernance, et nous essayons de convaincre l’Europe qu’il serait temps que ses instances s’en occupent aussi. De la même façon, nous attirons actuellement l’attention de Laurent Sorbier, conseiller du premier ministre sur les technologies de l’information, sur ces questions. Nous ne pouvons pas nous désintéresser du problème de la régulation d’internet. Nous avons d’ailleurs organisé, à Paris, les premiers états généraux du nommage (nom de domaine sur internet).Toutes les actions que vous venez de décrire s’inscrivent dans le rôle du DSI vis-à-vis de l’environnement de l’entreprise. Travaillez-vous également sur sa place et sa fonction en interne ? Nous venons d’engager une action très précise sur la perception des directions générales vis-à-vis des systèmes d’information. Cette préoccupation est très grande pour le Cigref, car il n’est pas possible de parler de valeur ajoutée pour l’entreprise sans s’adresser à celui qui en assume la première responsabilité. Nous considérons, par ailleurs, que le système d’information, et donc le directeur des systèmes d’information, est un contributeur éminent à cette valeur ajoutée. La question que nous posons est de savoir si le directeur général a réellement conscience de l’importance du système d’information dans la chaîne de valeur ajoutée de l’entreprise. Aujourd’hui la grande majorité répond oui. Mais il nous semblait que, entre avoir une conviction et savoir l’étayer, il reste peut-être un pas à faire, et que le moment est venu de le faire. Qu’allez-vous faire exactement pour créer ce dialogue entre les directions générales et l’informatique ? Très concrètement, nous menons actuellement une étude, en commun avec MC Kinsey, sur la dynamique des relations DG-DSI. Nous en publierons les résultats le 22 novembre prochain, accompagnés d’un livre blanc. L’idée est de susciter un échange entre le DG et le DSI sur leur perception mutuelle des systèmes d’information. L’originalité de cette étude est de s’attacher à la qualification de leurs échanges et de leur relation. Nous serons uniquement qualitatif, car ce n’est pas la mesure qui nous intéresse, mais la nature de cette relation. Nous voulons entrer dans l’intimité du dialogue DG-DSI. Nous souhaitons savoir ce que chacun pense de l’autre, pas en tant qu’individu, mais dans leur fonction réciproque. Nous désirons introduire la notion de modèle de maturité. Existe-t-il des modes de relation qui créent une valeur ajoutée plus forte que d’autres ? Nous voulons dépasser le cadre de l’affirmation ” l’informatique coûte trop cher “, en entrant au c?”ur de cette relation.Vous essayez d’aller au-delà du simple slogan, c’est bien… Mais pensez-vous pouvoir définir les différentes typologies d’un mode de fonctionnement efficace entre DG et DSI ? Oui. Nous avons l’ambition de parvenir à qualifier trois ou quatre modèles de performance. Et c’est cela le rôle du Cigref. Ce n’est pas de lancer des slogans, mais de dire comment on peut analyser dans son contexte quotidien la relation entre le directeur général et le DSI. Comment objectiver cette relation ? Comment l’étayer ? Comment la qualifier ? C’est cela que nous souhaitons faire. Nous avons réalisé des interviews individuelles de DG et de DSI. Notre objectif est, là aussi, de créer les conditions d’une discussion sur ce thème des rapports DG-DSI. L’idée est de prendre du temps pour parler, non pas de l’objectif, mais de la manière dont directeurs généraux et directeurs des systèmes d’information peuvent parvenir à atteindre ensemble l’objectif de création de valeur. Sur le plan pédagogique, on connaît bien toute la force de ce type de démarche qui analyse autant le processus que l’objectif. Il est clair aujourd’hui que l’informatique doit coûter moins cher. Et que, bien sûr, il faut de la qualité. Mais une fois que l’on a dit cela et que tout le monde est bien d’accord pour jouer son rôle, le DG étant plus prés des coûts et le DSI de la qualité, on a peu avancé. Nous ferons, en revanche, un plus grand chemin, si nous travaillons de concert sur les processus qui permettent de comprendre pourquoi l’objectif de qualité n’est pas contraire à celui de diminution des coûts.Cette problématique des coûts et de la qualité n’est-elle pas conjoncturelle, car en relation étroite avec la crise actuelle, où les entreprises se focalisent sur leur retour sur investissement ? Non, car j’ai construit cette proposition à la vue d’un questionnaire qui avait été réalisé par mon prédécesseur pour les trente ans du Cigref, il y a donc plus de deux ans. Les DSI avaient été interrogés sur ce qui leur paraissait le plus important de faire et en quoi le Cigref pouvait les aider. Ils avaient indiqué, en deuxième proposition, ” optimiser leur relation avec leur DG “. Nous avons donc essayé de rendre cette proposition pertinente en la positionnant sur le processus de relation dans le but de leur apprendre à connaître les préoccupations des directions générales. Je ne dis pas que le DSI ne sait pas le faire. Tous les métiers sont confrontés à cette problématique de l’expertise. Quand je rencontre d’autres organisations professionnelles d’entreprise qui ont des spécificités en ressources humaines ou en finances, j’ai l’impression que c’est un peu la même chose. La connaissance mutuelle entre les directions opérationnelles et leur direction générale n’est jamais parfaite. Mais je pense qu’en informatique les choses sont différentes : un directeur général qui aujourd’hui annoncerait, ” la finance je n’y connais pas grand-chose ” ne serait pas bien crédible. Alors qu’il n’est toujours pas étonnant d’entendre ce même dirigeant dire, ” moi l’informatique je n’y connais rien “.Le mal vient-il donc de l’incompétence technologique des dirigeants d’entreprise ? On peut effectivement se poser des questions sur la manière dont s’effectue la formation des dirigeants sur les systèmes d’information. J’étais la semaine dernière à la journée nationale des IAE à Paris, à la Sorbonne. Pour la première fois, le Cigref a été appelé à venir témoigner devant les trois cent cinquante professeurs des IAE de France sur le thème ” Sciences de gestion et pratiques managériales “. Ont défilés les professeurs de stratégie, de comptabilité, de finance, de ressources humaines… et, en dernier, le système d’information. Avec un professeur de Grenoble, nous sommes intervenus tous les deux, disant, lui, voilà ce que nous enseignons, et nous, au titre du Cigref, voilà ce dont nous avons besoin en entreprise. Notre objectif ici est de comprendre et d’influer sur le mode de formation des dirigeants. A HEC/Mines, grâce au Mastère que nous parrainons depuis son origine, il existe une réelle formation au management du système d’information. Nous savons que, là, les choses sont en marche. Nous voudrions les voir avancer ailleurs. Nous ne pouvons pas nous désintéresser de la manière dont les dirigeants de demain exerceront leur responsabilité en ce domaine.La situation est-elle donc si grave ? Elle est surtout urgente. Nous devons dès à présent nous donner les moyens de veiller à ce que les futurs dirigeants d’entreprise reçoivent un début de compréhension sur la différence entre système d’information et système informatique. Et ce, d’autant que maintenant nous ne sommes déjà plus dans une logique de système d’information mais, déjà, de système de communication électronique. Alors que nous sommes dans cette troisième étape, certains dirigeants sont malheureusement encore en train de parler de système informatique. Voilà, pourquoi nous voulons entrer dans une relation mature et une discussion sereine sur les prochaines mutations des systèmes d’information. Pour parvenir à établir cette relation mature, quel est le point sur lequel les DSI ont, eux aussi, besoin de progresser ? Le domaine sur lequel ils s’investissent le plus aujourd’hui est celui des usages. Passer de la mise en place d’un progiciel de gestion intégré à son effet sur l’organisation pose énormément de problèmes dans les entreprises. Les problématiques les plus difficiles à résoudre, pour eux, dans leur entreprise aujourd’hui, sont des problématiques humaines. Elles relèvent de la capacité des femmes et des hommes qui mettent en place les systèmes d’information à comprendre le fonctionnement d’un être humain face à l’utilisation des technologies nouvelles. Actuellement, nous sommes tous, globalement, confrontés à ce problème lié à la capacité de l’être humain à accompagner l’évolution technologique. C’est une problématique que nous avons pour l’instant laissée de coté. Cependant, c’est une des pistes vers lesquelles je voudrais aller à présent, en nouant par exemple des partenariats avec des associations de chercheurs.

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Andrée Muller et Jean-François Ruiz